FORMALISATION DU MODELE ORGANIQUE DE L’EXPERIENCE POUR L’OBSERVATION D’EXPERIENCE SE FAISANT
Classification des formalisations existantes du modèle organique de l’expérience
À l’état de notre connaissance, il n’existe aucune formalisation existante des travaux de la philosophie du processus dans le domaine de l’expérience client. Partis de ce constat, nous nous sommes donc posé les questions suivantes : Quelles sont les formalisations existantes du modèle organique de l’expérience ? Comment les relier à notre travail et à l’expérience client ? Pour répondre à ces questions nous avons développé, à partir de nos recherches, une classification originale de ces travaux en quatre domaines dans laquelle nous situerons spécifiquement notre travail.
Premier domaine, les formalisations méréotopologiques
Le premier domaine de formalisation du modèle organique de l’expérience est historique et vient directement de la « méthode de l’abstraction extensive » développée dans (Whitehead, 1919b, Chapitre IV). Il s’agit de la méréotopologie18, théorie de premier ordre logique, incarnant des concepts méréologiques et topologiques, des relations entre les ensembles, les parties, les parties de parties, et les frontières entre les parties. Avec la méthode de l’abstraction extensive, Whitehead traite la relation de connexion extensive entre événements pour tenir compte de la théorie de l’étendue en physique, en mathématiques et en géométrie. Présentée dans le chapitre précédent, la relation de connexion extensive est au départ une méréologie.
La méréologie est considérée comme une collection de systèmes formels axiomatiques qui traitent des relations entre la partie et le tout19. Il reprend sa méréologie initiale différemment dans Procès et Réalité (1929) dans la quatrième partie « La théorie de l’extension » (qui comprend 5 chapitres). Cette modification correspond à certaines erreurs de ses travaux de 1919 qui sont corrigés, notamment du fait du travail important et de la collaboration avec le Professeur Laguna (1922). La théorie de l’extension devient alors une méréologie complète et l’une des fondations de la méréotopologie sans pour autant qu’elle soit nommée ainsi à l’époque. Il faut attendre les travaux de (Clarke, 1981 ; Clarke, 1985) qui se basent strictement sur la théorie de la connexion extensive de Procès et Réalité pour formaliser mathématiquement la méréologie de Whitehead. C’est la première axiomatisation formelle de la théorie de l’abstraction extensive.
Ce n’est que plus tard que (Casati et Varzi, 1999), dans leur ouvrage de référence sur les ontologies spatiales, montrent que la méréologie de Whitehead dans Procès et Réalité est formellement insuffisante et qu’il faut apporter une topologie à cette dernière. Ainsi, selon la classification que proposent (Casati et Varzi, 1999), ils affirment que l’approche Whiteheadienne s’inscrit dans la Strong Mereotopology (SMT), à savoir que les connexions entre régions sont réflexives, symétrique et extensionnelle (transitive). Ces travaux montrent comment le modèle organique de l’expérience a été formalisé, d’abord comme une méréologie, puis comme une méréotopologie. À partir de ce constat, nous nous sommes questionnés sur les usages existants de la méréotopologie dans le but de nous forger une conviction sur la possibilité d’utiliser cette formalisation pour l’observation d’expérience se faisant. Ainsi, parmi les principales applications, on trouve les champs suivants : • L’intégration de calculs méréotopologiques dans les outils des systèmes d’information géographiques, les SIG (ou GIS pour Geographic Information System en anglais). Cet aspect est logique puisque ces outils vont utiliser les relations topologiques comme point d’entrée de la modélisation géographique (Smith, 1996). • Dans une visée plus fonctionnelle, on va également trouver des outils de conception assistée par ordinateur (CAO, ou computer-aider design, CAD en anglais). Ces derniers exploitent plutôt la méréologie (mais aussi la topologie, pour la conception mécanique comme chez Gruhier, 2015) de type parties-tout pour modéliser des systèmes, au niveau fonctionnel (Demoly et al., 2012) ou alors organique (Yamamoto et al., 2014). • En conception, au-delà de la CAO, notamment en ingénierie, il commence à y avoir un champ d’application, la Design Mereotopology (DMT), par exemple dans (Salustri, 2002 ; 2013) pour la modélisation de produits, mais qui peut aussi être utilisée pour faire de la gestion de configuration, des bases de données d’exploitation, et bien sûr la modélisation de systèmes. • Ensuite, on retrouve des travaux sur les ontologies en biologie (Randell et al., 2013). L’annotation d’une entité biologique (par exemple un génome ou bien une « réaction » chimique, des morphologies, des stades de développement, des anatomies, etc.) bénéficie des concepts de la méréotopologie. Mais comme on reste dans le domaine des ontologies, les acteurs sont plus intéressés par les relations taxonomiques, que réellement méréotopologiques. • Plus proches de nos travaux, en sciences humaines, on retrouve les travaux autour de la proxémie qui cherchent à comprendre les relations sociales qui s’exercent sur le territoire de tout être vivant et qui, chez l’homme, deviennent culturelles (Hall, 1966).
La méréotopologie de Whitehead et la représentation du corps sont combinées pour fournir une représentation informatisée de ce que qui est expériencé par le corps (Stell, 2017). • On retrouve ensuite, et en directe application du point précédent, les applications de type « robotiques ». Il s’agit d’organiser la navigation d’une entité mobile partiellement autonome sur un territoire (Laugier et Chatila, 2007), et où il faut exploiter des représentations de l’espace, par exemple les régions d’un immeuble et leurs connexions pour identifier comment le robot peut retrouver un objet, etc. • Enfin, toujours dans le domaine des sciences humaines, en linguistique, il y a des applications pour caractériser des expressions impliquant des relations parties-tout ou bien des relations spatiales complexes (Smith, 1996). En ce cas, il s’agit d’un secteur spécialisé d’extraction de termes et de patterns avec des outils de traitement du langage naturel (NLP pour Natural Language Processing en anglais).