Facteurs de risque associés et évoqués dans la littérature

Caractéristiques de la violence

Pour la plupart des intervenants, la violence envers les parents apparaît rarement seule. « C’est généralement des plaintes qui arrivent quand il y en a déjà eu quelques autres, pour d’autres choses, pour de l’indiscipline, des fugues, ou d’autres faits de délinquance avec d’autres victimes » (Criminologue p.1). Mais tous précisent qu’aucun cas de VEP ne se ressemble, que même dans la façon dont la violence se présente c’est unique à chaque situation. Une distinction apparaît pourtant dans de nombreux entretiens. Les intervenants remarquent que les épisodes peuvent être tantôt plus ponctuels, tantôt plus réguliers. Dans le premier cas, les épisodes sont présentés comme des explosions de violence soudaine, une « petite cause » pouvant déclencher une crise incontrôlée. Pour le cas second, il s’agit plus d’abus fréquents où une dynamique s’est construite. « C’est un type de relation qui s’est installé donc c’est aussi très difficile sur un plan psychologique de faire quelque chose. Et parfois, on arrive trop tard dans ce genre de situation » (Substitut G, p.2). Ce qui semble marquer les intervenants, c’est que le point de départ des épisodes violents est généralement une querelle anodine qui pourrait survenir dans n’importe quelle famille et être surmontée de façon paisible. « Plein de mères empêchent leurs enfants de sortir et ne se font pas frapper pour autant » (Substitut E, p.5). Ici, ces disputes prennent des propositions démesurées. « C’est d’autant plus interpellant que l’origine du problème est petite, mais que l’explosion est forte » (Juge A, p.6).

Cependant, ces événements sont rarement inexplicables : il y a toujours des éléments dans la vie du jeune qui permettent de comprendre son geste sans pour autant le cautionner. Ils ne se produisent d’ailleurs pas du jour au lendemain dans une famille. Souvent « ça commence verbalement » (Substitut F, p.1). Ce n’est qu’après qu’apparaissent les dégradations ou de la violence physique, parfois dirigée vers plusieurs membres de la famille, toujours les plus faibles. Certains intervenants nous ont même parlé de situations où le jeune se mutilait, frappait sur les murs. Si ces situations peuvent s’installer, c’est aussi parce que, comme nous le verrons, les parents ne réagissent que lorsque la situation est déjà très avancée, voire critique. Dès lors, plusieurs magistrats comparent ces dynamiques à la cyclique qu’ils observent dans les dossiers de violence conjugale.

Familles et dynamiques familiales dysfonctionnelles

Pour l’ensemble de notre échantillon, la Violence Enfant-Parent est une problématique familiale. Beaucoup de parents concernés ont, d’une manière ou d’une autre, leur part de responsabilité dans la survenance de ces situations. Bien souvent, ces familles étaient déjà connues des services sociaux et/ou protectionels. « De manière générale, il y a déjà toute une partie des dossiers dans lesquels le mineur était connu comme mineur en danger avant d’être connu comme l’auteur de faits qualifiés infractions » (Substitut E, p.6). Elles sont décrites comme des familles où il y a peu d’amour et de respect entre ceux qui en font partie. Chacun y vit pour soi, sans montrer d’attention aux autres et donc à l’enfant qu’on néglige petit à petit. « Chacun vit sa vie de manière individuelle et il y a une autonomie, soit une indifférence des uns par rapport aux autres, ce qui peut engendrer un sentiment de rejet chez les enfants » (Substitut F, p.7). « Ces parents-là, ils n’ont pas été adéquats avec leur gosse. Les besoins n’ont jamais été vraiment assurés, il n’y a pas eu beaucoup d’amour, il n’y a pas eu de respect du jeune, […] des formes peut-être de négligences, mais sans être dans des négligences graves » (Juge B, p.4). En parallèle, la communication y est très difficile et les relations sont conflictuelles. « À la base, il y a quasiment toujours une incompréhension qui se transforme en non-dits et puis qui devient tellement pesante que plus personne n’arrive à la gérer » (Criminologue H, p.4).

Ces parents se sentent dépassés dans l’éducation du jeune perçu comme « difficile », « un enfant à problèmes ». Pour leur tranquillité, nous le verrons, ils jugent préférable de renoncer à installer leur autorité dans cette relation. Il n’est pas rare de constater des antécédents de comportements violents intrafamiliaux avant que les VEP n’apparaissent. A l’instar de la littérature, les intervenants observent que bien des 15 adolescents violents ont été exposés à la violence d’un de leur parent envers l’autre ou envers lui-même. « On se rend compte dans l’enquête que le père était violent, la gamine elle était séquestrée […], que la mère était victime de violence à la maison » (Juge C, p.3). Ces éléments sont parfois mis en lien avec une problématique d’alcoolisme au sein de la famille. Enfin, quelques caractéristiques structurelles sont relevées par les intervenants. La plus répandue est la monoparentalité et plus particulièrement celle de la mère. Ils expliquent ce rapport de deux façons. Simplement, le rapport de force physique entre un(e) adolescent(e) et sa mère tourne généralement en faveur du plus jeune. Il est alors en mesure de prendre l’ascendant sur sa mère par la menace et/ou la violence. Selon une autre approche, les familles monoparentales riment avec un revenu unique pour toute la famille. Pour une petite majorité des intervenants, la précarité économique est un contexte favorable à l’apparition de VEP. Cependant, pour le reste de notre échantillon, toutes les classes économiques sont susceptibles d’y être confrontées.

Défaut éducatif et style d’éducation

Les VEP sont très souvent perçues comme les conséquences d’une éducation vraisemblablement inadéquate. Si l’ensemble de notre échantillon se rejoint sur ce point, les défauts de cette éducation ont été envisagés tant sur le fond – ce qu’ils ont appris – que sur la forme de celle-ci – la stratégie des parents pour les élever. Pour commencer, ces jeunes n’ont pas appris à réagir à la frustration de façon calme et sans violence. Qu’un jeune s’oppose et remette en cause les limites de l’autorité est considéré comme une tendance normale et saine. Cependant, les auteurs de VEP n’ont souvent pas appris à le faire sans passer par une démonstration de force. « Le parent représente l’autorité et les jeunes dans ces situations-là contestent l’autorité, c’est d’ailleurs sain de contester l’autorité sinon on fait des moutons. Il faut apprendre à contester l’autorité, mais une contestation positive. Et comme ils ne savent pas faire de la contestation positive, ils font la contestation par la violence » (Juge A, p.3). Quant à la forme, deux types d’éducation problématiques sont souvent explicités. D’une part, certains parents optent pour une position de « laisser-faire ».

Ne voulant pas confronter le jeune, ils préfèrent fermer les yeux sur les comportements de plus en plus graves de leur enfant. Mais à un moment donné, ceux-ci se rendent compte que la situation commence à leur échapper. Toutefois, lorsqu’ils décident de redéfinir des limites et de reposer un cadre d’autorité, ils sont confrontés à un jeune qui ne peut comprendre et accepter cela. « C’est difficile de mettre un cadre et d’asseoir une autorité. […] on essaie et on essaie et puis après trop de confrontations, on finit par renoncer, pour sa tranquillité à soi parce qu’on se dit: « la vie n’est pas possible, on ne va pas vivre en guerre tout le temps ». Or, c’est renoncer et donc ça laisse la place alors à des situations qui dégénèrent » (Substitut F, p.5). A l’inverse, d’autres parents pratiquent une éducation stricte et autoritaire. Les règles et interdictions sont rigides et des sanctions sévères sont données. « Il ne voulait pas qu’elle ait de GSM, il ne voulait pas qu’elle ait des rendez-vous avec des copines, encore moins avec un petit copain » (Juge C, p.3). Dans ces foyers où la violence est souvent présente, le rapport de force s’inverse lorsque le jeune acquiert une puissance physique équivalente à celle du parent. « Il y a quand même aussi la contrepartie parfois, d’une éducation un peu sévère […] et où quand l’enfant grandit et qu’il commence à avoir une certaine puissance physique, voilà, ça fuse dans les deux sens » (Substitut F, p.4). Il arrive aux intervenants d’être confrontés à des parents qui ne sont pas disposés à se remettre en question, à comprendre qu’ils ont peut-être joué un rôle dans le développement de cette situation. Ils refusent d’entendre que leur éducation est peut-être problématique. Parfois, au grand étonnement des juges, magistrats et criminologues, des faits de VEP éclatent dans des familles qui semblent être très équilibrées et donner une éducation adéquate à leur enfant. À ce moment, il faudra se pencher vers des éléments explicatifs plus propres au jeune.

Discussion

En prenant du recul sur nos résultats, il nous apparaît que les VEP ne sont jamais expliquées par des facteurs de causalité. Aucun élément énoncé par les intervenants ne prétend à lui seul et cela directement, provoquer la violence d’un adolescent dans sa famille. Pour décrire ces situations, ils usent de métaphores diverses qui nous éclairent sur leur compréhension du problème : « Un moment donné, la bouilloire bout trop et il faut que le geste parte » (Juge A, p.1), « il y a tout qui est accumulé, vraiment à un moment ça explose » (Criminologue H, p.5). Ces expressions imagées appuient leur constat : les VEP sont le résultat d’une accumulation d’éléments qui installent, construisent progressivement ces relations violentes. Cette prudence n’est pas sans rappeler l’approche développementale, dont les facteurs de risque sont issus. Comme nous l’avons vu, un facteur de risque n’est pas voué, à lui-seul, à déterminer le développement d’une problématique. De même, aucun automatisme ne doit en être tiré (Case & Haines, 2013). En général, magistrats et criminologues insistent sur la variété des cas qu’ils rencontrent. Pour eux, chaque situation est différente par son contexte, sa dynamique et les réponses qu’elle implique. Néanmoins, il est possible d’identifier certaines tendances dans la présentation des situations qui nous est faite.

Les intervenants semblent distinguer deux types de VEP qu’ils n’expliquent pas de façon similaire. « Comment est-ce qu’il explique qu’il en est arrivé là ? […] Si c’est seulement, « elle m’a énervé, je l’ai frappé, j’ai une réaction », voilà ou si au contraire il y a quelque chose qui le ronge depuis un petit temps et qui a explosé » (Substitut D, p.7). D’une part, se dessine un profil d’adolescent tout puissant qui rejette toute forme d’autorité. Ces jeunes ont grandi dans un environnement caractérisé par une absence de cadre où les parents n’ont pas pu ou voulu imposer de limites. Ils ont pris l’habitude d’obtenir tout ce qu’ils demandent sans résistance. Dès lors, lorsque leurs parents se rendent compte que la situation dérape, ils sont confrontés à un adolescent qui ne peut accepter d’être confronté. Ceux-ci sont souvent irrespectueux et violents au-delà de la sphère familiale. « C’est quand même souvent des jeunes à qui on a laissé faire beaucoup, beaucoup de choses quand ils étaient plus jeunes et puis qui à partir du moment où ils rentrent dans l’adolescence et où ils commencent à s’affirmer à s’opposer, ils n’ont pas l’habitude d’être confrontés à quelque chose, à un « Non », à un « Stop », à des limites claires et fermes et alors, cela peut basculer sur la violence envers les parents » (Criminologue I, p.1).

L’autre type renvoie à ces adolescents qui ont été victimes d’autres faits et/ou souffrent d’un mal plus profond. Il peut s’agir de mineurs qui ont subi des violences ou des maltraitances ou évoluant dans des situations familiales compliquées. À nouveau, l’exposition à ces facteurs sur une période plus ou moins longue fait qu’à un moment donné, ces jeunes deviennent violents. Cependant, leur violence est souvent contenue au sein de la famille et ils en expriment des regrets. Ils se rendent compte que leur comportement est inacceptable, mais ne parviennent pas à trouver des solutions d’eux-même. Enfin, les VEP peuvent être commises par des mineurs atteints d’un problème de santé mentale. Nous les avons déjà énumérés, mais il nous faut ajouter ici que, selon les intervenants, un grand nombre de ces troubles ne provoquent de telles violences que parce qu’ils n’ont pas été traités. « C’est souvent des dysfonctionnements liés à des problèmes psychologiques, psychiatriques chez les enfants. Des hyperactifs, et des choses qui n’ont pas été prises suffisamment tôt. On n’a pas perçu les premiers signes où ça allait débloquer et où il allait falloir peut-être essayer de déjà intervenir » (Substitut F, p.4). Ces éléments sont donc à associés à une certaine négligence dans le chef des parents. Ces trois scénarios n’ont pas qu’un intérêt explicatif, ils permettent aussi aux intervenants d’orienter le dossier de la façon la plus opportune. Ainsi, un adolescent « roi » (Criminologue I, p.3) aura plus besoin d’une mesure éducative que les autres. Pour ceux-ci, il sera important de réaffirmer les limites à ne pas dépasser en famille ou en société.

La réalisation d’un travail d’intérêt général, le suivi d’une formation pour gérer son agressivité pourront être envisagés, tout comme un placement en IPPJ si les faits le justifient. Dans le second cas, l’intervention devra apporter un soin particulier à la situation familiale. Ces missions sont confiées à des services compétents, mais les magistrats et criminologues ont un avis argumenté sur le travail qu’il est important de mener. En fonction de la situation, il s’avérera pertinent de travailler sur la communication des membres de la famille ou sur la gestion de leurs conflits. Dans certains cas, une grande partie de l‘intervention concernera les parents, leurs comportements et l’éducation qu’ils donnent à leur adolescent. Sans nécessairement se tenir au courant des dernières recherches académiques menées dans ce secteur, les juges, magistrats du Parquet et criminologues mobilisent un grand nombre d’éléments mis en évidence par celles-ci. En comparant les facteurs de risque principaux que nous avions relevés avec nos résultats. Nous remarquons que tous s’y retrouvent. Bien sûr, un seul entretien n’est jamais exhaustif à ce sujet, mais il n’est pas rare d’y retrouver plus de la moitié d’entre eux. Pour commencer, les intervenants semblent moins divisés que ne le propose la littérature sur la question du caractère sexo-spécifique des VEP (Armstrong et al., 2018; Calvete et al., 2013; O’Hara et al., 2017). « On a quand même plus de violences de la part des garçons que des filles » (Criminologue H, p.6). « J’ai remarqué que c’était souvent les faits de garçons à l’égard de leur maman » (Magistrate G, p.1).

Table des matières

Remerciements
Abstract
Introduction
Revue de littérature
Facteurs de risque associés et évoqués dans la littérature
Situation familiale
Exposition à la violence
Consommation de substances
Pairs délinquants et violences extrafamiliales
Scolarité
Santé mentale
Style d’éducation
Des parents démunis
Juridictions de la jeunesse
Question de recherche
Méthodologie
Présentation des résultats
Une problématique interpellante
Caractéristiques de la violence
Familles et dynamiques familiales dysfonctionnelles
Défaut éducatif et style d’éducation
L’adolescent
Percer la bulle familiale
Sanctionner : une réponse insuffisante
Discussion
Forces et limites
Conclusion
Bibliographie
Annexe

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