Flux de 10Be à EPICA Dome C entre 200 et 800 kyr BP

Flux de 10Be à EPICA Dome C entre 200 et 800 kyr BP

Les données de 10Be entre 2384 et 2627 mètres de profondeur à EDC présentées dans le chapitre précédent ont contribué à compléter un enregistrement avec une résolution exceptionnelle (de 20 à 250 ans) entre 200 et 800 kyr BP. Aucune étude à ce jour utilisant le 10Be dans les divers archives disponibles ne documente une aussi longue période de temps à une telle résolution. En effet, la plupart des études ayant porté sur l’extraction d’un signal géomagnétique à partir des flux de 10Be se concentre sur des événements singuliers (voir section 2.3) ou sur les derniers 200 000 ans car peu de carottes de glace permettent de remonter aussi loin dans le temps. De plus, les évolutions techniques des instruments de mesure, concernant notamment la quantité de glace nécessaire pour préparer un échantillon, permettent à présent d’affiner la résolution des enregistrements de 10Be. En plus d’apporter des points de calage (utiles pour la datation de la carotte de glace EPICA Dome C .et des informations sur les variations d’intensité des champs héliomagnétiques et géomagnétiques au cours du temps, ce profil peut être comparé aux enregistrements paléomagnétiques dans les sédiments marins (voir section 6.2). Les données brutes (concentrations et flux) de 10Be entre 200 et 800 kyr BP sont présentées sur la Fig. 6.1 avec les courbes climatiques enregistrées à EPICA Dome C. Elles représentent environ 8800 échantillons entre 2075 et 3190 mètres de profondeur. On peut noter que l’échelle des profondeurs n’est pas linéaire avec l’échelle des âges car l’effet d’amincissement de la carotte de la glace (compression de la glace due au poids au dessus de celle-ci) est de plus en plus fort avec la profondeur. Le profil de 10Be montre aussi bien des variations millénaires que des changements à plus haute fréquence, de l’ordre de quelques dizaines-centaines d’années. Une anti-corrélation est clairement visible (R = –0,7480 avec un intervalle de confiance à 95% [–0,7666 ; –0,7282]) entre le profil de concentrations en 10Be dans la glace (haut de la Fig. 6.1) et l’enregistrement climatique (δD). En effet, la concentration en 10Be atteint un minimum lors des maximums de taux d’accumulation du site, confirmant que les retombées de 10Be ne se déroulent pas durant les évènements de précipitation mais principalement par dépôt sec. Nous considérons donc le flux de 10Be (bas de la Fig. 6.1) afin d’étudier les variations liées uniquement aux changements de concentrations atmosphériques du 10Be (section 1.3), et donc de production. Les pics de 10Be extrêmement importants sur le fond de la carotte [Raisbeck et al., 2006], déjà mentionnés dans la section 2.3.2, sont éliminés en appliquant une médiane mobile à 5 points sur l’échelle des profondeurs (Fig. 6.2). Le flux moyen de 10Be entre 200 et 800 kyr BP est de 51,484 at.m−2 .s−1 , et varie entre 17,98 et 104,92 at.m−2 .s−1 (σ = 9,23 at.m−2 .s−1 ). Afin d’estimer l’influence du climat sur le flux de 10Be, des analyses en ondelettes du flux de 10Be et du profil de δD mesurés sur la même séquence ont été réalisées (Fig. 6.3a) puis comparées (Fig. 6.3b). Les cycles orbitaux de 23 000, 41 000 et 100 000 ans, indiqués en pointillé, ne semblent pas détectés dans le flux de 10Be à EDC. Le WTC des deux spectres (Squared Wavelet Coherence : carte de corrélation locale dans l’espace temps – fréquences, voir Fig. 6.3b) confirme dans l’ensemble l’absence de corrélation entre le flux de 10Be et l’enregistrement climatique à EDC (r = 0,0640 pour p = 0,0040 soit 99,6% de confiance, intervalle de confiance de 95% : [0,0205 ; 0,1072]). Une bande de corrélation (r 2 ≃ 0,7) est néanmoins visible pour le paramètre d’obliquité (période de 41 000 ans) entre 250 et 400 kyr BP. Cette corrélation est plus faible et non significative en remplaçant le profil de δD par la courbe du taux d’accumulation EDC3 (Fig. D.3a). La construction de la nouvelle chronologie AICC2012 [Bazin et al., 2013] pour cinq carottes de glace, dont EDC, permet de tester la robustesse du flux de 10Be en fonction de la datation et du modèle d’accumulation du site (voir annexe D). Cette chronologie a été obtenue par le meilleur compromis entre la chronologie préliminaire (taux d’accumulation et d’amincissement de la glace dans les modèles glaciologiques, voir Parrenin et al. [2007a] pour EDC) et les observations (marqueurs d’âge) à l’aide de l’outil de datation Datice [Lemieux-Dudon et al., 2010]. Le flux de 10Be calculé en utilisant la chronologie AICC2012 (courbe d’accumulation et échelle d’âge) est très similaire au profil sur EDC3 (Fig. D.1 en annexe), excepté autour de 440 kyr BP avec un décalage et une forte diminution d’un pic de 10Be. Cet intervalle de temps autour du MIS 12 correspond à la plus large déviation entre AICC2012 et EDC3 (4400 ans, Bazin et al. [2013]) suite à de nouvelles mesures de δ 18Oatm ∗ dans la carotte de glace EDC. Comme pour la chronologie EDC3, le coefficient de corrélation entre le flux de 10Be et le profil de δD sur l’échelle de temps AICC2012 est quasi-nul entre 200 et 800 kyr BP (r = 0,0464 pour p = 0,0369 soit 96,3% de confiance, intervalle de confiance de 95% : [0,0028 ; 0,0897]). La carte de corrélation locale confirme ce résultat (Fig. D.2b), bien qu’une forte corrélation pour le paramètre d’obliquité apparaisse sur l’intervalle de temps 300 – 500 kyr BP, incluant le MIS 12 où le décalage entre EDC3 et AICC2012 est le plus élevé.

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Synchronisation avec les sédiments marins

Pour atteindre notre objectif (c’est-à-dire placer les enregistrements climatiques des sources continentales et océaniques sur la même échelle de temps), une archive sédimentaire contenant des informations sur les variations d’intensité du champ géomagnétique (par des mesures de la paléointensité ou du rapport 10Be/9Be dans les sédiments) et les changements climatiques (niveau marin global) sur la même séquence est nécessaire. Il serait plus aisé de comparer l’enregistrement de 10Be à EDC avec un autre enregistrement de 10Be dans les sédiments marins, mais aucune de ces archives ne remplit les conditions nécessaires pour notre étude en terme de résolution, échelle de temps couverte, ou mesures de proxies du climat sur la même séquence. . . Actuellement, l’enregistrement de 10Be dans les sédiments le plus adapté pour la synchronisation est compris entre 265 et 800 kyr BP avec une résolution moyenne de 2000 ans [Ménabréaz, 2012], mais aucun enregistrement climatique n’est disponible sur cette carotte. Il existe de nombreux enregistrements paléomagnétiques sur des sédiments marins mais des effets locaux (voir section 2.3.1) peuvent biaiser ce signal. Il est, de plus, difficile d’avoir les deux enregistrements (paléointensité et proxy du climat) de la même carotte sédimentaire avec une résolution suffisante. La solution se trouve sans doute dans la combinaison de ces archives, permettant d’obtenir un signal global et de réduire le rapport signal sur bruit, comme la reconstruction de Channell et al. [2009] à partir de 13 enregistrements marins, PISO-1500.

PISO-1500

Pour construire ce signal, la carotte sédimentaire IODP U1308 [Channell et al., 2008; Hodell et al., 2008] a été utilisée comme enregistrement de référence car ce site possède des données de δ 18O et de paléointensité (RPI pour Relative Paleointensity) à haute résolution (moins de 200 ans en moyenne, Table 6.3) sur tout l’intervalle de temps concerné (1,5 Ma † ). Le modèle d’âge du Site U1308 a été bâti en utilisant la chronologie établie par Lisiecki and Raymo [2005] à partir des enregistrements d’oxygène-18 benthique. L’alignement est effectué à l’aide du programme Match [Lisiecki and Lisiecki, 2002], un algorithme de corrélation graphique automatisé per-mettant une synchronisation en continu sans besoin de choisir des points de calage. Ce même protocole a ensuite été appliqué simultanément aux enregistrements de δ 18O et de paléointensité relative pour les 12 autres archives sédimentaires afin d’optimiser leur alignement sur les enregistrements d’IODP U1308. Cela a pour résultat deux enregistrements couplés de paléointensité et de δ 18O pour les derniers 1,5 Ma, rééchantillonnés tous les 1000 ans. Parmi les 13 archives sédimentaires utilisées pour construire PISO-1500, 5 ont des profils complets de paléointensité et de δ 18O entre 200 et 800 kyr BP. La reconstruction paléomagnétique a été traduite en variations du moment dipolaire de l’axe virtuel (VADM), et peut être utilisée pour déduire la production relative globale de 10Be en utilisant les calculs de Masarik and Beer [2009] (Fig. 6.4). La relation entre l’intensité du champ géomagnétique et le taux de production de 10Be est clairement visible, en particulier durant les différentes excursions et inversions (annotées dans la Fig. 6.4) où un minimum d’intensité correspond à un maximum de production. Les variations mesurées étant sur des échelles de temps longues (de l’ordre de plusieurs milliers d’années), il peut être difficile de choisir des points de calage clairs pour la synchronisation de PISO-1500 sur EDC

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