Fibre complétement apériodique à large pitch dopée thulium
Fabrication d’une FA-LPF dopée thulium
Dans le chapitre 3, l’avantage de l’utilisation d’une FA-LPF a été expliqué. Cependant, pour obtenir une performance optimale, un accord parfait d’indice de réfraction entre la gaine dopée passivement et le cœur dopé activement est demandé. Si l’indice du milieu à gain est légèrement supérieur à celui de la gaine, certains modes d’ordre supérieur vont être confinés dans le cœur. Ainsi plus la différence d’indice entre les deux zones sera importante, plus le seuil d’apparition du régime multimode et par conséquent le seuil d’apparition des instabilités modales transverses seront rapidement atteints. Dans la figure 71.a, l’évolution du seuil du régime multimode obtenu au travers de la valeur maximale du chargement thermique toléré (noté Qmax comme défini au chapitre n°3) en fonction du contraste d’indice entre le cœur actif et la gaine passive est calculée dans une FA-LPF (pitch fixé à 45µm correspondant à une dimension de cœur de 75µm) à une longueur d’onde de 2µm. Sur ce graphe on peut voir que la valeur de Qmax diminue progressivement et de manière quasi-linéaire avec la différence d’indice Δn. On passe d’une valeur de Qmax = 152W/m quand une égalité parfaite d’indice est réalisée (cas idéal) à une valeur Qmax = 0W/m quand le contraste indicielle est de +1,5×10-4 (dans ce dernier cas la fibre est multimode dès qu’on la pompe). Comme la performance de la fibre est très sensible à la différence d’indice Δn, la taille maximale du cœur qui peut être fabriquée pour chaque valeur de Δn tout en assurant une propagation quasi-monomode (ΔΓ>30%) est montrée dans la figure 71.b (on a arbitrairement fait le calcul pour un chargement thermique nul soit Q = 0 W/m, autrement dit pour une fibre « froide » i.e. non soumise à un rayonnement de pompe). Sur cette courbe on trouve le diamètre du cœur de 75µm qui peut être fabriqué pour une différence d’indice de 1,5×10-4. En outre, si la différence d’indice est de +0,5×10-4, une fibre ayant une dimension de cœur de 140µm peut être produite. A cause de la forte dépendance entre la performance d’une FA-LPF et la différence d’indice de réfraction entre le cœur et la gaine, une attention particulière doit être prise en compte sur cet aspect durant la fabrication des matériaux formant les deux milieux. Donc, afin de contrôler très précisément l’indice de réfraction de chaque matériau, on a choisi d’utiliser un cœur avec une concentration en Tm3+ et Al3+ assez modérée. Dans le chapitre précédent, une composition de 0,3mol% de Tm2O3 et 3mol% d’ Al2O3 a permis d’observer une efficacité de 43%, une valeur qui dépasse légèrement la limite de Stokes (Fib1). Nous avons donc retenu cette composition pour former le milieu à gain de la fibre FA-LPF à fabriquer car elle représente un équilibre entre une composition efficace et une composition dont l’indice de réfraction n’est pas trop difficile à contrôler. Ensuite, un matériau composé de silice dopée aluminium (avec une concentration d’Al2O3 de 3,95mol%) a été sélectionné pour jouer le rôle du matériau de fond de la gaine microstructurée dopée passivement. Fibre complétement apériodique à large pitch dopée thulium Dia DARWICH| Thèse de doctorat | Université de Limoges | 27 novembre 2017 95 Théoriquement, ces deux matériaux (d’une part silice dopée 0,3mol% Tm2O3 et 3mol% Al2O3 et d’autre part silice dopée 3,95mol% Al2O3) doivent avoir la même valeur d’indice de réfraction.Pendant la fabrication du matériau passif, des cristaux ont malheureusement été générés dans la matrice de silice dopée aluminium. La formation de ces cristaux est due à la concentration de l’oxyde d’aluminium dans la matrice silice qui est proche d’une concentration critique connue et fixée à 5mol% pour laquelle un phénomène de séparation de phase est observé. La formation des cristaux est traduite par une variation de diamètre extérieur des cannes passives à l’échelle macroscopique. Afin de minimiser le risque d’avoir des effets de cristallisation dans notre fibre FA-LPF finale, on a essayé d’identifier les cannes ayant la moindre fluctuation en diamètre externe. Une fois cette sélection faite, il s’est avéré que le nombre de cannes passives disponibles n’était pas suffisant pour faire l’assemblage global des cinq couronnes de silice dopée passivement de la structure FA-LPF comme celle proposée dans le troisième chapitre et rappelée dans la figure 72.a. On a alors décidé de modifier la structure initiale de la fibre FA-LPF en diminuant le nombre de ces couronnes jusqu’à trois en proposant la structure FA-LPF à gaine réduite montrée dans la figure 72.b. Dans cette structure, deux couronnes de la gaine passive sont remplacées par des barreaux de silice pure. Dans la nouvelle structure, le milieu à gain est toujours formé par 19 cannes actives, la première gaine optique est formée par trois couches de slice dopée aluminium et la propagation monomode dans la zone de cœur est assurée par l’ajout de 9 inclusions de silice dopée fluor (remplaçant donc 9 cannes de silices dopées passivement), comme le montre la figure 72.b. J’ai effectué un calcul numérique sur cette structure FA-LPF à gaine réduite et j’ai ainsi pu montrer que dans une fibre froide (correspondant à un chargement thermique Q = 0W/m) la délocalisation du mode LP11 vers l’extérieur du milieu à gain reste très efficace malgré la réduction de la gaine microstructurée. Cependant, cette structure à gaine réduite est moins performante que la FA-LPF proposée initialement en présence d’un chargement thermique. Par exemple, le seuil d’apparition du régime multimode dans une FA-LPF à gaine réduite ayant un pitch de 45µm (correspondant à une dimension de cœur de 75µm) à Dia DARWICH| Thèse de doctorat | Université de Limoges | 27 novembre 2017 96 λ = 2µm est de 132W/m au lieu de 152W/m dans le cas d’une FA-LPF « standard ». Nous sommes obligés d’accepter ici cette diminution de 13% du seuil du régime multimode à cause du nombre trop restreint de cannes dopées passivement utilisables. L’assemblage de la structure est montré dans la figure 72.c :les barreaux en rouge représentent le cœur actif, les barreaux en vert représentent la silice dopée fluor, les barreaux en blanc représentent la silice dopée aluminium et les barreaux en bleu représentent des cales en silice pure. L’assemblage est ensuite étiré en cannes microstructurées. L’image prise au microscope d’une de ces cannes est illustrée dans la figure 72.d. Dans cette figure on peut remarquer que le cœur (formé par 19 hexagones) et la gaine ont une intensité lumineuse légèrement différente. Ceci laisse supposer que le milieu à gain et la gaine passive possèdent un indice de réfraction légèrement différent. Un point important et non prévu à ce stade est que l’on peut aussi observer la présence d’une fine couche séparatrice à l’interface entre certains hexagones du cœur. Cette observation peut être expliquée par une évaporation du chlore à l’extérieur des barreaux actifs (comme on a déjà vu dans le chapitre 2 et dans la figure 27). Mais, cette hypothèse doit être vérifiée afin de comprendre l’origine de cette observation.
Caractérisation de la FA-LPF dopée thulium
Afin d’avoir plus de détails sur les caractéristiques de notre fibre et en particulier sur une possible désadaptation indicielle entre le cœur et le matériau de fond de la gaine microstructurée, une mesure d’indice de réfraction a été réalisée sur une fibre de test représentée dans la figure 73.a. Cette fibre est constituée d’un assemblage de trois barreaux dopés activement et de quatre barreaux dopés passivement : 1 barreau utilisé pour la gaine passive dopée aluminium est entouré d’une couronne de six barreaux (3 barreaux actifs et 3 barreaux utilisés pour la gaine passive, positionnés en alternance). La mesure d’indice est alors effectuée en utilisant l’appareil commercial IFA100 (InterFiber Analysis) permettant d’établir une cartographie transverse 2D de l’évolution de l’indice de réfraction. La mesure de la variation de l’indice de réfraction faite en particulier selon trois axes correspondant à 3 diamètres différents (chacun passant par un des barreaux dopés activement, comme le montre la figure 73.b) donne une différence d’indice entre le matériau actif et le matériau passif de +3×10-4 (cf. figure 73.b). Cet excès d’indice en faveur du cœur va alors provoquer une propagation multimode quand la dimension de la zone de gain dépasse 55µm (cf. figure 71.b). Il faut préciser que la valeur réelle de la différence d’indice peut être plus ou moins importante (±1×10-4) que la valeur mesurée si l’on tient compte de la sensibilité de l’appareil de mesure.On a caractérisé dans un premier temps une fibre FA-LPF à gaine réduite présentant une dimension de cœur valant 80µm. On a étudié la transmission de rayonnements lumineux provenant soit d’une source large bande supercontinuum (400nm < λ < 1750nm), soit d’une source laser émettant un rayonnement à λ = 2µm. Les distributions d’intensité mesurées en champ proche obtenues à la sortie d’une fibre ayant une longueur de 86cm sont montrées dans la figure 74.(a) et 74.(b). Dans les deux figures, la lumière est guidée dans le cœur notamment grâce au faible excès d’indice de réfraction présent dans la zone active. Par contre, on peut observer que la distribution d’intensité dans les deux cas est un peu étrange et que le mode fondamental ne peut pas être excité (il n’est jamais observé). Si on regarde plus en détails la distribution de l’intensité dans le cœur, on constate que des zones de la région active apparaissent comme des guides secondaires isolés. Ceci s’explique par la présence des fines couches ayants un indice de réfraction plus faible autour des barreaux actifs constituant le cœur (cf. figure 72.b). L’épaisseur de ces fines couches devient toutefois « invisible » pour des longueurs d’onde proches de 2µm quand la dimension du cœur est inférieure à 40µm. Cette valeur a été calculée en supposant que le cœur devient homogène pour cette gamme de longueur d’onde quand l’épaisseur de ces couches devient inférieur à λ/10. Un échantillon de chaque fibre avec une longueur comprise entre 80cm et 90cm a été testé en configuration laser en utilisant le montage expérimental montré dans la figure 75. Dans ce montage une diode de pompe émettant à λ = 793nm une puissance optique de 100W a été utilisée. Cette diode a une sortie fibrée avec un cœur de 200µm et une ouverture numérique de 0,22. Ensuite, deux lentilles asphériques traitées de manière à avoir un minimum de pertes à la longueur d’onde de pompe ont été utilisées pour injecter le Dia DARWICH| Thèse de doctorat | Université de Limoges | 27 novembre 2017 99 rayonnement de pompe dans la fibre. La distance focale de la lentille utilisée pour collimater le faisceau de pompe est de 17mm. Par contre, une lentille avec une distance focale de 8,5mm a été utilisée pour focaliser le faisceau dans la gaine de la fibre. Il faut préciser qu’un système de refroidissement a été utilisé pour maintenir la température du support de la fibre à 15°C. Ensuite, la montée en puissance laser, le spectre émis et la qualité modale du faisceau émis ont été mesuré sen utilisant un puissance-mètre, un OSA, une caméra pyroélectrique pour visualiser la distribution d’intensité (en ajoutant une lentille de 300mm de distance focale afin de limiter la divergence du faisceau) et une caméra InGaAs étendue qui nous permet de réaliser une mesure de M2 (en utilisant une lentille de focalisation de 500mm de distance focale).
FA-LPF passive à polarisation unique
Le contrôle de l’état de polarisation dans certaines des applications mentionnées dans le premier chapitre, surtout pour la conversion de fréquence, est indispensable. Dans les fibres à saut d’indice, l’état de polarisation est contrôlé en créant une biréfringence au sein de la fibre. Par exemple, dans les fibres dites « panda », l’ajout de deux plots de silice dopée bore dans la gaine optique crée une variation d’indice de réfraction dans la structure due au stress généré grâce à la différence de coefficients d’expansion thermique entre la silice et le bore. Cette variation d’indice crée une différence d’indice effectif entre les deux axes de polarisation, et par conséquent les deux états de polarisation du mode fondamental vont être propagés avec deux vitesses différentes. L’état de polarisation du mode fondamental dont le vecteur champ électrique est parallèle à l’axe des plots va avoir l’indice effectif le plus grand, parce que le stress induit sur cet axe est le plus important. Cet axe sera ainsi l’axe lent et l’axe perpendiculaire sera l’axe rapide. Ces fibres sont dites à maintien de polarisation (PM) : quand une lumière linéairement polarisée est injectée suivant un de ces axes, l’état et l’angle de polarisation vont être conservés durant la propagation.De plus, une lumière linéairement polarisée peut être obtenu en utilisant des fibres appelées des fibres à polarisation unique (PZ). Ces fibres sont en général microstructurées. Par exemple, dans les fibres microstructurées PCF air-silice, l’indice du matériau constituant le fond de la gaine optique est souvent égal à celui du cœur. En ajoutant des inclusions de bore dans la structure on va rapprocher l’indice effectif de l’état de polarisation du mode fondamental perpendiculaire à l’axe des plots (LP01,y) des indices effectifs de certains modes de gaine. La combinaison de la variation d’indice de réfraction avec la courbure va alors permettre un couplage entre le mode LP01,y et un mode de gaine. Dans ce cas, l’état de polarisation du mode fondamental ayant un vecteur champ électrique parallèle à l’axe des plots de stress peut être guidé tandis que l’énergie du mode fondamental couplé avec un mode de gaine va être perdue dans la gaine. Grâce à ce couplage modal, une lumière linéairement polarisée peut être obtenue à la sortie de la fibre microstructurée à partir d’une lumière injectée non polarisée. Le degré de polarisation de ces fibres est calculé (en dB) en faisant la différence entre les puissances optiques mesurées à la sortie du cœur de la fibre portées suivant les deux axes de polarisation. En utilisant cette approche, une PCF dopée thulium à polarisation unique avec un cœur de 50µm (MFD de 36µm, MFA~1000µm²) et un PER de 15dB a été montrée dans [Modsching11]. Pour obtenir l’émission d’une polarisation unique, cette fibre a été courbée avec un rayon de 20cm. Afin d’introduire cette propriété de polarisation unique dans notre architecture FA-LPF qui elle ne peut être courbée (notre architecture est en effet une fibre rod-type), nous devons donc provoquer un couplage entre un des deux états de polarisation du mode fondamental et un mode de gaine sans l’application d’une courbure à la fibre, afin de garder la propagation d’un seul état de polarisation du FM. La structure complétement apériodique passive (fig. 81.a) a été optimisée en ajoutant six inclusions dopées bore (représentées en jaune dans la fig. 81.b). La présence de ces inclusions va créer du stress dans la structure, dû à la différence de coefficients thermiques entre la silice pure et la silice dopée bore. Deux inclusions de stress (SAP) ont été placées derrière des inclusions bas-indice (fait de silice dopée fluor) de la microstructure de la gaine pour éviter la déformation du mode fondamental à cause du stress. De plus, quatre SAP ont été placées dans la gaine en remplacement de quatre inclusions bas-indice appartenant à la microstructure de la gaine afin de modifier fortement l’indice effectif des modes de gaine. La distribution du stress généré dans la structure est représentée dans la figure 81.c. L’intensité du stress est plus élevée autour des SAP et devient de moins en moins forte en se rapprochant du centre du cœur de la fibre. Ce stress va modifier l’indice de réfraction de la structure et par conséquent les indices effectifs des modes. Il apparait que l’indice effectif de l’état de polarisation du FM ayant un vecteur champ électrique parallèle à l’axe du stress (LP01,x) se retrouve légèrement augmenté. De plus il s’avère que certains modes de gaine ayant une étendue géométrique sur l’ensemble de la structure voient également leurs indices effectifs légèrement augmenter. Quand les indices effectifs du mode LP01,y et d’un mode de gaine deviennent égaux, et en profitant du recouvrement spatial non nul des champs électriques de ces deux modes, un couplage sélectif entre eux s’opère. Sous cette condition, seulement le mode LP01,x reste guidé dans le cœur (cf. fig. 81.d) et le mode LP01,y fuit dans la gaine (cf. fig. 81.e) sans avoir besoin de courber la fibre. Rappelons que cela est possible dans le cas de notre architecture parce que les indices effectifs du FM et des HOMs sont très proches. Ces résultats sont obtenus dans notre étude avec un cœur de 140µm et à une longueur d’onde de 2µm. Les différents paramètres utilisés dans le calcul du stress sont résumés dans le tableau 6.