Formation d’analogues de poussières d’étoiles en laboratoire

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Formation des poussières dans les étoiles évoluées

Dans cette thèse, nous nous intéressons plus particulièrement à la formation des poussières d’étoiles (« stardust »). Celles-ci sont liées aux pertes de masse des étoiles évoluées. Environ 90 % de ces pertes proviennent des étoiles de la branche asymptotique des géantes (AGB) [14,15]. Le reste se situe principalement au niveau des supernovas. Les conditions de température et de pression pour lesquelles les poussières se forment ne sont que partiellement caractérisées. De plus, d’une étoile à l’autre, des processus de nucléosynthèse différents impliquent une composition différente à la surface de l’étoile, ce qui affecte la composition chimique.
Par exemple, les étoiles AGB, étoiles de masse moyenne (0,8 M⊙ à 8 M⊙), perdent entre 50 % et 70 % de leur masse par des vents stellaires. Les éléments principalement retrouvés dans les enveloppes d’étoiles sont l’oxygène, le carbone et l’azote créés par nucléosynthèse [16] et quelques éléments lourds résiduels (Si, S, Al, K, Fe, Na, Mg et Ca). En revanche, les étoiles massives qui évoluent vers des SN (8 M⊙ à 40 M⊙) ne donnent pas lieu à une perte de masse progressive puisque l’étoile centrale explose et éjecte violemment de la matière autour d’elle. Des poussières se forment dans les différentes couches éjectées, chacune de ces couches ayant des éléments dominants [17]. L’intérêt de ces étoiles pour la composition des poussières est la présence d’éléments lourds comme des métaux. Néanmoins, le rôle des chocs générés par l’explosion dans la destruction et la reformation de ces poussières doit être étudié [18].
Chaque étoile évoluée possède donc des conditions spécifiques de formation de poussières qui restent trop partiellement définies par les observations. Néanmoins, le schéma présenté sur la figure 1-2 montre les étapes principales admises qui mènent à l’injection de poussières d’AGB dans le MIS. Dans un premier temps, les espèces élémentaires ou moléculaires émises par l’étoile permettent une étape de nucléation pour former des germes des poussières qui pourront ensuite croître par accumulation de matière et former des grains. Ces grains vont être injectés dans le MIS diffus où ils vont être soumis au rayonnement UV du champ de rayonnement interstellaire.
Figure 1-2 : Schéma représentant la formation et le devenir des poussières dans le cas d’une géante rouge. En vert, étoile oxygénée, en bleu, étoile carbonée.
Historiquement, la question de la formation des grains dans les enveloppes d’étoiles a été traitée en utilisant des considérations thermodynamiques. Pour une composition élémentaire du gaz, il est possible de prévoir en fonction de la température et de la pression la nature des solides pouvant se former [19]. Un exemple est présenté sur la figure 1-3 d’après [20]. Ces graphiques montrent la température de condensation de différents éléments en fonction de la pression pour une composition du gaz fixe. Ces modèles basés sur l’équilibre thermodynamique permettent de déterminer quels sont les solides les plus stables dans les milieux considérés. Lorsque les espèces s’éloignent de l’étoile, la température de l’environnement diminue, et de ce fait dans le cadre de ce modèle, différents types de solides sont susceptibles de se former.
Figure 1-3 : Schéma de condensation pour une composition du gaz a) solaire et b) d’une étoile carbonée.[20]
La composition du gaz, la température et la pression influencent fortement la nature des solides formés. Un paramètre important de la composition est le rapport C/O. Le schéma d’AGB présenté sur la figure 1-2 prend en compte le fait que le monoxyde de carbone est une espèce particulièrement stable y compris dans la photosphère de l’étoile. À l’équilibre, seul l’élément dominant (C ou O) resterait donc disponible pour former des poussières. La figure 1-3 donne deux exemples de schéma de condensation pour deux rapports C/O différents. Un autre exemple donné dans la figure 1-4 concerne l’évolution des températures de condensation en fonction du rapport C/O pour une pression fixée. Une forte transition entre des familles de solides a lieu lorsque la valeur du rapport C/O est proche de 1. Ainsi pour des étoiles riches en oxygène (étoiles M), les grains formés seraient plutôt de type oxydes (Al2O3, Mg2SiO3…). Pour des étoiles plus riches en carbone (étoiles C), les grains formés seraient dominés par le carbone (SiC, TiC, C,…).
Figure 1-4 : Séquence de condensation en fonction de la température et du rapport C/O pour une composition du gaz correspondant à l’enveloppe solaire.[21]
Les modèles de condensation discutés ci-dessus permettent de discuter la nature des solides formés dans un gaz atomique à l’équilibre thermodynamique. Néanmoins il est difficile de ne pas inclure des considérations cinétiques dans les modèles de formation d’étoiles. La formation des grains dépend en effet d’autres facteurs, comme la présence de sites de nucléation, mais aussi la dynamique liée à l’expansion de l’enveloppe de l’étoile qui implique la nécessité de considérer des taux de réactions chimiques [15]. Cette cinétique chimique peut influencer la composition par rapport au cas à l’équilibre thermodynamique, mais surtout est déterminante pour la taille et la morphologie des poussières.
Les sites de nucléation des grains peuvent être des éléments ou des molécules ayant la possibilité d’amorcer les processus de croissance. Différents précurseurs peuvent être considérés en fonction de la composition des étoiles.
Les molécules de SiO, et H2O sont considérées comme de bons germes dans les étoiles oxygénées, car elles possèdent une liaison très stable leur permettant de se former relativement proche de l’étoile et d’être abondantes. Avec des éléments comme le Mg et le Fe, elles permettraient de faire croître des espèces silicatées. Des composés basés sur l’aluminium (Al) [22], le titane (Ti) ou le calcium (Ca) peuvent aussi être considérés pour la formation des poussières. L’aluminium est privilégié, car il est considéré comme une espèce abondante par rapport au titane et on le retrouve notamment dans les météorites. À 1200 K, il est présent sous forme d’atomes (Al) tandis qu’à des températures inférieures on le trouve sous la forme de AlOH ou Al2O [15,23].
Des considérations similaires sur les précurseurs des poussières sont faites pour les étoiles carbonées. Du fait de la forte présence d’hydrogène, l’acétylène (C2H2) et l’éthynyle (C2H) sont considérés comme des précurseurs principaux [15]. Les agrégats de carbone C2 sont les molécules prédominantes à haute température dans la photosphère des étoiles et pourraient donc être le seul précurseur possible en cas de nucléation de poussières dans cette région. Ce type de précurseur permet d’envisager la croissance d’agrégats de carbone hydrogénés [24] ou d’hydrocarbures aromatiques polycycliques [25]. Ces PAHs pourraient ensuite être des précurseurs de poussières carbonées [26]. Des grains de SiC sont également observés dans les enveloppes d’étoiles carbonées [27]. Pour ces grains, des précurseurs envisagés sont Si2C et SiC2.[28]

Formation d’analogues de poussières d’étoiles en laboratoire

L’astrophysique de laboratoire est une activité interdisciplinaire qui apporte les données physiques et physico-chimiques nécessaires à l’interprétation des observations astronomiques et aux analyses in situ en planétologie.
Dans le cadre des poussières cosmiques en général et des poussières d’étoiles en particulier, différentes approches sont mises en place en laboratoire impliquant :
1. La fabrication d’analogues en laboratoire, c.-à-d. de grains dont les propriétés spectroscopiques en particulier dans l’infrarouge sont comparables aux spectres astronomiques [29].
2. La simulation de processus physico-chimiques afin de comprendre –(i)- les mécanismes de formation possibles des poussières en fonction des conditions physico-chimiques de l’environnement et –(ii)- l’évolution physico-chimique de ces poussières dans les différents milieux (impact du rayonnement ultraviolet, des chocs, des interactions gaz-grains…).
3. L’analyse de matière extraterrestre : les météorites peuvent contenir des poussières d’étoiles. En identifiant ces poussières, il est possible d’avoir de nouvelles contraintes sur les conditions dans lesquelles elles se sont formées [9].
Différentes techniques ont été utilisées pour la fabrication d’analogues de poussières d’étoiles comme l’ablation laser d’une cible de composition connue (graphite en particulier) [30] ou la décomposition d’hydrocarbures dans un milieu chaud (combustion ou pyrolyse) [31,32]. D’autres expériences que nous discuterons plus en détail dans la suite de ce manuscrit ont fait appel à la décomposition d’un précurseur moléculaire dans un plasma [33,34]. Les signatures spectroscopiques de ces poussières ont ensuite été caractérisées dans l’infrarouge et parfois dans l’ultraviolet. L’utilisation de silicates de composition connue a permis d’établir l’attribution des bandes d’absorption ou d’émission de ces composés dans l’infrarouge [35–37]. Des analogues permettant de reproduire la bande d’absorption des carbones aliphatiques à 3,4 µm ont été produits [38]. Certaines études reportent également une caractérisation de la structure des poussières et éventuellement de la composition du matériau. C’est ainsi que Carpentier et al. [31] ont pu montrer une évolution de la position de la bande autour de 6,2 µm par rapport à celle autour de 7,7 µm sur des suies en lien avec leur nanostructuration. L’évolution de ces bandes permettrait de rendre compte de la variabilité des positions observées dans les milieux astrophysiques. Il est important dans toutes ces expériences de considérer le fait que les conditions de laboratoire ne permettent pas de reproduire les conditions rencontrées dans les étoiles. C’est un sujet de recherche qui doit donc avancer par confrontation des résultats obtenus avec les observations, mais également avec d’autres modèles ou expériences.
La formation d’analogues de poussières cosmiques permet d’étudier en laboratoire leur rôle potentiel dans la physico-chimie des milieux astrophysiques. Par exemple, des expériences ont montré que le passage d’un flux d’acétylène sur des grains de SiC permet de former des HAP [39]. Un film de carbone amorphe a été formé par un plasma CH4/He pour reproduire la bande aliphatique en absorption à 3,4 µm et l’impact du rayonnement cosmique sur les porteurs de cette bande a été étudié [40]. Un autre type d’études consiste à progresser dans notre compréhension des processus mis en jeu dans la formation des poussières cosmiques en simulant l’effet de certains paramètres physiques et chimiques. Par exemple, l’effet des précurseurs moléculaires dans la formation des HAP a été étudié [33].
Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéressons au rôle de la composition du gaz, et plus spécifiquement du rapport C/O et de la présence de métaux. Nous tirons profit pour ces études des plasmas poussiéreux, car ils permettent dans une certaine mesure de réaliser des études pendant la formation de la poussière, de contrôler la composition du gaz et de récolter les poussières pour les analyser.

Les plasmas poussiéreux

La formation de poussières dans les plasmas de laboratoire a été observée dès 1924 par Langmuir et al. [41] et est depuis le sujet de recherche à la fois fondamentale et applicative. La formation de poussières dans des procédés de microtechnologies comme des gravures du silicium ou la déposition de films minces a d’abord été considérée comme une contamination à cause d’une dégradation des propriétés finales recherchées. Les efforts de la communauté plasma pour comprendre la formation de poussières dans les plasmas réactifs étaient donc motivés par l’intérêt à éviter cette contamination. La compréhension de la formation des poussières est aussi d’un intérêt fondamental pour des applications telles que la fusion nucléaire où la formation de poussières est observée dans les réacteurs type Tokamak [42]. Aujourd’hui, la recherche sur la formation des poussières dans des plasmas est orientée vers l’objectif d’en tirer profit pour la fabrication de matériaux nanocomposites. Par exemple, l’incorporation de particules d’argent formées à l’aide d’un plasma a des applications biomédicales [43,44] optiques [45] et électroniques [46,47]. La synthèse de nanoparticules de silicium dans un plasma réactif permet de considérer le dépôt en couches minces de nanocomposites pour la fabrication de panneaux photovoltaïques de troisième génération [48]. Enfin, comme nous l’avons vu dans la section précédente la formation de poussières dans un plasma réactif peut être utilisée pour contribuer dans le domaine d’astrophysique de laboratoire par la synthèse d’analogues de poussières cosmiques.
Dans cette partie, nous nous intéressons à la formation de poussières dans des plasmas de laboratoire, dits plasmas froids. Nous faisons état de quelques généralités sur les plasmas froids. Nous nous intéresserons ensuite aux différentes méthodes permettant de former des poussières puis nous discuterons leur impact sur le plasma.

Plasma froid : grandeurs physiques

L’objectif de cette partie est de présenter brièvement quelques grandeurs physiques utilisées pour caractériser un plasma. Nous n’entrerons pas dans les détails et présenterons seulement des caractéristiques indispensables à la compréhension des phénomènes liés à la formation de poussières dans les plasmas froids.
Le plasma est un milieu gazeux dans lequel les différentes espèces (électrons, ions et neutres) sont libres de se mouvoir dans l’ensemble des directions spatiales. On trouve la différence entre ce milieu et un gaz classique, constitué exclusivement par des espèces électriquement neutres (atomes et molécules) dans la nature d’interactions entre les espèces chargées. Pour distinguer le plasma d’un gaz classique, on définit le degré d’ionisation $% par [49] : $% = ‘% (1-1) ‘% +) où N représente la densité d’espèces neutres et ni la densité d’ions. Pour des degrés d’ionisation faibles a < 10-4, ce qui est le cas de la plupart des plasmas de laboratoire, on parle plutôt de gaz ionisé que de plasma du fait du faible pourcentage des espèces chargées par rapport à la présence des atomes et des molécules neutres dans le milieu. L’agitation thermique des électrons dans ce type de plasmas est faible. À cause de cette faible vitesse thermique comparée à celle acquise par accélération dans le champ électrique créé par la charge d’espace, ces plasmas sont appelés plasmas froids. La dynamique des plasmas froids est dominée par des processus élémentaires de collisions électrons/neutres.

Table des matières

Chapitre 1 : Contexte de la thèse
1-1 Contexte astrophysique
1-1-1 Les poussières : des étoiles au milieu interstellaire
1-1-2 Formation des poussières dans les étoiles évoluées
1-1-3 Formation d’analogues de poussières d’étoiles en laboratoire
1-2 Les plasmas poussiéreux
1-2-1 Plasma froid : grandeurs physiques
1-2-2 Source de formation des poussières
1-2-3 Interactions poussières plasma
1-3 Plasmas poussiéreux et poussières cosmiques
1-3-1 Projets
1-3-2 Objectifs de la thèse
Chapitre 2 : Matériels et méthodes
2-1 Présentation du réacteur plasma froid
2-2 Caractérisation des processus in situ du plasma
2-2-1 Tension d’autopolarisation et pulvérisation cathodique
2-2-2 La spectroscopie d’émission optique
2-2-3 Analyse de la composition moléculaire in situ
2-3 Caractérisation morphologique des poussières par microscopie électronique
2-3-1 Microscopie électronique à balayage (MEB)
2-3-2 Microscopie électronique à transmission (MET)
2-4 Caractérisation de la composition en surface des poussières
2-5 Analyse de la structure chimique des échantillons
2-6 Analyse de la composition moléculaire
Chapitre 3 : Synthèse et caractérisation de poussières organosiliciées
3-1 Conditions opératoires
3-2 Formation des poussières dans le plasma
3-2-1 Réponse du plasma à l’injection d’HMDSO
3-2-1 Évolution des paramètres plasma
3-2-2 Composition moléculaire du plasma dans un mélange Ar/HMDSO
3-2-3 Bilan de la réponse plasma lors de la formation des poussières
3-3 Contrôle de la morphologie des poussières
3-3-1 Structuration des poussières collectées
3-3-2 Tailles des poussières
3-4 Composition des poussières collectées
3-4-1 Analyse de la composition atomique des poussières
3-4-2 Structure organosiliciée des poussières
3-4-3 Rôle des paramètres expérimentaux sur la structure organosiliciée des poussières
3-4-4 Composition moléculaire des poussières
3-5 Conclusion du chapitre
Chapitre 4 : Impact de l’oxygène sur la formation des poussières par voie plasma
4-1 Impact de l’oxygène sur la formation des poussières in situ
4-1-1 Estimation du rapport C/O
4-1-2 Transition entre régime poussiéreux et non poussiéreux en fonction du rapport [C]/[O]
4-1-3 Effets sur la nucléation des poussières
4-1-4 Effets sur la croissance des poussières
4-2 Impact de l’oxygène sur les poussières collectées
4-2-1 Définition des conditions
4-2-2 Morphologie des dépôts : poussières ou matrice ?
4-3 Évolution de la composition avec l’oxygène
4-4 Conclusion du chapitre
Chapitre 5 : Synthèse de poussières composites organosilice/argent
5-1 Formation des poussières en présence d’argent
5-2 Mise en évidence de nanoparticules d’argent
5-2-1 Imagerie par microscopie électronique
5-2-2 Confirmation de la composition des nanoparticules
5-2-3 Considération sur la masse des nanoparticules
5-3 Composition des poussières collectées
5-3-1 Analyse XPS
5-3-2 Analyse par spectroscopie infrarouge
5-4 Conclusion : lien entre poussières et nanoparticules d’argent
Chapitre 6 : Processus physico-chimiques en présence d’argent révélés par une analyse moléculaire des poussières
6-1 Synthèse et caractérisation moléculaire des échantillons composites
6-1-1 Conditions expérimentales
6-1-2 Complément d’analyse du chapitre 5
6-1-3 Composition moléculaire in situ
6-1-4 Composition moléculaire des échantillons
6-2 Formation des poussières organosiliciées et nanoparticules d’argent
6-2-1 Poussières organosiliciées
6-2-2 Nanoparticules d’argent
6-3 Origine des molécules hydrocarbonées
6-3-1 Analyse en familles
6-3-2 Processus physico-chimiques liés aux molécules hydrocarbonées
6-4 Conclusion du chapitre
Conclusion générale et perspective
Bibliographie
Sigles et abréviations
Annexe A : Protocole expérimental plasma
Annexe B : Spectre infrarouge du carbonate d’argent
Annexe C : Résultats E4 et E5 (chapitre 6)
Annexe D : Étude en température des poussières composites

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