Femmes, hommes et parité communicationnelle :
germination d’un nouveau genre
Triade vitale
Depuis 1983, je peux dire avoir vécu trois vies en parallèle : une vie intellectuelle en continu, une vie artistique en continu et une vie sociale et intime dont je n’ai guère maîtrisé les ingrédients. Comme les couleurs du spectre, comme les sons du langage, tout élément capté par l’humain entre en résonnance avec son univers intime et c’est la diversité des captations qui fait la richesse de l’ensemble. Quand une partie des individus est dotée de privilèges sociaux et/ou économiques au détriment de l’autre partie qu’elle écrase ou protège à son gré79, le chaos s’installe comme un ordre de la destruction que le langage prend à son compte. Et ce sont « les caractéristiques de cette langue qui appelle au meurtre et à l’anéantissement de toute altérité » 80 . Pour avoir subi, dans ma vie sociale et intime, les effets d’un totalitarisme des représentations qui se donne des moyens coercitifs d’envergure, moyens implicites autant qu’explicites, j’ai dû faire appel à ma vie intellectuelle et artistique pour en venir à bout. Autrement dit, ce n’est que l’appel à la créativité et la maîtrise de l’observation qui m’ont permis de tenir bon la barre dans la tempête, ou de me laisser remonter du tourbillon contre lequel on apprend à ne pas lutter au risque d’y épuiser ses forces. Or, j’avais reçu de ma mère l’énergie de l’action et de mon père la réceptivité de l’hypersensibilité. Ce sont donc pour moi les modèles du féminin et du masculin, en opposition avec les modèles que Simone de Beauvoir semble avoir reçu de ses parents, selon les Mémoires d’une jeune fille rangée. Consciente de la contradiction de ma position avec les représentations transmises par une doxa qui change d’avis selon les siècles, les modes ou les voix les plus fortes, j’ai creusé ma spécificité81 et me suis donné pour cela des garde-folie que la confiance qui m’a été prodiguée tout au long de mon existence et depuis mon enfance m’a permis de garder intacts82 . Je dois dire également que ma première écriture réflexive portait sur l’éducation. C’est un texte qui a la maladresse de qui ne maîtrise pas son expression mais a le mérite de me faire revenir à l’endroit exact de ma réflexion saisie dans sa conception à un âge très proche de celui de la naissance. C’est une réflexion qui s’ancrait dans un passé de proximité dont le lien était fait avec l’animalité, non point dans ce qu’un freudisme désigne comme manque ou désir mais au contraire dans une connaissance instinctive que l’éducation fait oublier. Et ce n’était pas un regard d’adulte sur un souvenir, ni le regard d’un tiers sur une histoire racontée, mais bien une perception d’enfant sur sa propre connaissance au moment-même de la réflexion que l’écriture permet de capter, aussi maladroitement que ce fût. Si je me permets d’introduire cette notation qui peut sembler être une anecdote, c’est qu’elle marque à mes yeux le début de ma recherche selon une démarche hypothético-déductive et celle-ci portait sur l’éducation. C’est pourquoi je ne pourrai pas terminer ce travail sans faire le lien avec tout ce que l’étude du genre dans la langue peut apporter à l’éducation en proposant la rédaction d’un manuel qui aborde la langue française par l’étude du genre grammatical83 ; ceci étant, en outre, une nécessité, dans la mesure où la mise en place d’un genre grammaticalement nouveau l’exige et pour répondre en même temps à une demande qui m’est faite de plus en plus souvent à ce propos. Pour être remontée au plus lointain de mon propre temps cellulaire que l’expérience a pu faire émerger et pour avoir été nourrie de l’écriture française, force m’est de constater que le présent travail est un aller-retour du mémoire à la mémoire84, ou, devrais-je dire, de la mémoire au mémoire, et pourquoi pas des mémoires aux mémoires, sachant qu’autrefois, mais peut-être encore aujourd’hui, nous parlions de mémoire vive et de mémoire morte en informatique. La mémoire vive pourra être assimilée à l’usage, la mémoire morte aux principes. La mémoire vive pourra être également assimilée à la culture comme étant le travail en train de se faire. Nietzsche écrit que « la culture est ce qui modifie notre regard sur les objets, sur notre actualité, sur notre héritage » mais c’est ce qui peut être dit de l’apprentissage d’une manière générale et l’apprentissage peut se faire tout au long d’une vie, comme il peut s’arrêter plus ou moins tôt par paresse intellectuelle qu’entretient le confort d’un statut social ou l’aliénation à l’étape du « chameau » selon Nietzche. La mémoire morte serait à rapprocher de la définition de la culture selon nombre de nos contemporain·es, à savoir une institution rassurante pour les représentant·es du pouvoir économique et intellectuel à la fois, discriminante et contraignante pour les autres85. Pour employer le mot culture selon la formulation vulgarisée de « la culture est ce qui reste quand on a tout oublié », nous pouvons dire que c’est un conditionnement pour certain·es mais pour d’autres un univers dont les effluves nourrissent. Et, comme c’est aussi les deux à la fois, une réflexivité vigilante est nécessaire pour circonscrire l’espace de notre liberté agissante. Et c’est la « réflexivité agissante » que je nommerai à mon tour le « métaréalisme »
Année 2007, année lumière
Cette année-là fut exemplaire d’un point de vue médiatique en France dans la mesure où les élections laissaient entrevoir la possibilité de l’accession d’une femme au pouvoir présidentiel qui jusque-là, et depuis la création de la République en France, avait toujours été détenu par un homme94. Cette détention masculine ayant été si peu remise en cause en a déteint sur l’emploi-même du mot qui désigne la fonction présidentielle, au point que bien des francophones en ont oublié que « président » n’était que le masculin de « présidente ». Pour ma part, je me souviens d’avoir été choquée dans ma sensibilité citoyenne et républicaine et humiliée dans mon identité féminine quand j’eus connaissance de l’existence d’un sondage qui posait la question de savoir s’il était envisageable de voir une femme chef de l’Etat français. J’ai eu connaissance du sondage par son résultat diffusé qui donnait une majorité de « oui » mais qui, par le fait-même que la question fût posée, ne pouvait qu’insinuer le doute sur la compétence d’une femme chez des personnes qui n’auraient pas songé à se la poser. En effet, la question de savoir si un homme était envisageable comme chef d’État n’avait, elle, jamais eu l’occasion d’être pensée publiquement. Le comportement des hommes qui se sont succédé à la tête de l’État peut-il être observé dorénavant sous cet angle-là, à savoir leur vulnérabilité liée à leur sexualité95 ? J’ai, en effet, souvenir d’une réflexion misogyne de mon professeur d’histoire de la seconde à la terminale, formulée en ces termes : « Quand les femmes sont au pouvoir, le pays est bien gouverné mais c’est parce que les hommes commandent, quand les hommes sont au pouvoir, ça se passe mal car ce sont les femmes qui commandent ». Outre le caractère fortement misogyne de la réflexion, celle-ci implique la croyance en une domination de la petite histoire sur la grande histoire, et l’on ne peut certes nier la forte imbrication des deux, mais c’est aussi réduire cette petite histoire dominante à une affaire de coucherie. Il me semble intéressant ici d’introduire la réflexion de John Stuart Mill96 « ce n’est pas vrai que sous les rois, les femmes gouvernent. Cela n’arrive que très exceptionnellement et, si les rois faibles ont mal gouverné, c’est tout aussi souvent sous l’influence de favoris du sexe masculin que du sexe féminin. » Et, en suivant la démonstration de J Stuart Mill, on arrive à une conclusion opposée à celle de mon enseignant d’histoire, à savoir que les rares femmes qui ont exercé le pouvoir monarchique l’ayant en effet exercé de façon exemplaire doivent l’excellence de leur gouvernement à leur faculté de savoir « mieux choisir leurs ministres que les rois. Les femmes doivent donc être mieux qualifiées que les hommes comme souverain et comme Premier ministre », continue-t-il. Et il en attribue la cause au « fait reconnu », selon lui, de leur « finesse psychologique supérieure à celle des hommes ». Nous ne le suivrons évidemment pas sur ce point car nous estimons que rien n’est propre aux hommes ou aux femmes du point de vue des aptitudes psychologiques, car trop largement liées à l’éducation, éventuellement différenciée, et au contexte social
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