Fonctionnement hydrologique d’un karst sous couverture

Les systèmes karstiques, leur fonctionnement, leur modélisation

Le mot karst puise ses racines dans le langage pré-indoeuropéen (Karra), où il signifiait «pierre» . Après diverses évolutions, il a notamment été employé, sous la forme de « kras » ou « kars », pour désigner une région particulière en Slovénie. Les caractéristiques particulières de ces paysages slovènes, plateaux calcaires incluant de nombreuses grottes et circulations d’eau souterraine, furent étudiées dès la fin du 19e siècle, par exemple par Von Mojsisivics (1880) (Bakalowicz 2005). L’emploi du mot “karst” s’est par la suite répandu dans le monde et a été appliqué à tous les systèmes présentant des formes et fonctionnements similaires.
Ford et Williams proposent la définition suivante du karst : Le karst peut être défini comme un terrain avec une hydrologie et des formes superficielles spécifiques, qui proviennent de la combinaison entre une très forte solubilité des roches et une porosité secondaire bien développée (fractures et conduits). Les terrains karstiques sont caractérisés par des pertes de rivières, des grottes, des formes cannelées, des dépressions observées en surface et des sources de débits importants.
Les caractéristiques complexes des aquifères karstiques (haute hétérogénéité créée et organisée par les flux d’eau souterrains, cavités importantes, vitesses d’écoulement élevées, sources atteignant des débits de l’ordre de la dizaine de m3/s) les placent à part des autres aquifères, et les méthodes employées en hydrogéologie classique ne peuvent s’appliquer.
Les roches carbonatées, principal siège des systèmes karstiques, occupent une superficie estimée à 12% des terres émergées, 7 à 10% des terres émergées seraient des terrains karstiques. Cette estimation néglige toutefois les karsts sous couverture, ou situés dans des formations profondes, et la proportion d’aquifères karstiques pourrait être bien plus importante. Ces aquifères karstiques produisent autour de 25% de l’eau potable dans le monde, avec parfois des proportions plus larges selon les pays (40% aux Etats-Unis par exemple).

Ressources , risques et enjeux associés au karst

Avec l’augmentation de la démographie au cours du siècle, les activités humaines impactent de plus en plus notre environnement, y compris les ressources en eau. De multiples facteurs peuvent jouer un rôle soit protecteur soit aggravant dans la vulnérabilité de systèmes, comme la géologie, l’hydrogéologie, la géomorphologie, la biodiversité, le climat, parmi d’autres. En considérant la géologie de surface et souterraine, les systèmes les plus vulnérables sont ceux qui mettent directement en lien la morphologie de surface et les ressources en eaux souterraines, autrement dit: les karsts . Au-delà des potentielles pollutions anthropogéniques des aquifères karstiques, souvent exploités pour l’alimentation potable, d’autres risques sont liés au karst : inondations, effondrements. Cette vulnérabilité des systèmes karstiques pose des problèmes opérationnels vis à-vis de l’exploitation des ressources d’eau potable (AEP), alors qu’un grand nombre de sources karstiques sont exploitées dans le monde. Afin d’estimer au mieux les risques s’exerçant sur la ressource et de mettre en œuvre des stratégies de protection, plusieurs méthodes d’estimation et de cartographie de la vulnérabilité ont été proposées dans la littérature : EPIK REKS, RISKE , PI, KARSTIC , les méthodes COP , COP+K et Protekarst , et PaPRIKa.

Quelques repères : compartiments et schémas conceptuels du karst

La morphologie karstique peut être décrite en considérant l’exokarst, c’est-à-dire les formes karstiques de surface, et l’endokarst, éléments karstiques souterrains. L’exokarst inclut par exemple les dolines, poljés, lapiaz, reliefs ruiniformes, ainsi que les formes d’entrée vers les systèmes souterrains, comme les avens ou les pertes. L’endokarst comprend les réseaux karstiques souterrains et les grottes. Les formes de sortie des systèmes karstiques sont les sources karstiques, les résurgences, les sources de trop plein…
Compartiments : Le karst se compose d’une zone non-saturée ou vadose en anglais (elle-même divisée entre sol et épikarst, et une zone de transmission ou transition), et d’une zone saturée. La zone d’infiltration comprend le sol et l’épikarst. Le concept d’épikarst a été introduit par Mangin (1975) et Williams (1983) comme une zone de surface karstifiée, de très haute perméabilité, située immédiatement sous le sol s’il existe, et à l’air libre sinon. Les carbonates proches de la surface sont fortement altérés et présentent une porosité secondaire de fractures/fissures de l’ordre de 10 à 30% (Williams 2008). Le plus souvent, l’épaisseur de l’épikarst varie entre 3 et 10 mètres, mais ses caractéristiques varient fortement selon la lithologie et la morphologie (Klimchouk 2004). Cette forte porosité et perméabilité contrastant avec celles des zones inférieures, un stockage d’eau plus ou moins important peut avoir lieu dans l’épikarst. Ces stockages plus ou moins temporaires sont alors considérés comme des aquifères perchés, les aquifères épikarstiques. Différents auteurs ont étudié les capacités de stockages des aquifères, parfois en les intégrant à des modèles numériques (Perrin et al 2003b).
La variabilité temporelle de l’infiltration a été étudiée (Delbart et al 2014). L’épikarst peut retarder la recharge, avant que l’infiltration ne se poursuive dans la zone de transition. Le rôle de l’épikarst dans le développement des systèmes karstiques est prépondérant .
La zone de transition est la zone d’infiltration verticale inférieuere via un réseau de fissures et conduits, par lequel l’eau d’infiltration en provenance de l’épikarst rejoint la zone phréatique ou zone saturée.

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Méthodes d’analyse des systèmes karstiques

De nombreuses méthodes permettent d’approcher le fonctionnement et la structure des systèmes karstiques ; couramment plusieurs d’entre elles sont employées conjointement pour l’étude d’un même système. Deux approches distinctes sont présentes dans la littérature :
L’approche structurelle, qui s’attache en particulier à la description de la géologie, des distributions spatiales de fractures, suivant l’hypothèse que les réseaux karstiques doivent se développer majoritairement suivants les directions principales de fracturation. Cette approche a été mise à l’œuvre par Drogue, Grillot et Razack dans les années 70-80. Toutefois, cette approche à elle seule ne suffit pas pour comprendre le développement de réseaux et fournit surtout de l’information locale. Mais la modélisation apporte de nouvelles possibilités en intégrant les processus physiques d’écoulement. L’approche fonctionnelle, qui se focalise sur l’étude des effets du système karstique. L’aquifère est considéré comme une boîte noire dont on tente d’évaluer la fonction de transfert (lien entre les données d’entrée –par exemple la pluie- et données de sortie – débit ou autre variable). L’approche à la structure du karst est indirecte, par études des forçages et des modifications de la réponse du karst. Cette approche a été initialement développée par Mangin .
Bakalowicz recense les méthodes employées classiquement dans une proposition de méthodologie d’investigation du karst :
caractérisation de la structure, par le biais de l’analyse de la géologie et de la morphologie (incluant la spéléologie);
délimitation des limites du système karstique, de son bassin d’alimentation, en s’appuyant sur les cartes géologiques, les essais de traçages et les bilans hydrologiques ;
caractérisation du fonctionnement global : méthodes hydrodynamiques : étude des hydrogrammes des sources, débits classés, analyse des séries temporelles ; méthodes hydrogéochimiques et analyses des isotopes (traçages naturels) ;
caractérisation du fonctionnement local de l’aquifère : via des essais de traçages (Atkinson et al 1973; Field 2002) ; via des essais de pompage .

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE 
PARTIE 1 – APPROCHE METHODOLOGIQUE DE L’ETUDE DU KARST ET PRESENTATION DU SYSTEME KARSTIQUE ETUDIE
1. LES SYSTEMES KARSTIQUES, LEUR FONCTIONNEMENT, LEUR MODELISATION 
1.1 Définitions et enjeux
1.2 L’étude du karst et de son fonctionnement
1.3 Synthèse et verrous scientifiques
2. CONTEXTE REGIONAL : LE KARST DE LA CRAIE 
2.1 Lithologie et contexte structural
2.2 Hydrogéologie de l’Ouest du bassin de Paris
2.3 Typologie et mise en place des réseaux karstiques régionaux
3. LE SITE PILOTE : SYSTEME KARSTIQUE DE NORVILLE 
3.1 Présentation du site d’étude
3.2 Connaissances antérieures sur le fonctionnement hydrodynamique du site
3.3 Intérêt spécifique du site
3.4 Instrumentation du site, suivi et chroniques
4. APPROCHE METHODOLOGIQUE GLOBALE 
4.1 Rappel des problématiques
4.2 Méthodes employées
PARTIE 2 – MODELISATION GEOLOGIQUE 3D DU SYSTEME DE NORVILLE ET CARACTERISATION DE L’INFILTRATION
1. INTRODUCTION 
2. METHODES GEOPHYSIQUES 
2.1 EM34
2.2 Potentiel Spontané (PS)
2.3 Méthodes électriques : ERT et mise-à-la-masse
3. MODELISATION GEOLOGIQUE 3D 
3.1 Synthèse des données géologiques disponibles
3.2 Apport des méthodes géophysiques à la connaissance de la structure du site
3.3 Construction du modèle géologique
3.4 Discussion et validation
4. CARACTERISATION DE L’INFILTRATION SUR LE BASSIN 
4.1 Etude des écoulements autour de la perte
4.2 Bétoires et racines d’infiltration
5. SYNTHESE 
PARTIE 3 – ETUDE APPROFONDIE DES CONDITIONS AUX LIMITES DU
SYSTEME KARSTIQUE DE NORVILLE PAR ESSAIS DE TRACAGE
1. INTRODUCTION 
2. METHODOLOGIE D’ACQUISITION ET DE TRAITEMENT DES DONNEES 
2.1 Traçages
2.2 Traitement des données de traçages
3. ANALYSE MULTIDIMENSIONNELLE DES RELATIONS ENTRE CONDITIONS
HYDROLOGIQUES ET MODELISATION 
3.1 Méthodologie
3.2 Assessing the non-linearity of karst response function under variable boundary
conditions
4. COMPLEMENTS SUR LE FONCTIONNEMENT HYDROLOGIQUE DU SYSTEME ET
SYNTHESE
4.1 Précisions sur les relations entre variables
4.2 Apports d’information complémentaire sur le site
4.3 Conclusion intermédiaire
PARTIE 4 – LIEN ENTRE L’ANALYSE DU SIGNAL A L’EXUTOIRE ET MODELISATION HYDROLOGIQUE CONCEPTUELLE : SUR QUEL(S) CONCEPT(S) RENSEIGNE LE CONTENU SPECTRAL DES DONNEES HYDRODYNAMIQUES ?
1. INTRODUCTION 
2. CARACTERISATION DES SIGNAUX OBSERVES PAR ANALYSE CORRELATOIRE ET
FREQUENTIELLE 
2.1 Données : description des séries temporelles
2.2 Analyses corrélatoires
2.3 Analyses spectrales, EEMD, Ondelettes
3. MODELISATION A RESERVOIR : KARSTMOD 
3.1 Présentation du modèle
3.2 Tests préliminaires
3.3 Filtrage du débit de base
3.4 Tests avec le nouveau modèle conceptuel, analyse des résultats
4. ANALYSE DES COMPOSANTES INTERNES DU MODELE 
4.1 Analyse des hauteurs d’eau
4.2 Contenu spectral et propagation de l’information au sein du modèle
4.3 Echange « matrice – conduits » (M-C)
4.4 Conclusion intermédiaire
5. COMPARAISON AVEC LES DONNEES ET TRACEURS NATURELS 
5.1 Comparaison avec les différentes chroniques observées
5.2 Conclusion
PARTIE 5 – SYNTHESE, DISCUSSION ET PERSPECTIVES
1. APPORT DES APPROCHES COMBINEES DANS LA CONNAISSANCE DU SYSTEME
KARSTIQUE ET DE LEUR MODELISATION/CARACTERISATION 
1.1 Connaissance du site
1.2 Problématiques et réponses apportées
1.3 Limites, biais possibles
2. PERSPECTIVES 
2.1 Suggestions de compléments pour Karstmod
2.2 Modélisation distribuée
2.3 Approches complémentaires et investigations du site

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