La maltraitance envers les enfants constitue un mal social important ainsi qu’un problème de santé public majeur dans plusieurs pays, car elle affecte de nombreuses instances, c’est-à-dire tant l’enfant et plus tard l’adulte, sa famille que la société (Gilbert & al., 2009). Il n’existe actuellement aucun consensus quant à la définition de la maltraitance, ce phénomène s’expliquant en partie par la grande variabilité qui existe entre les normes sociales, les législations ainsi que les valeurs culturelles d’une communauté en comparaison d’une autre, ces éléments modulant forcément la modélisation conceptuelle de la maltraitance et de ses corrélats (Mayer, 1997). Toutefois, dans un rapport mondial sur la violence et la santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS; 2002) définit la violence, qui, dans la présente étude, et à l’instar de d’autres études menées sur le sujet (ex. : Bouchard, Tourigny, Joly, Hébert, & Cyr, 2008; Burgess, Petrozzi, Dion, Bouchard, Brochu, & Pilote, 2013), est un synonyme de maltraitance, comme étant :
« La menace ou l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement ou des privations » (p.5).
Certains auteurs estiment qu’il y a présence de maltraitance dès lors que les gestes sont posés de façon consciente et intentionnelle, tandis que d’autres stipulent que les mauvais traitements peuvent être perpétrés de manière inconsciente et involontaire (Mayer, 1997; OMS, 2002; Strauss & Gelles, 1990). Toutefois, une vaste majorité de chercheurs dans le domaine s’entendent pour statuer sur le caractère non-accidentel de l’acte ou de l’omission ayant donné lieu aux mauvais traitements (Santé et Bien-être Social Canada, 1989) et conviennent que la maltraitance est caractérisée par un ensemble de conduites risquant de menacer ou d’entraver le développement d’un enfant ou encore de lui causer des préjudices physiques ou psychologiques (Barnett, MillerPerrin, & Perrin, 1997; Gilbert & al., 2009; Mayer, 1997). Les gestes de maltraitance peuvent être posés par n’importe quelle personne ayant la responsabilité de préserver la sécurité d’un enfant, incluant ainsi tant les parents, tuteurs, enseignants, entraîneurs, etc. (Leeb, Paulozzi, Melanson, Simon, & Arias, 2008).
Formes de maltraitance. Dans le cadre de la présente recherche, il sera question de trois formes de maltraitance, soit : la maltraitance psychologique, la maltraitance physique ainsi que la maltraitance sexuelle. La maltraitance psychologique consiste en une violence émotive perpétrée à l’endroit de l’enfant, et peut inclure les menaces verbales, l’humiliation, ainsi que le fait de rabaisser l’enfant ou de l’injurier (Santé Canada, 2001). Pour la présente étude, à l’instar de d’autres recherches menées dans le domaine, l’exposition de l’enfant à la violence conjugale constitue également une forme de maltraitance psychologique (Lessard, Damant, Hamelin-Brabant, Pépin-Gagné, & Chamberland, 2009). Ensuite, la maltraitance physique consiste en un acte de nature physique commis par un parent ou encore un tuteur, un enseignant, un entraîneur, etc., qui, nonobstant son intention initiale, compromet ou risque de compromettre l’intégrité ou le bien-être physique de l’enfant, pouvant ainsi entraîner des blessures nonaccidentelles (Santé Canada 2001). Elle peut n’impliquer qu’un seul épisode ou une série d’incidents où l’enfant est frappé. Selon Santé Canada (2001), la violence physique envers les enfants est souvent confondue avec la discipline, puisqu’associée aux punitions physiques. Finalement, la maltraitance sexuelle renvoie à des actes sexuels, avec ou sans contact physique commis par un individu sans le consentement de la victime (Gouvernement du Québec, 2001). Dans le cadre de la présente étude, nous nous intéresserons seulement aux formes de commission de maltraitance, ce qui exclut donc la négligence .
Prévalence. Des études estiment que plus d’un enfant sur trois a vécu au moins une forme de mauvais traitements au cours de son existence (Tourigny, Gagné, Joly, & Chartrand, 2006; Tourigny, Hébert, Joly, Cyr, & Baril, 2008). Par ailleurs, une recension des études de prévalence montre que de 13 à 43% des adultes rapportent avoir vécu, durant leur enfance, deux formes ou plus de maltraitance (Higgins & McCabe, 2001a). Au Québec, les résultats de l’étude épidémiologique de Tourigny et al. (2006) révèlent que de 4 à 12% des individus ont vécu plus d’une forme de maltraitance. Les effets de la maltraitance sont nombreux, les études tendent à démontrer que la violence est associée à de multiples conséquences, tant à court qu’à long terme, sur la santé mentale et physique des victimes, et dont la portée peut être extrêmement néfaste pour le développement (Gilbert et al., 2009; Heller, Larrieu, D’Imperio, & Boris, 1999; KendallTackett, Williams, & Finkelhor, 1993; Trickett & McBridge-Chang, 1995). Par ailleurs, nombre d’études sont parvenues à la conclusion que la cooccurrence de plusieurs formes de mauvais traitements occasionne des conséquences plus importantes à long terme et est liée à plus de problèmes une fois parvenus à l’âge adulte que ceux ayant été victimes d’un seul type de mauvais traitements (Higgins & McCabe, 2000; 2001a; Moeller & Bachman, 1993; Schaaf & McCanne, 1998). Ces résultats suggèrent donc la présence d’un effet additif, ce qui signifie que les conséquences de chacune des formes de maltraitance vécues durant l’enfance tendent à se cumuler de manière à accroître la sévérité des symptômes à l’âge adulte.
Ajustement psychologique
L’ajustement psychologique est un concept pour lequel on ne s’entend pas sur une définition universelle. En effet, plusieurs termes différents sont, de manière distincte et interchangeable, couramment utilisés dans les études portant sur l’ajustement psychologique tels que : adaptation (Guay, Vallerant & Losier, 1995), ajustement (Fromuth, 1986; O’Connor & Vallerand, 1994) ainsi que bien-être psychologique (Pelletier, Vallerand, Green-Demers, Briere, & Blais, 1995). En somme, un bon niveau d’ajustement psychologique réfère à un état affectif transitoire habituellement caractérisé par un haut niveau d’estime de soi ainsi qu’un faible niveau de symptômes psychologiques (Koestner, Losier, Fichman, & Mallet, 1999). Il apparaît que l’ajustement psychologique du jeune adulte est influencé par une multitude de facteurs, tels son contexte de vie actuel mais également par de nombreux facteurs présents antérieurement, dont ses habitudes de vie, son vécu socio-affectif et les évènements qui ont peuplé son enfance ainsi que son adolescence, comme le fait d’avoir été victime de maltraitance (Fergusson, 1998; Sameroff, 1998; Shulenberg & al., 2004). Également, la délinquance, la criminalité, les problèmes de santé mentale, et les évènements de vie sont tout autant d’éléments pouvant engendrer des difficultés d’adaptation une fois parvenus à l’âge adulte (Werner & Smith, 1992). Par ailleurs, il apparaît que la concomitance de plusieurs facteurs de risque a une plus grande influence sur l’ajustement psychologique à long terme comparativement à la présence isolée d’un seul facteur (Fergusson & Horwood, 2001). Ainsi, plus il y a de facteurs de risque, plus les difficultés d’ajustement psychologique risquent d’être présentes. L’ajustement psychologique, en accord avec les données de la littérature, sera conceptualisé et mesuré selon deux grandes dimensions dans la présente étude, soit l’estime de soi ainsi que la détresse psychologique .
Estime de soi. L’estime de soi est un concept complexe, car il implique de multiples construits, ce qui rend difficile l’atteinte d’un consensus relativement à sa définition. L’une des premières définitions de l’estime de soi a été élaborée par Cooley au début du vingtième siècle (cité dans Bolognini, Plancherel, Bettschart, & Halfon, 1996), et stipulait que l’estime de soi s’étayait grâce au regard d’autrui dans la mesure où elle réfère à l’intégration des perceptions que les personnes signifiantes nous renvoient de nous-mêmes. Plus tard, Rosenberg (1979) élaborera sa définition du concept, en proposant que l’estime de soi concerne l’ensemble des sentiments et des cognitions qu’un individu entretient à l’égard de lui-même. La définition de Rosenberg possède plusieurs points communs avec celle de Coopersmith (1967), pour qui l’estime de soi réfère au sentiment subjectif de chacun concernant sa propre valeur et qui s’exprime dans les attitudes que l’individu entretient à l’égard de lui-même.
Il y a deux façons principales de conceptualiser l’estime de soi, c’est-à-dire de manière globale ou spécifique. Tandis que la première forme réfère à la représentation globale que l’individu se fait de lui-même, la seconde, quant à elle, concerne l’autoperception en fonction de plusieurs domaines de compétence, tels que les compétences académiques et professionnelles, l’acceptation sociale, l’apparence physique ainsi que le comportement (Harter, 1988). La présente étude s’attardera à évaluer l’estime de soi de manière globale, considérant que celle-ci serait davantage corrélée à un haut niveau de bien-être psychologique et présenterait une meilleure stabilité dans le temps (Rosenberg, Schooler, & Schoenbach, 1995), à l’inverse de l’estime de soi spécifique, qui tendrait à influencer principalement les comportements des individus et pourrait être plus facilement affectée par les expériences ponctuelles vécues (Gavrancic, 2013).
En somme, il apparaît que le niveau d’estime de soi d’un individu influence indéniablement sa façon d’aborder les situations et de s’adapter à celles-ci. En effet, les croyances entretenues par une personne à l’égard d’elle-même génèrent des effets sur sa motivation, son attitude ainsi que ses comportements dans une situation donnée (Pierce, Gardner, Cummings, & Dunham, 1989). Ainsi, il semble que l’estime de soi constitue un indicateur intéressant afin de mesurer l’ajustement psychologique, le niveau d’estime de soi étant associé, selon s’il est faible ou élevé, à l’état psychologique d’un individu (Rosenberg et al., 1995). Par ailleurs, les personnes présentant une estime de soi plus élevée se montreraient plus persévérantes face aux obstacles et feraient preuve d’un plus haut niveau d’initiative dans les situations adverses que ceux présentant une faible estime de soi (Baumeister, Campbell, Krueger, & Vohs, 2003). Ainsi, un niveau d’estime de soi élevé représente un élément favorisant l’optimisation de l’ajustement psychologique d’un individu (Boden, Fergusson, & Horwood, 2008), ce qui justifie son utilisation comme variable dans la présente étude.
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