Lien avec la théorie des activités routinières
Nous allons faire référence ici à la théorie des activités routinières, concept fréquemment utilisé en criminologie et développé par Cohen et Felson en 1979. En utilisant cette théorie, nous aurions pu anticiper le fait que les violences conjugales et les homicides allaient augmenter ou du moins se maintenir fermement durant ce maintien d’ordre au domicile (Boman & Gallupe, 2020). Toutefois, c’est la criminalité sous toutes ses formes qui a été chamboulée par les mesures d’isolement. Une potentielle diminution de certains délits était également à prévoir, notamment due au manque d’opportunité puisque les rues sont désertes (Miller & Blumstein, 2020), les bars, restaurants et centres commerciaux sont, eux aussi, fermés (Piquero et al., 2020). Concentrons-nous à présent sur le mécanisme de la théorie des activités routinières. Les violences conjugales peuvent s’appliquer à la trilogie des éléments suivants : un délinquant motivé, une cible appropriée et une absence de gardien (Piquero et al., 2020). La présence d’un délinquant motivé, aussi appelé délinquant potentiel puisqu’il est susceptible et a l’intention de passer à l’acte, est nécessaire à l’accomplissement de l’acte. Pour Cohen et Felson, il existe de nombreux délinquants motivés mais ils ne seront pas tous capables de traduire cette motivation en un passage à l’acte concret (Dantinne, 2016). L’auteur des violences semble ainsi apparaître comme étant le délinquant motivé. Ensuite, la cible appropriée qui était, au départ, pensée comme étant un objet, a ensuite été étendue aux individus. Dans le cas des violences conjugales, la cible sera la compagne ou le compagnon du délinquant motivé qui deviendra victime lorsque l’acte sera accompli. Le dernier élément nécessaire pour utiliser cette théorie est l’absence de gardien. Celui-ci figurant comme étant le seul élément susceptible d’empêcher le passage à l’acte (Dantinne, 2016). En effet, depuis les mesures mises en place contre la propagation de la Covid-19, l’absence de gardien semble être un élément flagrant. L’isolement social, la perte de contact avec les proches mais également la difficulté et le manque d’opportunité d’entrer en contact avec les différents services d’aide provoquent chez la victime un sentiment de solitude face aux violences. Le délinquant motivé, lui, a l’impression qu’il peut faire absolument ce qu’il veut puisque le gardien qui aurait pu être représenté par un membre de la famille ou un service d’aide n’est plus présent en tant que ressource pour la victime. L’auteur sait également que la victime ne prendra pas le risque de dénoncer ses actes par peur des représailles. Les différents moyens d’adaptations que les couples ont dû mettre en oeuvre suite aux changements concernant leurs activités routinières ont pu créer un mécanisme de violence qui ne préexistait pas à la pandémie. Par exemple chez les couples n’ayant encore jamais vécu de violence intra-familiale, ce changement des activités routinières a pu créer des comportements inhabituels, voire violents.
Facteurs de risque associés à la pandémie
La pandémie de Covid-19 a causé, dans de nombreux ménages, la perte d’une partie des revenus. Dans certains cas, l’impact des mesures prises par le gouvernement a mené au licenciement de nombreuses personnes. Ces licenciements, chômages économiques et autres difficultés financières ont pu entraîner une forme de stress financier dans le couple. Cette pression qui n’a probablement fait qu’augmenter au fil des mois a pu causer une explosion de la tension dans le couple (Piquero et al., 2020). D’après l’étude de Vanderbruggen et al. (2020), durant la période de confinement la consommation d’alcool chez les Belges a légèrement augmenté. La détresse économique alliée à cette consommation de substances ainsi qu’au conflit conjugal peut mener certains auteurs à l’utilisation de la violence (Kaukinen, 2020). De plus, toujours d’après Kaukinen (2020), le travail à domicile, la scolarisation des enfants à la maison et les antécédents de violences ne font qu’accroître le risque de violence conjugale. En effet, certains couples vivent dans des petites maisons avec un espace extérieur réduit ou inexistant ainsi, le fait de travailler à la maison et de rester enfermés peut causer des situations de stress plus intenses (Mazza et al., 2020). Certaines institutions comme les lieux de culte ou les écoles représentent généralement une forme de soutien pour les personnes vivant des situations de violences intra-familiales.
La fermeture de ces institutions a pu occasionner chez les victimes un stress supplémentaire ainsi que la perte d’un repère essentiel (Campbell, 2020). Ce soutien émotionnel que représentaient ces institutions a disparu petit à petit et a rendu encore plus difficile la vie entre les murs de la maison. Certains mécanismes en lien direct avec la Covid-19 peuvent être mis en place par les auteurs, par exemple le fait de menacer d’exposer la victime et/ou les enfants au virus (Kaukinen, 2020). Ainsi, ils ont la capacité de maintenir un état de peur chez les victimes et parviennent à garder une certaine forme de contrôle sur celles-ci. Puisque la pandémie n’a pas amélioré la situation financière des citoyens, les victimes n’ont pas nécessairement les moyens de s’en sortir seules économiquement parlant si elles quittent leur compagnon. Les difficultés financières figurent souvent comme un frein à la rupture de la relation, surtout si des enfants sont présents. Lors de la pandémie de Covid-19, les soucis d’argent sont devenus une réalité dans de nombreuses familles, ce qui a probablement freiné les victimes à quitter leur conjoint (Mazza et al., 2020).
Procédure Afin de faire parvenir le questionnaire à l’échantillon visé, nous avons relayé ce questionnaire via les réseaux sociaux (Facebook) et notamment au travers de plusieurs groupes centrés sur cette thématique des violences conjugales. Après quelques semaines et plusieurs relances du questionnaire, le taux de réponse restait assez faible. Nous avons donc pris contact avec le Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion (CVFE) de Liège et ceux-ci ont accepté de partager notre questionnaire via leur page sur le réseau social Facebook. De plus, le secrétariat de la Faculté de Droit, de Sciences politique et de Criminologie de l’Université de Liège a également accepté de réaliser une nouvelle qui redirigerait les étudiants se sentant concernés vers le lien du questionnaire. Nous avons contacté par téléphone plusieurs institutions comme le service « Alternatives » de la Clinique André Renard à Herstal spécialisé en violences conjugales ainsi que le service de santé mentale « La source » situé à Hermée qui rencontre parfois ce public également. Ensuite, nous avons pris contact via courriel avec différentes zones de police comme la ZP Basse-Meuse, la ZP Herstal ainsi que la ZP Beyne-Fleron- Soumagne. Nous avons proposé de leur amener nos questionnaires en format papier afin qu’ils puissent les faire remplir tout en respectant la volonté de leurs bénéficiaires de participer ou non à cette recherche. Malheureusement, ces services n’ont pas pu honorer notre demande pour plusieurs raisons notamment le manque de temps dû à la surcharge de travail ou simplement le nombre peu élevé de situations de ce type rencontrées lors du délai imparti.
En revanche, le Service d’Assistance Policière aux Victimes (SAPV) de la ZP Liège a contribué à la réalisation de cette recherche puisque le responsable du service s’est chargé de distribuer le questionnaire et d’aider à la complétion de celuici lorsque les bénéficiaires en ressentaient le besoin. Nous avions conscience de l’utilité d’un pré-test, c’est pour cette raison que nous avons mis en place et relayé ce pré-test à quelques personnes concernées par cette thématique et correspondant à notre population visée. Celui-ci nous a permis d’ajuster plusieurs notions qui apparaissaient comme confuses et d’estimer la durée de passation du test. Ces personnes ne seront évidemment pas prises en compte dans l’analyse de nos résultats. En revanche, elles nous ont été d’une grande aide pour l’amélioration du questionnaire. D’un point de vue éthique, nous n’avions aucun moyen d’identifier les personnes ayant répondu à ce questionnaire en ligne. Nous ne sommes en possession d’aucun nom et d’aucune coordonnée provenant de nos répondants. Nous ne savons, sur les répondants, que ce qui a été rempli dans le questionnaire. Celui-ci était proposé et se réalisait sur base entièrement volontaire. De plus, nous avions précisé avant le commencement de celui-ci que les répondants seraient couverts par l’anonymat. En revanche, ils avaient la possibilité de me contacter via mon adresse électronique si besoin puisque je leur laissais à disposition et cela, peu importe s’ils avaient rempli le questionnaire par voie informatisée ou format papier. Nous tenions également à expliquer que les données récoltées seraient stockées pour ensuite être codées aux fins de ce travail.
Mise en évidence des résultats de l’échelle de Likert
L’échelle de Likert, créée par nos soins, nous permettra de visualiser plusieurs caractéristiques des violences qui se sont affirmées durant cette pandémie de Covid-19. Cette échelle d’opinion contient 11 questions dont les réponses varient de « tout à fait d’accord » à « pas du tout d’accord ». Nous avons codé ces résultats, ceux-ci partant de 1 pour « tout à fait d’accord » à 5 « pas du tout d’accord ». En revanche, concernant l’item numéro 9 à savoir « avant la pandémie de Covid-19, vous n’aviez jamais été confronté à la violence au sein de votre couple », nous avons inversé la tendance des points puisqu’il mesure la même dimension mais la question est posée à l’inverse. Afin de s’assurer de la fidélité de notre échelle, nous avons voulu vérifier sa cohérence interne grâce à l’indice alpha de Cronbach. Celui-ci doit se situer entre 0 et 1, plus il se rapproche de l’unité et plus la cohérence interne est bonne. Concernant notre échelle, l’indice a été évalué à 0,87 ce qui représente une valeur assez élevée (cf. annexe 7). En annexe 8, vous retrouverez les différents tableaux descriptifs reprenant la fréquence des réponses correspondant à chaque affirmation ainsi que leurs pourcentages respectifs. Les affirmations portant sur l’augmentation des violences en termes de gravité ainsi qu’en termes de fréquence sont majoritairement représentées par une réponse confirmant ces hypothèses.
En effet, 67% de nos répondants affirment que la gravité des violences, quelles que soient leurs formes, s’est accentuée et 70% l’affirme également mais concernant la fréquence de celles-ci. Nous constatons donc que presque 70% de nos répondants ont estimé que les violences vécues depuis la pandémie de Covid- 19 sont plus récurrentes et plus graves qu’auparavant. Concernant la gravité des faits, 11% des répondants sont restés neutres quant à leur réponse et 8,5% concernant la récurrence des faits. Par rapport aux différentes formes de violences, nous avons abordé l’augmentation des violences économiques, physiques, verbales, psychologiques et sexuelles. Concernant les violences économiques, 29% des répondants sont restés neutres, 35% ont répondu par la négation et 35% également par l’affirmation de cette hypothèse. Les réponses concernant les violences physiques sont mitigées également. Environ 41% des répondants ont exprimé que les violences physiques n’avaient pas augmenté durant les mesures d’isolement tandis que 36% ont affirmé le contraire et que 22% ont préféré rester neutre. En revanche, concernant les violences verbales, les avis sont plus tranchés puisqu’un peu plus de 68% affirment que ce type de violence s’est accentué durant la pandémie. Seulement 18% affirment le contraire et 13% se sont abstenus d’y répondre en restant neutre. Tout comme pour les violences psychologiques, la majorité des répondants (73%) affirme que celles-ci se sont accentuées durant le respect des mesures d’isolement. 11% ont déclaré le contraire et 16% de nos 82 répondants sont restés neutres. Enfin, concernant l’affirmation d’augmentation de l’utilisation des violences sexuelles, 50% des répondants infirment cette hypothèse tandis que seulement 24% la confirme et presque 26% sont restés neutres.
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