FINANCE ET CROISSANCE ECONOMIQUE
Un siècle de littératures sur les fondements théoriques de la relation
Finance-Croissance en revue Il est tout de même important de remarquer au début de cette revue que LEVINE, LOAYZA et BECK [2000] ont signalé que HAMILTON a déjà argumenté que les banques sont considérées comme le “moteur” qui stimule la croissance économique. Dans cette même parution, ils ont également esquissé la thèse de ADAMS [1819]25 – en contraste avec celle de HAMILTON [1781] – qui a affirmé que les banques nuisent à la “moralité, la tranquillité et même la richesse” des nations. Dans notre survey de la littérature, on part du travail de SCHUMPETER [1911]26. Une longue période de silence a été observée jusqu’à GOLDSMITH [1969]27, McKINNON [1973] et SHAW [1973. A partir des années 90s, les auteurs se sont focalisés sur les investigations empiriques, pour soutenir l’existence d’une relation entre la finance et la croissance économique. Depuis, la variation des méthodes économétriques a été mise en avant, pour approfondir davantage l’explication donnée à la relation. Cette section doit nous aider à mieux comprendre les rouages de la relation qui lie la finance et la croissance économique. Les articles incluant des investigations empiriques seront analysés selon les trois (03) points suivants : (1) les hypothèses avancées – (2) les démarches suivies et – (3) les résultats obtenus. II-1) La place centrale de la monnaie et du crédit dans la Théorie de l’Evolution Economique de SCHUMPETER. On part de la fameuse Théorie de l’Evolution Economique. Pour cet économiste autrichien, le concept de l’évolution englobe cinq (05) cas qui constituent la caractéristique de l’entreprise. En d’autres termes, l’entrepreneur a pour fonctions principales d’apporter cette évolution à partir des cinq (05) rôles suivants : – Production de nouveaux biens et services ; – Apport de nouvelles méthodes d’entrepreunariat ; – Recherche de nouveaux débouchés pour les produits ; – Exploration de nouvelles sources d’intrants ; – Réorganisation de l’entreprise en général. Compte tenu de ces rôles, l’entreprenneur ne peut les assurer sans capital. En effet, il demeure simplement porteur des combinaisons nouvelles. Cette “destruction créative”30 ne serait possible sans l’intermédiaire financier (plus précisément sans banquier). Donc, l’évolution serait effective si et seulement si le banquier procure du capital et du crédit à l’entreprenneur. Certes, le 26op. cit. 27op. cit. 28op. cit. 29op. cit. 30Comme l’a qualifiée KING et LEVINE [1993a] – “destruction créative” veut dire remplacement des vieilles combinaisons de facteurs de production par des nouvelles 12 crédit et la banque occupent une place centrale dans la théorie économique de l’évolution de SCHUMPETER [1911]. De ce fait, la monnaie n’est pas seulement un moyen d’échanges pour SCHUMPETER [1911] mais elle est la garante de l’octroi de crédit. Cette “reconnaissance” envers la monnaie et le crédit de la part de SCHUMPETER [1911] semblait être le point de départ des auteurs qui ont soutenu l’existence d’une relation positive entre la finance et la croissance. Toutefois, ces auteurs n’ont pas forcément retenu le concept de “destruction créative” dans leurs études.
Une Relation feedback entre la Finance et la Croissance pour GOLDSMITH
L’auteur a supposé que le développement de la finance a deux effets sur la croissance économique. D’une part – le développement de la finance domestique peut accroître l’efficience de l’accumulation du capital – c’est-à-dire – la productivité marginale du capital. D’autre part, l’intermédiaire financier peut contribuer à l’accumulation du capital, en faisant augmenter le taux d’épargne de l’économie, donc le taux d’investissement. Pour mesurer le développement de la finance, GOLSMITH [1969] a utilisé le “passif liquide” du système financier. Cet indicateur mesure la taille du secteur financier. Il a estimé un modèle reliant cette variable au revenu réel par tête. Dans son modèle, GOLDSMITH [1969] n’a pas contrôlé les autres facteurs expliquant la croissance économique. Les résultats de l’estimation ont coïncidé avec les hypothèses car il a trouvé que la finance affecte positivement la croissance par le biais de l’efficience des investissements. Ensuite, le processus de croissance qui en résulte induit à son tour un effet feedback – positif – sur la finance. En d’autres termes, la croissance crée de nouvelles incitations pour plus de développement financier. 31op. cit. 13 II-3) Le concept de Libéralisation Financière chez McKINNON [1973] et SHAW [1973]32 Ces deux auteurs sont analysés ensemble car ils partagent un point de vue à peu près commun sur l’impact de la finance sur le développement économique. Pour ces auteurs, la finance a deux (02) implications parallèles. Elle permet à la fois un accroissement de la productivité du capital et du volume d’épargne de l’économie. Par conséquent, l’investissement s’améliore en qualité et en quantité. Ces auteurs ont insisté sur le fait que la politique publique joue un rôle primordial sur les marchés financiers. Pour eux, la libéralisation financière se traduit par un taux d’intérêt réel élevé et un faible niveau des réserves obligatoires. Dans ces registres, l’épargne est facilement mobilisable, l’investissement augmente et engendre une croissance économique. Inversement, un taux d’intérêt réel faible conduit à ce qu’ils ont qualifié de “répression financière”. Un taux d’intérêt nominal faible peut conduire à un taux d’intérêt réel négatif. Dans ce cas, les épargnants sont découragés et il y a excès de demande de fonds sur le marché. Par conséquent, il y a baisse du volume d’investissement et donc un impact négatif sur la croissance économique. Ainsi, le développement de la finance est mesuré par le taux d’intérêt réel selon les deux (02) économistes. Aussi, ils ont affirmé que les réserves obligatoires élevées – imposées par le gouvernement – nuisent à la dynamique de mobilisation de l’épargne. En effet, ces réserves ne sont pas rémunérées et sont considérées comme des taxes frustrant le système bancaire. Par conséquent, les déposants ne sont pas incités et l’épargne diminue. La théorie de la libéralisation financière de McKINNON [1973] et de SHAW [1973] est devenue une sorte de leitmotiv dans les années 70. En effet, la Banque Mondiale et le FMI ont recommandé les économies en développement de libéraliser leur système financier. La plupart des pays de l’Amérique Latine ont ainsi suivi.
Finance et Croissance
Endogènes pour GREENWOOD et JOVANOVIC [1990]33 Une hypothèse importante caractérise le travail de ces auteurs. Ils ont supposé qu’à la fois la finance et la croissance sont endogènes – c’est à dire – expliquées par le modèle. Le rôle fondamental de l’intermédiation financière réside dans la collecte et l’analyse des informations pour les canaliser aux investissements les plus productifs. Le schéma suivant explique le mécanisme de transmission du développement financier à la croissance, par le biais de l’investissement : Croissance => Amélioration de la Structure Financière => ↑ Efficience de l’Investissement => Croissance En effet, il y a deux types de risque qui influencent l’investisseur dans sa décision : – les chocs agrégés affectant l’économie et – les chocs affectant le projet d’investissement (chocs spécifiques) En collectant et en analysant les informations, l’intermédiaire financier fait baisser le degré des chocs agrégés et des chocs spécifiques. Il diversifie les risques en connaissant les bons projets. Par conséquent, il assure un meilleur rendement pour l’investisseur. Le résultat est quasi- similaire à celui de GOLDSMITH [1969]. En effet, ils ont trouvé deux (02) relations causales entre la finance et la croissance économique. Dans un premier temps, le processus de croissance produit un développement de l’institution financière, – c’est-à-dire sa capacité à analyser les informations. A son tour, cette institution financière développée fait augmenter l’efficience de l’investissement, stimulant la croissance, et ainsi de suite.
La mise en évidence de la mesure du Développement de la Finance par DE GREGORIO et GUIDOTTI
Ces économistes ont supposé que la finance affecte la croissance économique par le biais de l’accroissement de l’efficience de l’investissement. Ce33GREENWOOD, J. et JOVANOVIC, B. [1990] “Financial Development, Growth, and the Distribution of Income,” Journal of Political Economy Vol. 98, 1076—1107 34op. cit. 15 pendant, ils ont essayé de surmonter les “supposées faiblesses des littératures précédentes” concernant la mesure du développement de la finance. De ce fait, un instrument de mesure de l’approfondissement financier est mis en exergue. En critiquant la faiblesse des indicateurs utilisés par les auteurs antérieurs – notamment celui de McKINNON et SHAW [1973] et KING et LEVINE [1993a,b] – ils ont utilisé une variable relative au crédit, pour mesurer le développement de la finance. A part les critiques déjà énoncées auparavant sur le taux d’intérêt réel, ils se sont référés à FAMA [1980] pour évoquer la faiblesse des agrégats monétaires de KING et LEVINE [1993a,b], comme instrument de mesure. En effet, dans FAMA [1980]35, les marchés financiers ont deux principales fonctions – (1) canaliser les fonds des épargnants pour ceux qui en ont besoin – (2) fournir de la liquidité. Donc, DE GREGORIO et GUIDOTTI [1995] ont affirmé qu’un marché de capitaux développé ne veut pas forcément dire système financier liquide. Au contraire, un niveau élevé de monétarisation peut être traduit par un sous-développement de la finance. De ce fait – ils ont utilisé le ratio crédit domestique octroyé au secteur privé sur le P IB. Cet instrument a comme avantage d’exclure le crédit accordé au secteur public. Toutefois, il pourrait être un faible indicateur quand les financements hors banque sont importants dans l’économie. Ils ont étendu la régression à la BARRO [1991]36 en incluant “CREDIT” parmi les variables explicatives. Les autres facteurs expliquant la croissance étant contrôlés dans le modèle. Ces facteurs comprennent entre autres le taux de scolarisation (capital humain), les dépenses publiques, le taux d’inflation, . . . Le modèle estimé est de la forme suivante : GROW T Ht = α + βCREDITt + γXt + µt Avec GROW T H : la moyenne du taux de croissance du P IB Réel par tête pour la période 1960-85 CREDIT : ratio du crédit domestique pour le secteur privé sur le P IB. Le crédit est mesuré en début de période (moyenne 1960-62) X : Vecteur de contrôle incluant les autres facteurs expliquant la croissance, à part CREDIT. Notons que ces variables ne sont autres que celles de BARRO [1991]. 35Cf. DE GREGORIO et GUIDOTTI [1995], op. cit. 36BARRO, R. J. [1991] “Economic growth in a cross section of countries,” Quarterly Journal of Economics, Vol. 106 (2), 407-43 16 En outre, ils ont évoqué le problème d’endogénéité – comme quoi, le résidu du modèle de BARRO [1991] peut être corrélé positivement avec la mesure de la finance (CREDIT). Ainsi, ils ont utilisé la moyenne de CREDIT mesurée au début de l’observation pour faire face à ce problème (1960-62). En dehors des résultats sur les variables de contrôle, les auteurs ont trouvé que CREDIT est positivement corrélé avec le P IB Réel par tête. Plus intéressant encore, ¾ des effets de CREDIT sont transmis via l’efficience de l’investissement et que les ¼ restants passent par le volume de l’investissement. Toutefois, ces résultats ne sont pas valables pour les pays d’Amérique Latine – auxquels, on est même face à une corrélation négative entre CREDIT et GROW T H.
INTRODUCTION |