Formation et intégration des médiateurs de santé-pairs dans les équipes de soins

Formation et intégration des médiateurs de santé-pairs dans les équipes de soins

Une formation universitaire spécifique

 Les MSP reçoivent une formation de 3e année de licence universitaire spécifique (Sedan, Vassy, à paraître). Une grande place est laissée aux échanges entre les étudiants pendant des créneaux horaires dédiés et certains cours. Les étudiants analysent les compétences qu’ils peuvent apporter à une équipe de soin et leurs limites. Cette formation valorise les savoirs expérientiels car un grand nombre de cours sont assurés par d’anciens MSP diplômés ou des pairs aidants professionnels (qui exercent ce métier sans avoir reçu de formation spécifique). Ils partagent deux savoirs (3) : leur savoir expérientiel (le vécu d’une maladie psychique, d’un parcours de soins et d’un rétablissement) et leur expérience de travail dans les lieux de soin, qui peut être qualifié de savoir d’action. Ces anciens MSP animent des cours en binôme avec un enseignant-chercheur ou un professionnel de santé (psychiatre, psychologue). Une partie de ces cours présentent les idées du mouvement du rétablissement, qui remet en cause les pratiques de soins actuelles (4). Ce dernier est né du mouvement étatsunien des civils rights act dans les années 1970 contre la discrimination raciale, religieuse et de genre. Dans un contexte contestataire, des anciens usagers ont milité pour changer les pratiques de l’hôpital psychiatrique considérées comme déshumanisantes. Ils souhaitaient améliorer les droits des patients et interdire l’hospitalisation sous contrainte (5). Par la suite, ce mouvement s’est mis à critiquer les pratiques médicales trop centrées sur les symptômes de la maladie et pas assez tournées vers la santé globale de la personne. Dans la formation des MSP, une grande partie des cours n’est pas fondée sur les mêmes savoirs théoriques que les études des soignants. Cela n’est pas comparable à un enseignement médical ou paramédical car il y a seulement trois cours sur les troubles psychiques et un cours sur les traitements pendant toute l’année. Certains étudiants l’ont d’ailleurs regretté. 

Travail et construction identitaire des MSP

 Comme dans tout métier, et en particulier les nouveaux métiers, les tâches des MSP sur leur lieu de travail sont en partie à définir. Elles se négocient en fonction de leurs compétences et des opportunités. Les activités qu’ils effectuent influencent de manière décisive leur identité professionnelle, à leurs yeux et auprès de leurs collègues. D’après les témoignages recueillis auprès des étudiants MSP, leur travail consiste souvent à participer à des réunions d’équipe concernant la prise en charge médico-psychosociale des usagers, à échanger avec le personnel et à discuter avec certains usagers en tête à tête, lorsque le personnel les a présentés l’un à l’autre. Mais il y a beaucoup de tâches différentes selon les structures. Parfois ils se présentent directement aux personnes soignées. Dans d’autres endroits, on leur demande de créer des ateliers, ce qui amène à d’autres types d’interactions avec les usagers.

Savoir expérientiel et rapport aux usagers 

Les principales compétences des MSP proviennent de leur savoir expérientiel et de leur capacité à le communiquer. Ils ont été recrutés par l’université et une institution de soins, qui a accepté de les embaucher en alternance pendant la formation, car ils ont développé un certain regard sur leur maladie psychique, leurs hospitalisations et les conséquences sociales de la maladie, comme la stigmatisation, la discrimination à l’emploi et le repli sur soi (6). Cependant, leur expertise présente des limites car elle est liée à leur parcours personnel. Certains événements ont beau être fréquents pour les usagers du système de santé, l’expérience qu’en a chaque personne est unique. On peut objecter que la singularité de l’expérience pourrait faire obstacle à l’empathie et au partage d’émotions entre le MSP et l’usager (7). Par exemple, une étudiante MSP a ressenti positivement l’annonce du diagnostic de sa maladie psychique. Or, elle a rencontré des personnes soignées qui ont souffert de cette annonce. Cela l’amène à interroger son savoir et l’utilité de son intervention : « La plupart des personnes que je rencontre, que j’accompagne, vivent l’annonce du diagnostic comme un coup de massue, comme si on, on les jetait dans un fossé ou on sabrait leur vie. […] ça ne relève pas de mon savoir expérientiel parce que moi, j’ai vraiment vécu l’annonce du diagnostic comme une délivrance […] et c’est vrai que ça, des fois ça me pose question. » (Etudiante 4) Les MSP peuvent être donc confrontés aux limites de la singularité de leur expérience. Certaines institutions qui les emploient considèrent que leur savoir expérientiel a une autre limite : il serait restreint à leur pathologie psychique. Des professionnels de santé ont tendance à les mettre en contact uniquement avec des usagers qui ont la même pathologie qu’eux, ce que regrette une étudiante MSP : « Après, vu que je suis bipolaire, de temps en temps ils disent (à un usager) : ‘‘Elle, elle est bipolaire, t’as qu’à (la) voir’’. Mais alors du coup on m’adressait pas de schizophrènes ou de psychotiques. C’était en pensant que j’étais pas capable de gérer. » (Etudiante 12) Or, selon certains observateurs, les savoirs expérientiels peuvent devenir communs et généralisables, quel que soit la maladie psychique (8). Le CCOMS défend ce principe. Il n’encourage pas les établissements à recruter un MSP qui a la même pathologie que les personnes soignées. En plus de son savoir expérientiel, le MSP en tant qu’(ex)-usager a un positionnement différent des soignants dans sa relation avec les soignés. En effet, le MSP a vécu, ou vit encore, des expériences en tant qu’usager dans un établissement de soin en santé mentale. Les membres du CCOMS pensent que cette perspective peut leur permettre d’insuffler un changement de pratiques chez les professionnels de santé. 

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Être d’abord un médiateur ou un pair ?

 Le CCOMS, qui s’appuie sur de nombreuses études, affirme que les MSP ont une relation plus proche et égalitaire avec l’usager que les médecins et paramédicaux, qui incarnent une forme d’autorité. Les MSP doivent jouer un rôle de médiation entre les soignants et les soignés, qui est désigné explicitement dans l’intitulé de leur fonction. Un rapport du CCOMS a mis en évidence le « bilinguisme » des MSP qui signifie la capacité à traduire le langage médical, pouvant être trop technique, à l’usager (9). Un membre de ce centre pense que l’utilité des MSP, « c’est le fait de casser la barrière symbolique entre eux (les usagers) et nous (les soignants). » Une enseignante-chercheuse de l’Université Sorbonne Paris Nord, insiste sur cette fonction, qui serait plus importante que le partage d’expérience avec les usagers : « Ce qui justifie les médiateurs de santé pair professionnels, c’est pas la pair-aidance […] c’est le fait qu’ils soient levier de transformation pratique et qu’ils permettent de faire bouger les pratiques dans le milieu psychiatrique » (Enseignantechercheuse 2). Changer les postures des professionnels de santé serait donc une mission essentielle des MSP. L’espoir de parvenir à une relation plus égalitaire entre les soignants et les soignés est également omniprésent dans le mouvement du rétablissement. Le MSP peut ainsi « incarner » ce concept pour les professionnels de santé. Mais ce rôle est questionné par les étudiants. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le titre de MSP qui ne clarifie pas toutes les caractéristiques de leur identité professionnelle. Il y a des divergences parmi les MSP sur ce qu’est leur fonction première. Une formatrice MSP diplômée a souligné dans son cours l’importance de cette fonction de traducteur à la différence des pairs aidants, qui n’ont pas reçu de formation : 9 « L’université, ça vous offre une position de médiateur parce que vous avez un savoir académique et un savoir expérientiel. Le savoir expérientiel du pair aidant et le savoir du soignant, […] c’est votre spécificité par rapport à la pair-aidance. » Mais une étudiante n’était pas d’accord avec cette définition du rôle, ni avec la formulation du titre de MSP : « Je ne fais pas de la médiation en santé, et en plus de faire de la médiation en santé, il se trouve(rait) que je suis pair. […] Le pair, c’est le plus important et il est à la fin d’un terme, d’un métier qui existe déjà ; c’est comme si c’était : ‘ah je fais de la médiation de santé, puis accessoirement je suis pair’. » (Etudiante 11) Des sociologues ont également montré les contradictions de cette double appellation de médiateur et de pair (10). Une autre étudiante souligne aussi l’ambiguïté du terme MSP et la nécessité d’improviser : « On me demande tout le temps la différence entre un pair aidant, patient expert, un MSP, et c’est flou et c’est à moi de le définir et j’ai pas les fonctions parce qu’elles existent pas. » (Etudiante 12) Il est d’autant plus difficile pour les étudiants MSP de définir leur statut que certains d’entre eux sont recrutés sur des intitulés vagues d’emplois de la nomenclature hospitalière, comme adjoint administratif, accompagnateur médico-social sans avoir le titre de MSP.

Table des matières

Introduction
1. Une formation universitaire spécifique
2. Travail et construction identitaire des MSP
a. Savoir expérientiel et rapport aux usagers
b. Être d’abord un médiateur ou un pair ?
c. Les MSP sont-ils des soignants ?
3. La résistance des soignants à l’arrivée des MSP
a. Ecart entre la théorie et les pratiques de travail
b. Personnel non formé à l’arrivée du MSP
c. Quand le chef impose le MSP dans le service
d. Le MSP doit convaincre les soignants
e. La formation du MSP est privilégiée à celle des équipes
Conclusion
Bibliographie
Annexe bibliographique

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