Formation initiale et continue des CPE
Les métiers de l’éducation sont des « métiers de l’humain », c’est-à-dire ces « métiers de la relation, où se rencontrent un professionnel et celles et ceux qui sont en nécessité d’apprendre, de grandir ou de guérir » (Cifali, 2012, [np]). Ils engagent les dimensions du cognitif et de la relation entre l’éducateur et l’élève. Evoquer la formation des C.P.E. nous conduit à aborder la dimension de la professionnalisation du métier, et par conséquent de sa « valorisation » (Fert, 1998, p.9). C’est une préoccupation de notre recherche que de reconnaître et faire reconnaître des pratiques professionnelles qui permettent d’aborder l’élève dans sa complexité pour mieux affronter les « risques et incertitudes » que revêtent les prises de décision de l’action éducative (Morin, 2005, p. 108).
Une approche interdisciplinaire pour appréhender la complexité des situations éducatives
L’aspect professionnalisant sous-entend une formation fondée sur l’articulation entre théorie et pratique (Boulineau, Tach et Tschirhart, 2004, p.43). La maîtrise de connaissances savantes contribue en effet à une professionnalisation à condition d’être étayée par la construction d’une expertise fondée sur l’activité (Lang, 2008, p.542). De nouvelles pratiques de formation tentent de s’appuyer sur des conceptions théoriques qui permettent de penser le travail autrement en prenant en considération les activités mais aussi les individus et les organisations dans lesquelles ceux-ci évoluent (Sorel et Wittorski, 2005, p.253). Des compétences à la fois disciplinaires et transversales sont attendues des futurs C.P.E. qui sont accompagnés dans la préparation de leur concours puis dans l’apprentissage du métier en alternance l’année suivante. Les situations éducatives complexes qui se présentent à 38 eux dans les établissements scolaires nécessitent de connaître l’institution dans laquelle ils évoluent, les enjeux éducatifs qui la touchent, le droit de la vie scolaire qui réglemente la vie dans l’E.P.L.E. et les caractéristiques des publics scolaires qu’ils rencontrent. L’originalité du métier de C.P.E. au sein du système éducatif français tient en effet dans sa vision « globale » de l’élève (Remy et al. 2010, p.197), qui se nourrit d’une approche transdisciplinaire des situations éducatives. Les épreuves du concours nécessitent la mobilisation de savoirs en sciences humaines, telles la philosophie, l’histoire, la sociologie de l’éducation et la psychologie de l’adolescent, et des connaissances du cadre institutionnel où se situe l’activité éducative. Par une approche théorique qui étaye l’analyse des pratiques vécues ou observées, les futurs C.P.E. conceptualisent ainsi des savoirs pratiques avec l’aide de formateurs disciplinaires et de tuteurs de terrain. C’est à ces savoirs pratiques que nous prévoyons de nous référer pour étudier les modalités de suivi de l’élève. Résultats de « l’expérience quotidienne » de l’éducateur (Mialaret, 2011, p.161), ils sont également éclairés par les savoirs issus de la recherche scientifique en éducation. La spécificité de la formation aux métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, réside ainsi dans une approche multidimensionnelle en s’appuyant sur trois domaines de savoirs complémentaires : les savoirs sur le réel, les savoirs pour l’agir et les savoirs dans l’action, ces derniers relevant d’une construction opérante en situation (Sorel, 2008, p.40). La formation ne peut se baser uniquement sur des savoirs académiques ni sur des modalités exclusives de compagnonnage. Il s’agit de trouver un équilibre entre la place accordée à la pratique et celle laissée à la réflexion sur les pratiques effectives, dans des dispositifs d’analyse de pratique, ou plus simplement de retours sur celle-ci, qui permettent la mise en mots de l’action par une analyse distanciée conduite avec et par les stagiaires (Altet et Chartier, 2006, p.18). La théorie est ainsi convoquée pour permettre la réflexion sur le « faire » (Laot et Malglaive, 2006. p.73).
Une professionnalisation récente de la formation dans le cadre des IUFM
Nous avons vu précédemment33 que le recrutement des S.G. s’effectuait sur la base d’une ancienneté et d’une expérience reconnues en qualité de répétiteur, puis de maître d’internat ou de surveillant d’externat. L’accès par liste d’aptitude aux fonctions de S.G. était réservé aux 32 En utilisant les deux termes, « connaissance » et « savoir », nous faisons référence à Sorel et Wittorski (2005, p.203) qui associent au premier l’idée du sujet connaissant, tandis que le savoir en tant qu’objet indépendant des conditions de sa production possède une valeur intrinsèque. 33 Chapitre 1.1.2. p.23 39 M.I.-S.E. bacheliers justifiant de cinq années de service en C.E.T., ou bien licenciés avec 3 ans d’ancienneté en lycée. Avec la création du corps des C.E.- C.P.E., le recrutement devient national par voie de concours interne et externe conformément à l’article 5 du décret du 12 août 1970. Ce dernier fera l’objet de plusieurs modifications entre 1981 et 198634 prévoyant l’intégration progressive des C.E. dans le corps des C.P.E.. C’est dans un contexte de renforcement et de complexification de la mission éducative des établissements scolaires du second degré (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2006) que les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (I.U.F.M.) prennent en charge, à partir de 1992, la formation des futurs C.P.E., le corps des Conseillers d’Education de collège-Conseillers Principaux d’Education de lycée (C.E.- C.P.E.) venant d’être unifié35 . La volonté politique est de « transformer le métier d’enseignant en profession » (Altet, 1994, p.22). Cette évolution doit permettre de passer de l’exercice artisanal du métier par l’application de règles et de techniques, à une véritable stratégie professionnelle fondée sur des savoirs rationnels et déterminée par « des objectifs et une éthique » (Ibid, p.23). Le rapport Bancel (1989) remis au ministre de l’éducation nationale pour la mise en place des I.U.F.M. insiste sur la professionnalisation de la formation et introduit le terme de professionnalité globale de l’enseignant36 . Le métier se prépare dès lors selon une démarche dite professionnalisante, « ni du côté du prescrit ni du côté de la transmission » (Sorel, 2008, p.43), visant le développement et la maîtrise d’une « culture professionnelle commune » à l’ensemble des étudiants et stagiaires se destinant aux carrières de l’enseignement et de l’éducation (Chauvigné, 2014, p.7). La diversité, la transversalité et surtout la conjugaison entre elles des compétences requises pour présenter le Certificat d’Aptitude aux Fonctions de C.P.E. (C.A.F.C.P.E.) rendent nécessaire l’intervention de professionnels de l’éducation capables de transmettre leurs savoir-faire et savoir être développés au service des élèves. C’est pourquoi la formation initiale des C.P.E. s’articule autour d’enseignements de disciplines académiques par des enseignants universitaires et d’enseignements professionnels : c’est dans ce cadre que des professionnels de terrain sont amenés à intervenir pour préparer les candidats à la méthodologie des épreuves écrites et orales du concours et accompagner les étudiants dans l’élaboration de leurs propres 34 Respectivement les décrets du 8 mai 1981, du 25 novembre 1983, du 31 décembre 1985 et du 7 octobre 1986. 35 Le décret n°2002-1134 du 5/09/02 supprimera ensuite le corps des CE. 36 Dans ce rapport intitulé « Créer une nouvelle dynamique de la formation des maîtres », les CPE ne sont pas cités. Il est uniquement fait mention de la formation professionnelle des enseignants. 40 compétences professionnelles. Avec l’intégration universitaire des I.U.F.M. par la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 200537, l’implication de C.P.E. de terrain dans la formation au concours va ensuite différer selon les universités en fonction des choix politiques opérés. En 2009, date de la première réforme de la masterisation38, les parcours de formation devenus Masters M.E.E.F. se sont particulièrement densifiés, élevant de deux années le niveau universitaire requis. Le mouvement de professionnalisation s’accentue (Paquay et al., 2012, p.8 ) pour accompagner les étudiants dans l’élaboration de pratiques efficaces en situation. Il va trouver son prolongement dans la réforme des ESPE.