Figures et raisonnements géométriques dans un environnement de géométrie dynamique
Une réification des propriétés géométriques
Comme nous l’avons vu dans la section 2.3, il est nécessaire de prendre en compte les notions de transposition informatique des savoirs mathématiques et de genèses instrumentales des élèves et des enseignants lorsque nous étudions l’utilisation de technologies 2 en cours de mathématiques. Nous nous intéressons maintenant plus précisément à la question des logiciels de géométrie dynamique. Il en existe de nombreux mais nous nous concentrerons surtout sur les logiciels ouverts 3 qui permettent d’afficher et déplacer les objets géométriques directement (à l’aide de la souris ou du pavé tactile) .
Déplacements dans un environnement de géométrie dynamique
La notion de déplacement est un élément central de l’utilisation des logiciels de géométrie dynamique que nous considérons. Elle a fait l’objet de nombreuses références en didactique des mathématiques et dans le domaine des EIAH depuis l’introduction des logiciels permettant le déplacement des objets tracés à l’écran par la manipulation directe. Dans les environnements de géométrie dynamique, il existe en fait plusieurs types de déplacements liés aux types de points que l’on peut créer : — le point libre peut être déplacé partout dans l’écran ; — le point sur un objet implique un déplacement « contraint ou limité » (Restrepo, 2008, p. 42) sur l’objet auquel appartient le point ; — le point « non attrapable » implique un déplacement « indirect » (Restrepo, 2008, p. 42) puisqu’on ne peut pas le déplacer directement. Il est nécessaire de passer par le déplacement des points desquels il dépend. Par exemple, un point construit à l’intersection de deux droites ne peut pas être attrapé, il se déplace sur l’écran lorsqu’on déplace les points qui sous-tendent les deux droites auxquelles il appartient. a. Paradigme des constructions robustes Le déplacement par manipulation directe est considéré comme une composante importante offrant une rétroaction aux actions de l’élève (Laborde & Capponi, 1994, p. 175). À savoir que si la figure n’est pas robuste, qu’elle ne résiste pas au déplacement, c’est qu’elle n’a pas été construite « selon des procédés adéquats à la géométrie » (Lagrange & C.-Dedeoglu, 2009, p. 199). En effet, le déplacement conserve les propriétés géométriques mises en jeu dans la construction par l’utilisation des outils, mais ne conserve pas forcément les propriétés spatio-graphiques de la figure auxquelles s’attachent pourtant souvent les élèves lorsqu’ils construisent une figure. Ainsi, Laborde et Capponi montrent que le déplacement joue un rôle très important dans l’évolution des procédures des élèves. Ils lui distinguent deux fonctions : — « il disqualifie des procédures au jugé […] ce qui entraîne les élèves à analyser le dysfonctionnement du Cabri-dessin, et à le modifier en conséquence ; — il met visuellement en évidence des invariants géométriques et suscite ainsi la rectification de procédures erronées » (Laborde & Capponi, 1994, p. 194). Le déplacement dans les logiciels de géométrie dynamique favorise la distinction entre le dessin et la figure (Grugeon & Duvert, 2001 ; Assude & Grugeon, 2004) en faisant mieux apparaître les liens entre propriétés spatio-graphiques et propriétés géométriques car la figure construite doit respecter un certain nombre de contraintes même déplacée sur l’écran (Laborde, 2005 ; Soury-Lavergne, 2007). Ainsi, l’enseignant peut, par exemple, faire remarquer que l’orientation horizontale ou verticale des côtés perpendiculaires d’un triangle rectangle (positions prototypiques) est une propriété spatio-graphique liée à une configuration particulière mais n’est pas une propriété géométrique du triangle rectangle.
Paradigme des constructions molles
Assez logiquement d’après ce que nous venons de voir, le déplacement est souvent présenté par les enseignants comme un moyen de vérifier que sa construction est correcte car ne se déformant pas lorsque ses points sont déplacés. C’est ce que Laborde (2005) appelle le paradigme des constructions robustes. Cependant, comme nous avons commencé à le souligner, le déplacement peut être utilisé à d’autres fins et en particulier dans le cadre du paradigme des constructions molles (Laborde, 2005). Ce type de déplacements permet de positionner les points de la figure dans une configuration faisant apparaître certaines propriétés (Gousseau-Coutat, 2006, p. 67), ce qui favorise l’élaboration d’une argumentation heuristique. Les propriétés réalisées sont alors éphémères et la construction réalisée est appelée une construction molle. Les élèves (de tous les niveaux scolaires) utilisent souvent « naturellement » ce paradigme comme le montre, par exemple, Jones (1998) qui observe quatre étudiants diplômés en mathématiques résoudre le problème de construction d’un cercle tangent à deux droites sécantes. Pendant les premiers essais, ces étudiants construisent un cercle qu’ils ajustent en le déplaçant et en faisant varier sa taille (c’est-à-dire en déplaçant un des points du cercle de manière à l’éloigner ou le rapprocher du centre). Ils recommencent ainsi plusieurs fois la construction en utilisant de plus en plus de propriétés géométriques au fur et à mesure qu’ils les découvrent et de moins en moins le paradigme de la construction molle. La plupart du temps, les élèves ou étudiants 183 6.1. Une réification des propriétés géométriques qui agissent de même ne présentent à l’enseignant que leur travail final dans lequel les constructions molles successives n’apparaissent pas, l’enseignant ne les remarque donc pas (Laborde, 2005). Selon Laborde, les constructions molles devraient être officiellement introduites par l’enseignant et exploitées en classe au même titre que les constructions robustes. Elles paraissent en effet particulièrement pertinentes dans une phase heuristique. Dans la section 3.1.4, nous avons montré que les représentations d’une figure géométrique et en particulier un schéma codé ont une forte fonction heuristique. Dans l’environnement de géométrie dynamique, le déplacement des figures à l’écran constitue une autre source d’heuristiques. Cependant, dans les tâches de construction que nous proposons aux élèves, nous visons la construction de figures robustes. L’élève doit donc remettre en jeu les propriétés potentiellement découvertes dans une phase heuristique de construction molle en faisant le lien avec les outils de construction disponibles dans le milieu.