Troubles psychologiques associés à la douleur
L’expérience de la douleur peut contribuer à l’émergence de troubles psychologiques. La présence d’un trouble psychologique mérite d’être pnse en considération chez un patient souffrant de DC, car cela affecte non seulement la perception de la douleur, mais un ensemble de variables affectant le pronostic (Tang & Crane, 2006). La présence d’un trouble psychologique peut entrainer une diminution de l’adhérence et de la réponse au traitement (Nicholas, 2015). Nicholas (2015) attribuerait cette diminution entre autres à la charge allostatique (une usure accumulée au cours de la vie) qui pourrait altérer significativement la capacité d’un individu à s’adapter aux facteurs de stress, ce qui augmenterait le risque de problème de santé mentale et physique (Ganzel, Morris, Wethington, 2010; Seeman, Epel, Gruenewald, Karlamangla, & McEwen, 2010).
La limitation dans les activités du quotidien et l’entrave à certaines activités dues à la DC exerceraient un effet médiateur sur le lien entre l’intensité douloureuse et les troubles psychologiques (Gilmour, 2015). Cette relation serait bidirectionnelle, car l’intensité douloureuse aurait également une influence dans les activités et les troubles psychologiques. Donc, si une personne a une intensité douloureuse plus élevée qui interfère avec les activités quotidiennes, elle a plus de risque de développer un trouble psychologique. Des troubles psychologiques sont fréquemment associés avec la DC (Dersh, Gatchel, Mayer, Polatin, & Temple, 2006) . Parmi les plus fréquents, on retrouve la dépression et les troubles anxieux (O’Reilly, 2011), les troubles liés à l’utilisation de substances (Potter, Prather, & Weiss, 2008 ; Sullivan et al., 2010) et l’insomnie (Emery et al., 2014). D’autres troubles psychologiques comme la schizophrénie, les troubles somatiques, les troubles de la personnalité, la démence et les troubles de dysfonctions sexuelles sont associés à la DC, mais avec des prévalences moins importantes (Bonnot, Anderson, Cohen, Willer, & Tordjman, 2009; Dersh, Polatin, & Gatchel, 2002; Weisberg, 2000). Comme la prévalence des troubles dépressifs et anxieux est importante, ces deux troubles seront décrits plus en détail.
Troubles dépressifs. La dépression est le trouble le plus fréquemment associé à la DC (Leo, Pristach, & Streltzer, 2003; Sullivan, Edlund, Steffick, & Unutzer, 2005). Des études montrent qu’environ 18 à 56 % des patients aux prises avec une DC présenteraient également des symptômes de dépression (Bair, Robinson, Katon, & Kroenke, 2003; Miller & Cano, 2009). D’autres études indiquent que la comorbidité entre les troubles de l’humeur et la DC toucherait plus de 60 % des patients (Bair et al., 2003; Kirmayer, Robbins, & Dworkind, 1993) et que ces troubles affecteraient ainsi deux fois plus les patients douloureux que la population générale (Large, New, Strong, & Unruh, 2002). Il est aussi observé que la dépression est largement sous-diagnostiquée étant donné la difficulté de départager les symptômes somatiques des troubles de l’humeur et de la De. En plus des symptômes dépressifs, les études montrent que les patients vivant avec une DC seraient de deux à trois fois plus à risque de décès par suicide que la population générale (Hassett, Aquino, & Ilgen, 2014; Hooley, Franklin, & Nock, 2014; Tang & Crane, 2006). En effet, les patients seraient cinq fois plus nombreux à exprimer le désir de mourir que ceux qui souffrent d’une douleur aiguë (de durée de moins de trois mois; Fishbain, Bruns, Disorbio, & Lewis, 2009). Il est estimé que la prévalence des tentatives de suicide chez les patients en douleur oscillerait entre 5 et 14 % alors que celle des idéations suicidaires se situerait autour de 20 % (Tang & Crane, 2006).
Troubles anxieux. Les troubles anxieux ont aussi une prévalence importante dans la population avec une DC (O’Reilly, 2011). Des études montrent que le niveau d’anxiété augmenterait la perception de douleur et diminuerait le seuil de tolérance à la douleur (Tang & Gibson, 2005). D’autres études soulignent que la prévalence du trouble d’anxiété généralisée serait plus forte chez la population souffrant de DC que chez la population générale (Beesdo, Hoyer, Jacobi, Low, Hafler, & Wittchen, 2009; Jordan & Okifuji, 2011). Le taux d’état de stress post-traumatique serait aussi plus important chez les personnes ayant une DC que d’autres troubles psychologiques comme la dépression, atteignant 25 % selon certaines études (Amital et al., 2006; Jordan & Okifuji, 2011). L’anxiété sociale et le trouble panique toucheraient respectivement 11 % et 5 % des personnes souffrant de De. Les personnes vivant avec une DC qui sont en rémission de leur trouble d’anxiété conserveraient néanmoins une intensité douloureuse plus importante que ceux n’ayant pas eu de trouble d’anxiété (Gerrits, Marwijk, Oppen, Horst, & Penninx, 2015). En somme, l’incapacité reliée à la douleur, la faible qualité de vie et plusieurs troubles psychologiques sont des conséquences qui peuvent survenir avec la De. Il est important de les prendre en considération dans le traitement et la gestion de la DC, car les troubles psychologiques associés à la DC peuvent être une complication fréquente qui peut influencer significativement le processus de rétablissement, par exemple en diminuant la motivation et l’adhérence au traitement (Gatchel, Peng, Peters, Fuchs, & Turk, 2007 ; Tunks, Crook, & Weir, 2008). La dépression et l’anxiété sont les troubles les plus fréquemment rencontrés dans cette population.
Thérapie cognitive et comportementale
La TCC dite traditionnelle s’est montrée efficace dans la gestion de la DC (Hofmann, Asnaani, Vonk, Sawyer, & Fang, 2012) . Elle réfère à l’ intégration de stratégies comportementales et cognitives. Cette forme de thérapie constitue la base de nombreux programmes de gestion de la De. L’ objectif principal de la TCC vise le changement du contenu des pensées (p.ex. catastrophiques), la réduction de la détresse associée à la DC, le reconditionnement du patient souffrant de DC en améliorant le fonctionnement quotidien ainsi que l’amélioration de la qualité de vie (Crombez, Eccleston, Van Damme, Vlaeyen, & Karoly, 2012 ; Deccache et al., 2011; Williams, Keefe, & Vlaeyen, 2010). La TCC cherche à amener la personne à établir des objectifs réalistes et concrets et à favoriser la résolution de problème et la relaxation (Williams et al. 2010). Elle vise également à mieux gérer les émotions vécues en lien avec la DC, telles que l’ incompréhension, la colère, le sentiment d’ injustice, la dramatisation, la peur, l’anxiété et la déprime. Selon Favre et Cedraschi (2003), la TCC permettrait aussi d’améliorer la qualité de vie du patient en l’amenant à adopter une attitude de décentration face aux pensées, en retrouvant un sentiment de contrôle et en développant des techniques pour faire face à la douleur. La TCC traditionnelle présente des appuis scientifiques pour la gestion de la DC auprès des populations adultes présentant des diagnostics variés (Bailey, Carleton, Vlaeyen, & Asmundson, 2010; Dysvik:, Kvaloy, Stokkeland, & Natvig, 2010; McCracken & Turk, 2002; Morley, Eccleston, & Williams, 1999; Samwel, Kraaimaat, Crul, van Dongen, & Evers, 2009; Turk & Okifuji, 2002; Williams, Eccleston, & Morley, 2012). La Division 12 de l’ Association américaine de psychologie (APA) recommande l’ utilisation de la TCC dans le contexte de plusieurs problématiques de DC telles que la fibromyalgie, les douleurs lombaires et les migraines (Chou & Hoffman, 2007 ; Holroyd, Nash, Pingel, Cordingley, & Jerome, 1991 ; Williams et al., 2002 ; Williams, 2003). Les études comparent généralement la TCC à une liste d’attente ou un traitement standard tel que la médication. De son côté, l’IASP mentionne que les approches cognitives et comportementales (et ses variantes) sont les plus efficaces (Nicholas, 2015).
Thérapie d’acceptation et d’engagement
La thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) fait partie des thérapies de type cognitif et comportemental (Hayes, Strosahl, & Wilson, 2012). Comparativement aux approches traditionnelles (comportementales, cognitives) qui visent davantage un meilleur contrôle de la douleur et une modification des « contenus cognitifs », cette nouvelle approche, dite de troisième vague, vise avant tout l’ acceptation des sensations douloureuses et l’ amélioration de la qualité de vie (Harris, 2004 ; Hayes et al., 2006). L’ACT se centre sur la reconnaissance et l’ acceptation des émotions ainsi que le développement d’une attitude de distanciation et d’observation face aux pensées (Hayes et al. , 2012). L’ACT utilise des métaphores, des paradoxes et des techniques de pleine conscience afin de parvenir aux changements et de mener ultimement la personne à s’engager plus activement dans les actions en lien avec ses valeurs profondes (p.ex. , relations intimes, travail, etc. ; Harris, 2006). Les méta-analyses et les revues systématiques existantes montrent que l’ACT engendrerait des améliorations significatives sur des variables comme l’humeur, la qualité de vie, l’acceptation et l’incapacité reliée à la douleur (A-Tjak et al., 2015; Becker, 2014; Ost, 2014; Ruiz, 2012; Veehof, Oskam, Schreurs, & Bohlmeijer, 2011; Veehof, Trompelter, Bohlmeijer, & Schreurs, 2016). Des tailles d’effets de modérées à élevées ont été trouvées pour l’anxiété, le bien-être physique, la qualité de vie, l’incapacité reliée à la DC et le nombre de visites médicales (McCracken, MacKichan, & Eccleston, 2007; Veehof et al., 2011; Vowles & McCracken, 2008).
Dans sa revue systématique, Becker (2014) constate que plus de la moitié des études recensées montrent des améliorations significatives suite à la thérapie ACT sur la qualité de vie, lorsqu’ elle est comparée à des traitements habituels. Sur le plan empirique, selon l’ AP A, l’ACT serait actuellement reconnue comme une approche « hautement appuyée » pour la DC (Division 12; Society of Clinical Psychology, 2011). Dans sa méta-analyse, Ost (2014) conclut que l’ACT est « probablement efficace » pour la De. Dans les études sur la DC, l’ACT se serait avérée plus efficace que les groupes contrôles sur les listes d’attente (Buhrman et al., 2013; Johnston, Foster, Shennan, Starkey, & Johnson, 2010; Luciano et al., 2014; Trompetter et al., 2014; Wicksell et al., 2013). Actuellement, l’ efficacité des interventions ACT est comparable aux interventions cognitives et comportementales traditionnelles (Thorsell et al., 2011 ; Veehof et al., 2016 ; Wetherell et al., 2011). En plus des thérapies présentées ci-haut, d’autres approches peuvent aussi s’ajouter aux traitements afm d’ intervenir de manière plus globale. La TCC et l’ACT peuvent se montrer utiles afm d’ intervenir sur le plan émotif et comportemental. Toutefois, certaines études montrent que les patients manqueraient généralement d’ information à propos de leur condition physique et des conséquences engendrées par celle-ci (Deccache et al., 2011). L’ajout d’une composante éducative peut alors s’avérer pertinent, comme cela sera démontré ci-dessous.
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