Faire du numérique une solution pour l’accessibilité
L’accessibilité, ou comment réparer les exclusions produites par l’infrastructure physique
Avant d’entrer dans l’analyse des différentes étapes du programme Hackcess Transilien, il est important de préciser ce que recoupe l’accessibilité pour l’opérateur de transport. Il faut pour cela ne pas prendre pour évident ce problème, mais chercher à comprendre le caractère Faire du numérique une solution pour l’accessibilité historique et contingent de la prise en compte des personnes handicapées et des différentes manières de penser leur inclusion sociale. Cette perspective historique nous permettra de caractériser une première approche du traitement de l’accessibilité des gares que je qualifierai « d’architecturale ».
La construction de l’accessibilité comme problème public
Une manière de dénaturaliser nos conceptions de l’accessibilité est de revenir sur l’histoire de l’inclusion des personnes handicapées en France, et en particulier sur les mobilisations qui ont profondément remodelé l’action publique à leur égard. Le travail de thèse de Muriel Larrouy, L’invention de l’accessibilité (Larrouy, 2011), est particulièrement précieux pour cela. La prise en compte du problème de la mobilité des personnes handicapées par les autorités publiques a été le fruit d’un travail politique1 (Dodier, 2003) ayant commencé à la fin des années 1970, mené par des associations de personnes handicapées et en particulier par l’Association des Paralysés de France (APF). Ces associations dénonçaient une injustice, à savoir l’exclusion générale des populations handicapées de la vie en société en raison de leurs corps jugés déficients. Une première étape dans la prise en compte de leurs revendications a eu lieu avec la loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, qui portait sur les questions d’accessibilité des logements, des espaces recevant du public et visait aussi à faciliter le déplacement des personnes concernées. Dans le domaine des transports publics, elle a instauré deux catégories de handicap qui ont ensuite déterminé la prise en charge des personnes concernées : les handicaps jugés légers, n’empêchant pas les personnes d’être autonomes, capables de franchir une marche de quinze centimètres (la hauteur d’un trottoir), et les handicaps lourds, généralement des personnes en fauteuil roulant (Larrouy, 2011). Par ces catégories, les transporteurs distinguaient celles et ceux qui pouvaient circuler sur le réseau malgré leurs « déficiences »2, notamment grâce à l’installation d’équipements pour faciliter leurs déplacements, et celles et ceux qui ne le pouvaient pas, et pour lesquels la mise en place de solution relèverait de « l’utopie » (Ibid., p. 58). L’exclusion des personnes en fauteuil roulant du système de transport public (train, transport en commun de proximité, réseaux métropolitains) s’est longtemps maintenue au nom d’un ensemble d’arguments invoquant l’impossibilité d’adapter une infrastructure historiquement adossée à certaines normes corporelles et de mobilité. Étaient alors avancés les coûts qu’entraîneraient de nouveaux aménagements physiques, les contraintes d’exploitation, les impératifs de sécurité et, in fine, l’impossibilité d’assurer à court terme une qualité de service répondant aux attentes des personnes handicapées3 (Ibid, p. 54-56). Ainsi, l’efficacité du réseau, c’est-à-dire la délicate équation entre coût, ponctualité, sécurité et confort des passagers, repose sur une certaine vision du monde, incorporée dans le fonctionnement de l’infrastructure de transport, dans les standards et catégories qui en déterminaient tant la conception que l’exploitation. Ces normes suggèrent donc un dehors de l’infrastructure, où se situent celles et ceux qui en sont exclus par définition (Star, 1990). Si des ascenseurs et escaliers mécaniques ont commencé à peupler les gares à partir de la fin des années 1960, ceux-ci n’étaient pas envisagés dans les termes de l’amélioration de l’accessibilité des exclus, mais dans ceux du confort des voyageurs « valides » (ou suffisamment mobiles pour en profiter) et de l’efficacité du traitement des masses (Larrouy, 2011, p. 55).
L’accessibilité chez Transilien
En 2013, l’opérateur de transport d’Île-de-France indique 64 gares accessibles dans lesquelles tous les voyageurs seraient susceptibles de voyager en autonomie, c’est-à-dire d’aller et venir dans la gare, de profiter des services disponibles (commerces) et d’embarquer dans les trains, à l’exception, pour cette dernière opération, des personnes en fauteuil roulant qui nécessitent généralement l’aide d’un agent. Lorsque l’opérateur indique qu’une soixantaine de gares est accessible, cela signifie que l’ensemble de ces gares permettent une mobilité autonome des quatre types de handicaps, moteur, auditif, visuel, et mental (sous réserve de la question de l’embarquement dans le cas des personnes en fauteuil roulant). D’autres gares peuvent être accessibles aux uns et non aux autres. L’accessibilité des gares est définie par la présence d’un certain nombre d’équipements et d’espaces dédiés (figure 1.1). La plaquette ci-dessous donne à voir des équipements adaptés à différents types de handicap : signalement des escaliers pour les personnes aveugles et malvoyantes, aménagement des guichets pour les personnes en fauteuil roulant et les personnes de petite taille, signal lumineux en cas d’alerte pour les personnes sourdes et malentendantes. Cette liste donne un aperçu de la concrétisation architecturale et ergonomique des idéaux de l’accessibilité. Aménager l’accessibilité des gares c’est d’abord remodeler l’infrastructure existante pour faire disparaître ou contourner les obstacles (ou au contraire, les rendre perceptibles pour les personnes aveugles et non voyantes) : en ajustant les hauteurs des quais pour permettre aux personnes en fauteuil roulant d’embarquer sans assistance, en installant des ascenseurs pour éviter les escaliers, etc. Mais c’est aussi implanter un ensemble de petits équipements qui permettent la mobilité des personnes concernées : rampes d’escalier prolongées pour assister les handicaps moteurs, marquage au sol pour les aveugles, boucles magnétiques « pour isoler les malentendants du bruit ambiant et leur permettre de mieux comprendre les informations données par la personne au guichet », etc. Selon les populations considérées, aménager l’accessibilité tient dans la disposition d’un ensemble de petits équipements en des points critiques de l’espace de la gare, et c’est cet assemblage d’équipements qui permet à l’environnement de prendre en compte les singularités des individus qui le parcourent. La présence croissante de ces équipements pour organiser le flux des voyageurs est qualifiée par la géographe Marion Tillous de pensée « ergonomique » de l’accessibilité (Tillous, 2014). Je parlerai quant à moi d’approche architecturale de l’accessibilité, pour désigner à la fois les logiques d’action sur l’espace physique de la gare (hauteur des quais, largeur des portes, pentes légèrement inclinées destinées à contournement des escaliers) et la prolifération des équipements.