Standardiser le travail
L’instrumentation des plateformes permet de standardiser le travail afin que les prestations de services proposées par les travailleurs soient de qualité relativement équivalente aux yeux des clients. De cette manière, le client sait à quel service s’attendre en réservant auprès d’une plateforme, peu importe qui est le travailleur.
Cette standardisation peut directement porter sur les processus de travail. Le travail peut être décomposé en plusieurs étapes qui suivent un script, que le travailleur respecte voire valide. Ce script définit le déroulé d’un travail manuel (e.g. la livraison d’un repas sur Deliveroo) ou intellectuel (e.g. une visite guidée sur City Wonders). Le travailleur suit ce script dans la réalisation de son travail, en validant chaque étape sur la plateforme.
Des formes de standardisation sont également issues d’obligations contractuelles qui imposent des comportements attendus. Par exemple, la plateforme de service à domicile Youpijob met en place une charte de bonne conduite engageant les travailleurs à être ponctuel, à ne pas négocier le prix proposé par le client, à répondre qualitativement aux attentes du clients et à laisser l’endroit propre une fois la mission réalisée. Le non-respect de cette charte équivaut à des sanctions potentielles. La durée et le prix du travail peut également être fixée unilatéralement par la plateforme-organisation. Par exemple, la plateforme de ménages Hoper met en place un algorithme qui calcule automatiquement la durée du travail requis, ainsi que sa tarification, en fonction des besoins spécifiés par le client.
Le bon respect des temps de travail peut être surveillé en temps réel, via la géolocalisation et le prélèvement automatique de mégadonnées (big data). Par exemple, la ponctualité et l’assiduité des livreurs Deliveroo sont calculées par les algorithmes de la plateforme et conditionnent l’accès aux futures missions de travail. Également, les livreurs Deliveroo dépassant le temps de livraison prévu (30 minutes) sont identifiés par des indicateurs et font l’objet d’un avertissement oral de la part d’un manager opérationnel.
Coordonner les emplois du temps
Il existe des instruments qui permettent de coordonner les plannings et l’attribution des missions de travail.
Cet instrument de gestion peut prendre la forme d’un calendrier en ligne, sur lequel les travailleurs inscrivent leurs disponibilités. Les annulations de missions de travail prévues sur les dates indiquées comme étant disponibles amènent alors à des sanctions, comme c’est le cas sur Airbnb Experience.
Il peut également y avoir un algorithme d’attribution automatique des missions. Dans ce cas, ce n’est pas le client qui contacte directement le travailleur. Le client indique sur la plateforme ses besoins, puis un algorithme trouve le travailleur qui convient le mieux pour traiter cette demande en fonction des disponibilités et des performances connues.
Contrôler et sanctionner la performance
La performance peut être évaluée de deux manières différentes.
D’une part, la performance peut être évaluée à partir des retours des clients. Cette évaluation prend la forme d’algorithmes de notation, accompagnés ou non par un questionnaire de satisfaction et/ou un système de commentaire. Le client doit ainsi caractériser la qualité du travail réalisé en laissant une note, le plus souvent sur cinq étoiles, puis laisser un commentaire public que les autres clients peuvent lire. L’éventuel questionnaire de satisfaction vise à affiner la notation générale laissée par le client, en enquêtant par exemple le respect de critères de qualité explicités dans les obligations contractuelles (voir chapitre 6 sur Airbnb Experience). Ce questionnaire est à destination exclusive de la plateforme-organisation, là où la notation et le commentaire sont plus généralement publics.
D’autre part, la performance est également évaluée par la plateforme elle-même. Cette évaluation se matérialise par des algorithmes d’enregistrement (Kellogg et al., 2019) qui prélèvent automatiquement des “mégadonnées” (big data) issues de l’activité sur la plateforme. Par exemple, la plateforme de service à domicile Youpijob met en place un algorithme qui calcule un indicateur qualité sur 100 points et qui prend en compte diverses métriques telles que le pourcentage de complétion du profil, le nombre de candidatures à des missions, le nombre de missions réalisées, le taux d’annulation, etc.
L’évaluation des performances peut faire l’objet de sanctions. Ces sanctions sont plus ou moins strictes : il peut s’agir d’un impact négatif sur le référencement, d’un avertissement, ou de la désactivation temporaire ou définitive du profil “travailleur”.
Les sanctions peu strictes consistent à limiter l’attribution de missions aux travailleurs jugés moins performants. Ces travailleurs auront un moindre accès aux créneaux de travail (Deliveroo), seront moins favorisés par les algorithmes d’attribution (Youpijob) ou seront moins visibles dans les recherches des clients (Superprof).
Par la suite, des sanctions plus strictes peuvent mener à la désactivation du profil, que cela soit automatiquement après avoir franchi un certain seuil de notation (Uber, Airbnb Experience), ou après une phrase d’avertissement (Deliveroo).
Des instruments de gestion correspondant à une philosophie incitative
Il s’agit d’identifier ici l’éventail des instruments de gestion qui peuvent être mobilisés par les plateformes numériques dans le but d’inciter les travailleurs à adopter volontairement certains comportements.
Comme dans la partie 1, nous présentons dans le tableau 22 ci-dessous les pratiques de gestion des Ressources Humaines que l’instrumentation des plateformes permet de remplacer. Pour chacune de ces finalités RH, nous décrirons la forme artéfactuelle des instruments correspondants. Nous montrerons que ces instruments relèvent plus rarement du management algorithmique : le management du travail via plateforme ne se réduit pas à des artefacts numériques, ni même à sa seule instrumentation. Notons également qu’aucune plateforme ne met en place, à elle seule, la totalité de ces instruments incitatifs.
