Fondements et justifications de la protection

« The Rational Basis of Trademark Protection »
Dans son article, F. Schechter commence par constater que les deux fonctions historiques de la marque – indiquer l’origine ou la propriété des biens – seraient devenues obsolètes . Sa prémisse est originale en ce que, pour lui, la fonction essentielle de la marque résiderait plutôt dans sa capacité à vendre, à créer et à retenir l’habitude chez le consommateur ; pour le dire simplement, ce serait elle qui « vend les produits ». Une place centrale est dès lors accordée au fruit des efforts ou de l’ingéniosité de son titulaire dans l’accumulation de goodwill : son unicité. En plus de définir son concept phare comme la viciation de celle-ci, F. Schechter la lie étroitement à l’étendue de la protection : plus le caractère distinctif d’une marque est élevé, plus son empreinte sur l’esprit du consommateur est forte et plus, selon lui, celle-ci devrait être protégée. Le corollaire de ceci est également que seules les marques inventées, « fantaisistes » ou « arbitraires » bénéficieraient de la protection. Absent le caractère unique, il est difficile de concevoir un préjudice en l’absence de confusion . En somme, « the preservation of the uniqueness of a trademark should constitute the only rational basis for its protection ».

L’idée sous-jacente à la dilution est que plus un symbole commercial est utilisé, plus il perd de son effet sur le consommateur. R. Brown donne l’exemple de la couleur rouge : celleci peut être plus marquante que d’autres, mais sa force d’attraction est perdue si la moitié des conditionnements d’un rayon de supermarché sont rouges. Ceci nous amène à la spécificité même de la protection en question : il n’est pas exigé que le contenu de ces emballages soit similaire, que leurs fabricants se trouvent dans une situation de concurrence ou que les consommateurs risquent d’être confus quant à l’origine des produits. F. Schechter voyait en effet dans la sophistication croissante des atteintes liées au commerce moderne le besoin de combler le vide laissé par la protection en l’absence d’un tel risque. Ainsi, devant un piano BMW, le consommateur ne va pas penser que c’est le constructeur automobile qui est à l’origine de l’instrument. L’unicité de la marque va cependant être « grignotée » par les liens additionnels créés en relation avec d’autres produits ou services. Son magnétisme commercial s’affaiblissant et, corrélativement, sa valeur diminuant, la marque se retrouve « diluée ».

Consécration de la protection étendue
F. Schechter est considéré comme le père de la « théorie de la dilution ». Son article a été l’objet d’éloges comme de virulentes critiques – visant principalement l’abandon des frontières traditionnelles de la protection – et a suscité de nombreux débats doctrinaux. Au point, non seulement de devenir le plus cité de l’histoire du droit des marques, mais également d’être à l’origine de plusieurs lois « anti-dilution » d’États fédérés américains . La jurisprudence de ces États a inspiré le droit fédéral américain mais également, dans une certaine mesure, celui de l’UE. Cependant, l’influence du Benelux à cet égard fut plus déterminante. En effet, l’article 13, sous A, alinéa 2 ancien de la loi uniforme Benelux sur les marques démontrait une certaine volonté de protéger en l’absence de risque de confusion . Celui-ci a notamment été utilisé dans Claeryn/Klarein par la Cour de justice Benelux, cette  dernière décidant que la marque de genièvre serait ternie par l’utilisation d’une marque similaire pour un détergent liquide. Dès lors qu’il s’agissait pour ces derniers de ne pas devoir diminuer le niveau de protection accordé au moment de l’harmonisation européenne en 1988, cette disposition est vue comme un modèle partiel de l’article 5(2) de la directive 89/104/CEE . Comme nous aurons néanmoins l’occasion de nous en apercevoir, le droit européen a développé ses propres règles et concepts. Cela n’est toutefois pas une raison pour désavouer des origines soulignées, notamment, par les avocats généraux Jacobs et Jääskinen . Alors même que la protection étendue devenait réalité au niveau communautaire, elle échouait pour la troisième fois devant le Congrès des États-Unis. Après les échecs de 1932 et de 1946, celui de 1988 trouve sa cause dans les craintes d’une nation jalouse de ses droits garantis par le premier amendement. Certains y voient un certain paradoxe étant donné que ce pays est vu par beaucoup comme le berceau de la dilution. Quoi qu’il en soit, le Federal Trademark Dilution Act est sans équivoque quant à l’absence de condition de concurrence ou de risque de confusion. Le FTDA n’est cependant pas un exemple de clarté. Parmi les nombreux problèmes qui en ont résulté figure un arrêt de la Cour suprême doutant de la consécration du ternissement et rendant pratiquement impossible la preuve de la dilution . Afin de clarifier la volonté du législateur, le Trademark Dilution Revision Act a été promulgué en 2006. Ses apports  seront abordés dans le troisième chapitre.

Au niveau international, l’article 16(3) de l’Accord sur les ADPIC étend les droits conférés aux marques notoirement connues par l’article 6bis de la Convention de Paris « aux produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels une marque de fabrique ou de commerce est enregistrée ». D’aucuns y trouvent une consécration de la doctrine préconisant la protection étendue. Le « lien » ferait ainsi référence à l’association mentale causée par des usages diluant le caractère distinctif de la marque quand « nuire » évoquerait le ternissement de celle-ci. Des auteurs comme D. Gervais et W. Mostert interprètent le paragraphe 3 comme établissant des normes minimales en la matière. Nous verrons infra que la question est controversée. Quoi qu’il en soit, une reconnaissance internationale peut assurément être trouvée dans la Recommandation commune concernant des dispositions relatives à la protection des marques notoires .

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I. FONDEMENTS ET JUSTIFICATIONS DE LA PROTECTION
SECTION 1. ORIGINES ET POSTÉRITÉ
§ 1. « The Rational Basis of Trademark Protection »
§ 2. Consécration de la protection étendue
§ 3. Condamnation du free riding et de la concurrence déloyale
A. Influences médiates et immédiates
B. Soubassements théoriques
SECTION 2. DÉVELOPPEMENTS CONCEPTUELS RÉCENTS
§ 1. L’image de marque
A. « Autres fonctions » et brand equity
B. Protection de l’élément intangible du bien
§ 2. Coûts de recherche et associations
A. Les explications du juge Posner
B. Modélisation cognitive et soutien empirique
CHAPITRE II. CRITIQUES DE LA PROTECTION ÉTENDUE
SECTION 1. INUTILITÉ
§ 1. Controverse sur l’existence d’une obligation internationale
§ 2. Critique de l’incentive rationale
§ 3 Contestation de la normativité du modèle cognitif
§ 4. Absence de besoin du titulaire de la marque antérieure
§ 5. Doutes sur son intérêt pour le consommateur
SECTION 2. FRAGILITÉ THÉORIQUE
§ 1. Réfutation des justifications liées à la valeur de la marque
§ 2. Réfutation des justifications éthiques
§ 3. Réfutation des justifications économiques
SECTION 3. NOCIVITÉ
§ 1. Nocivité pour la sécurité juridique
§ 2. Nocivité pour la concurrence
§ 3. Nocivité pour les bénéficiaires et destinataires de la protection
§ 4. Nocivité pour la liberté d’expression
§ 5. Nocivité pour le domaine public
CHAPITRE III. COMPARAISON DES MODÈLES EUROPÉEN ET AMÉRICAIN
SECTION 1. RENOMMÉE ET NOTORIÉTÉ
§ 1. Union européenne
§ 2. États-Unis
§ 3. Conclusion comparative et critique
SECTION 2. EXISTENCE D’UN LIEN
§ 1. Union européenne
§ 2. États-Unis
§ 3. Conclusion comparative et critique
SECTION 3. EXISTENCE D’UNE ATTEINTE
§ 1. Dilution
A. Union européenne
B. États-Unis
C. Conclusion comparative et critique
§ 2. Ternissement
A. Union européenne
B. États-Unis
C. Conclusion comparative et critique
§ 3. Parasitisme
A. Union européenne
B. États-Unis
C. Conclusion comparative et critique
SECTION 4. LIMITATIONS ET EXCEPTIONS
§ 1. Union européenne
§ 2. États-Unis
§ 3. Conclusion comparative et critique
CONCLUSION 

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