Filtrage et guidage des ondes de volume
dans un cristal phononique bidimensionnel
Introduction
Nous avons vu dans le chapitre précédent que la plupart des travaux relatifs à la démonstration expérimentale d’effets de guidage, de connement ou de ltrage des ondes dans les matériaux à bandes interdites élastiques avaient été menés sur des structures de dimensions millimétriques, voire supérieures. En eet, la large gamme de fréquences accessibles par les cristaux phononiques permet de mener des expériences tout à fait équivalentes du point de vue phénoménologique dans des réseaux métriques comme micrométriques. Ainsi, s’il n’en reste pas moins évident qu’une réduction d’échelle peut se révéler nécessaire dans un contexte plus porté vers les applications haute fréquence ou les interactions dites multiphysiques, il est intéressant, en particulier dans un but de compréhension des phénomènes, de travailler sur des réseaux de dimensions macroscopiques. On s’aranchit de ce fait des difficultés technologiques inhérentes à la fabrication de structures à l’échelle du micron. C’est dans cette logique que certaines des activités de recherche de l’équipe Acoustique et Microsonique du département LPMO de l’Institut FEMTO-ST a été dédiée à l’étude théorique, la réalisation et la caractérisation de cristaux phononiques pour les ondes de volume consistant en un arrangement de tiges d’acier de dimension millimétrique plongées dans une cuve d’eau. Ce chapitre est donc en partie consacré à ma contribution à ces activités de recherche. Il reviendra toutefois dans les deux premières sections sur les développements réalisés dans le cadre de cette thématique préalablement à ces travaux de thèse. En particulier, les outils de simulation développés pour le dimensionnement des cristaux et pour l’interprétation des mesures seront évoqués, ainsi que les expériences visant à démontrer les fonctions de guidage et de ltrage au sein d’une telle structure phononique. L’étude des phénomènes de couplage entre modes guidés et modes localisés du réseau réalisée dans le cadre de cette thèse par caractérisation d’une structure 41 Filtrage et guidage des ondes de volume dans un cristal phononique bidimensionnel Filtrage et guidage des ondes de volume dans un cristal phononique bidimensionnel présentant des résonateurs greés sur un guide phononique sera ensuite abordée. Enfin, des travaux menés en collaboration avec l’université de Lille 1 mettant en application ces dernières démonstrations expérimentales au démultiplexage en longueur d’onde seront présentés.
Choix de la structure
De nombreuses méthodes de calcul ont été mises en ÷uvre an de permettre le dimensionnement ou la prédiction du comportement des ondes élastiques au cours de leur propagation dans des cristaux phononiques. Au fur et à mesure de ce manuscrit, quelques-unes des méthodes mises au point dans le cadre des travaux menés au sein de l’équipe d’accueil seront évoqués. Nous nous attachons ici à donner quelques rappels sur la méthode des différences nies, communément désignée par l’acronyme anglais FDTD (pour Finite Dierence Time Domain), qui a été largement employée pour le traitement théorique de ces cristaux phononiques pour les ondes de volume. Nous tirerons des résultats des simulations ainsi que de ceux issus de la littérature quelques règles de base utiles à la conception, d’un point de vue géométrique, de ces composites.
Brève introduction à la méthode des différences nies
La méthode des différences nies a été introduite pour les cristaux phononiques par Sigalas et Garcia [79, 80] pour pallier les problèmes de convergence numérique initialement rencontrés lors du calcul de diagrammes de bandes pour des systèmes mixtes (inclusions liquides dans une matrice solide ou inversement) par la méthode de décomposition en ondes planes [95]. La FDTD présente l’avantage considérable par rapport à sa cons÷ur de permettre de modéliser une onde incidente sur un cristal phononique que l’on peut spécifier comme étant de dimension nie, sous la forme de paquets d’ondes, résultant en un système d’excitation plus proche de l’expérience qu’un modèle d’ondes planes. Cette méthode a préalablement été exploitée pour la simulation de matériaux périodiquement structurés, en particulier pour les cristaux photoniques, à l’image des travaux de Chan et al. ou encore de Fan et al. Le principe consiste de façon très sommaire à discrétiser dans le domaine spatial comme temporel les équations constitutives du problème ; à xer des conditions aux limites adaptées et à calculer de manière explicite l’évolution dans le domaine temporel de la grandeur physique, dénotée φ, à considérer (par exemple le champ électrique ou magnétique dans le cas d’un cristal photonique, ou le champ de déplacement ou de vitesse dans celui d’un cristal phononique). Dans le cas d’une structure tridimensionnelle, une grille cubique est dénie et inscrite dans l’espace direct. Les points de discrétisation sont donc séparés de distances élémentaires xées ∆s = ∆x, ∆y ou ∆z et ∆t dans les domaines spatial et temporel, respectivement. On écrit alors les dérivées spatio-temporelles intervenant dans les équations constitutives du système physique sous la forme de différences du type : ∂φ ∂x = φ (x + ∆x, y, z) − φ (x,y, z) ∆x où ∆x désigne une variation innitésimale suivant l’axe des x. Ici, l’équation de travail n’est autre que celle de propagation des ondes élastiques qui s’écrit par exemple dans le cas tridimensionnel et isotrope : ∂ 2ui ∂t2 = 1 ρ (r) (r) ∂Tij ∂xj (2.1) Tij = λ (r) Sllδij + 2µ (r) Sij , (2.2) Sij = 1 2 µ ∂ui ∂xj + ∂uj ∂xi ¶ , (2.3) où ui désigne la composante suivant i du vecteur des déplacements ; T est le tenseur des contraintes, λ (r) et µ (r) sont les coefficients de Lamé et ρ (r) est la densité du milieu. Il apparaît assez intuitivement que la précision de calcul est directement fonction du pas de discrétisation, qui conditionne par ailleurs le temps de calcul. Le schéma de Yee [99] est une méthode largement employée : elle consiste à calculer le champ de déplacement sur le bord de chaque cellule (l, m, n et k entiers), mais à évaluer les contraintes appliquées au centre (l, m et n demi-entiers). Les contraintes appliquées au point d’existence du champ de déplacement (ou, respectivement, le champ de déplacement obtenu au point de dénition des contraintes) sont ensuite numériquement évaluées par moyennage sur une cellule. Filtrage et guidage des ondes de volume dans un cristal phononique bidimensionnel Fig. 2.1 Schéma de principe décrivant l’application des conditions aux limites dans le cas du calcul de la transmission du cristal phononique. Des conditions aux limites périodiques sont appliquées dans la direction orthogonale à celle de propagation. Les conditions d’absorption de Mur sont en revanche imposées en sortie du cristal, le long de la direction de propagation. Il est bien sûr possible d’exprimer de manière similaire les autres composantes du vecteur des déplacements ou du tenseur des contraintes. La composante Tyy de ce dernier est ainsi calculée au point µ l + 1 2 ,m + 1 2 ,n¶ et la composante suivant z est évaluée en µ l + 1 2 , m,n + 1 2 ¶ . Le calcul numérique est ensuite eectué dans un domaine scindé en trois zones schématisées sur la gure 2.1 : deux zones homogènes constituées du matériau composant la matrice du cristal phononique, séparées par une troisième zone contenant le réseau périodique lui-même. L’une des zones homogènes est le milieu d’excitation, à partir duquel une onde acoustique propagative est générée. L’autre est une zone de détection, où le champ de déplacement en fonction du temps à l’issue du passage de l’onde à travers le cristal phononique est collecté. Dans la direction orthogonale à la propagation, des conditions aux limites périodiques sont appliquées. En revanche, des conditions d’absorption, dites conditions de Mur [100, 79], sont imposées le long de la direction de propagation. Elles permettent notamment de simuler un milieu de propagation inni et de s’aranchir de réflexions parasites et sans signification physique que pourraient introduire des conditions aux limites périodiques. Pour la composante du champ de déplacement ux, ces conditions s’écrivent de la façon suivante : ux (l, m,n, k + 1) = ux (l, m, n + 1,k) + c0∆t − ∆x c0∆t + ∆x [ux (l, m,n + 1,k + 1) − ux (l, m, n,k)] (2.6) c0 étant la vitesse transverse ou longitudinale de l’onde dans le matériau constitutif de la matrice. L’expression du champ à l’issue des différentes étapes de propagation parvient alors sous forme temporelle au niveau du collecteur numérique situé dans la seconde zone homogène. Les composantes du champ sont converties dans le domaine fréquentiel par application d’une transformée de Fourier rapide. On procède enn à une normalisation du signal transmis par rapport au signal 44 2.2 Choix de la structure incident an de déterminer le coefficient de transmission du système.
Intérêt de la méthode et considérations géométriques
Le calcul est effectué sur une cellule unique, et des conditions aux limites périodiques (C.P.) sont appliquées de part et d’autre de cette cellule élémentaire. La méthode des différences nies permet donc de remonter à la fonction de transfert du réseau périodique ni. Des confrontations théorie/expérience par mesure de la transmission à travers un cristal phononique peuvent ainsi être directement réalisées. Elle donne également accès à la cartographie des amplitudes du champ de déplacement dans toute la structure, fournissant ainsi des informations importantes sur la propagation de l’onde acoustique et permettant d’aner les interprétations tirées de l’étude du spectre. Enn, du point de vue de la conception, il est possible en usant de ce même code de calcul de retrouver les diagrammes de bandes du réseau périodique, de façon à déterminer les paramètres géométriques pertinents, comme la période du réseau et son facteur de remplissage, pour l’obtention de bandes interdites lors de la mise en jeu de deux matériaux constitutifs donnés (matrice et inclusions). Dans ce cas, il s’agit de discrétiser une seule cellule et d’appliquer des conditions de périodicité sur chacun de ses côtés pour obtenir le diagramme de bandes du système inni. La figure 2.2 illustre de manière très sommaire le principe appliqué. La FDTD présente toutefois quelques inconvénients notables, à l’image de l’excessive diculté de prise en compte de conditions aux limites à la surface pour les matériaux fortement anisotropes, sur laquelle nous reviendrons dans le chapitre suivant. La comparaison à d’autres méthodes de simulation a aussi mis en évidence l’existence de bandes dites sourdes [101], dont l’excitation est intimement corrélée à la symétrie de la source, et qui conduit parfois à supposer l’ouverture de bandes interdites dans des gammes de fréquences où des modes existent pourtant. Ces diérences ont surtout été observées sur des cristaux phononiques à géométrie triangulaire ou hexagonale. Les cristaux photoniques sur lesquels nous avons porté notre intérêt consistent en un arrangement périodique suivant une géométrie de réseau carrée. La comparaison des diagrammes de bandes obtenus par FDTD avec ceux obtenus par d’autres moyens de calcul (PWE ou éléments nis) semblent nous indiquer que ce cas particulier au moins est exempt de ce type de branches. Pour un traitement plus exhaustif de la méthode des dfférences nies, nous suggérons au lecteur de se référer à l’ouvrage de Taove [100] en optique ou de Brac [102] en acoustique. 45 Filtrage et guidage des ondes de volume dans un cristal phononique bidimensionnel Fig. 2.3 Cristal phononique consistant en un réseau de tiges d’acier de dimension millimétrique. La géométrie du système peut être remaniée par simple déplacement des cylindres et remplacement dans les trous percés dans la plaque d’acier de maintien prévue à cet effet.
Mise en évidence expérimentale des phénomènes de guidage et de ltrage des ondes
Description de la structure Cristal phononique
Le cristal phononique consiste en un arrangement bidimensionnel de cylindres d’acier disposés selon une géométrie de réseau carrée, plongés dans une cuve d’eau. À la lumière d’une série de résultats obtenus par les simulations préalablement mentionnées, nous avons opté pour un système de tiges d’acier de 2,5 mm de diamètre pour 150 mm de long. Celles-ci sont manuellement xées sur une plaque rigide, en acier également, perforée de trous et assurant un paramètre de maille de 3 mm. La géométrie du cristal peut ainsi être modifiée par simple adjonction ou suppression de tiges. Le facteur de remplissage de la structure F, déni comme le rapport des surfaces d’une inclusion et d’une cellule élémentaire du réseau périodique (voir gure 2.2), est alors d’environ 55%. Une des configurations réalisées est donnée sur la gure 2.3. Dans ce cas précis, un guide courbé a été inscrit dans le réseau. Un cristal parfait avec une géométrie de maille carrée de dix périodes de long a tout d’abord été assemblé. D’un point de vue théorique, le diagramme de bandes obtenu par méthode des différences nies prédit l’existence d’une gamme de fréquences interdites s’étendant de 240 à 325 kHz, comme illustré sur la figure 2.4. Le calcul a dans ce cas été effectué pour un cristal bidimensionnel, s’étendant à l’inni dans les trois directions de l’espace, pour les directions principales de la première zone de Brillouin irréductible du réseau carré (voir annexe A), c’est à-dire le long du chemin fermé Γ-X-M-Γ. Pour ce qui est des simulations, seules les polarisations longitudinales ont été prises en compte pour la propagation dans l’eau (ce sont en eet les seules polarisations susceptibles de se propager dans un uide), alors que les polarisations à la fois transverses et longitudinales ont été considérées dans les inclusions d’acier. Il est également possible d’uniformiser le traitement du problème pour les deux types de matériaux en imposant des vitesses transverses nulles dans le cas du fluide.