Facteurs de partitionnement de la forêt
Les forêts françaises et de la plupart des pays développés connaissent une expansion de leur surface. Cependant, alors que l’augmentation de stock sur pied est encore plus rapide en Europe (UE-28) et en France et que l’expansion de surface a été fortement étudiée (Mather et al., 1999), l’augmentation de stock sur pied n’a été que très peu analysée (Pignard, 2000). Or, l’expansion en stock est au cœur de nombreuses problématiques économiques, environnementales et politiques actuelles car elle est directement liée à la disponibilité en bois, à la biomasse et au stock de carbone. Il y a donc un véritable besoin d’étudier l’évolution passée du stock sur pied, d’en comprendre ses variations temporelles et spatiales afin de pouvoir, par la suite, en prédire son évolution future. L’étude de l’évolution du stock sur pied constitue l’originalité de cette thèse. Nos travaux visent à comprendre la nature de ces changements de stock sur pied dans les forêts françaises. Ces forêts présentent i) une transition ancienne (localisée au début du XIXème siècle ; Mather et al., 1999 ; Meyfroidt et Lambin, 2011) ii) les plus fortes augmentations de surface et de stock parmi tous les pays d’Europe (UE-28 ; +110 000 ha/an pour les surface et + 35 millions de mètres cubes par an pour le stock entre 2005 et 2015 ; Forest Europe, 2015), iii) des données de surface et de stock sur pied relativement anciennes (données IFN depuis 1961 et données anciennes de surface, depuis le XIXème siècle), et constituent donc un très bon cas d’étude. Le premier objectif de cette thèse était d’étudier quantitativement et qualitativement les changements de surface depuis le début du XXème siècle et de stock depuis le début de la période IFN afin i) d’en caractériser les patrons de variation spatiale et temporelle, en les décomposant par types de propriété et de composition et d’ainsi approcher les causes de ces expansions, ii) de vérifier si des premiers signes de saturation sont détectables (des premiers signes de saturation de la biomasse forestière ayant été observés en Europe par Nabuurs et al., 2013) et, iii) de lier les variations de surface terrière à l’état des forêts. Le deuxième objectif était de chercher à approcher les causes dynamiques de l’expansion du stock de bois sur pied, et de pouvoir identifier et quantifier des composantes de l’expansion de ce stock en ventilant quantitativement son augmentation selon des systèmes forestiers dont la dynamique est homogène. Il s’agissait là de tenter une typologie de l’expansion. Notre troisième objectif a été de tenter de situer l’expansion actuelle du stock de bois dans une dynamique de plus long terme, pour essayer d’en mesurer la constance temporelle ou le caractère transitoire. A cette fin, un premier sous-objectif a consisté à proposer des chronologies plausibles du stock sur pied depuis 1850. Un second sous-objectif a ensuite été de construire un modèle simple de l’accumulation du stock de bois dans les forêts, afin de voir à quelles conditions sur la cinétique moyenne d’accumulation il est possible de restituer les chronologies historiques plausibles du stock de bois.
Les données
Dans le cadre d’une étude de la dynamique à grande échelle des forêts françaises, les données utilisées doivent à la fois i) décrire le territoire national de façon systématique ou à minima être représentatives de contextes significatifs, et ii) permettre une analyse temporelle sur le long terme, c’est-à-dire sur une période de temps allant de quelques décennies jusqu’à un horizon séculaire dans la mesure du possible. La France a la chance de disposer d’un programme d’inventaire forestier depuis 1958, n’étant en cela précédée que par les pays nordiques (décennie 1920) ainsi que les Pays-Bas où la ressource forestière est la plus faible de l’Europe continentale (1938 ; Tomppo et al., 2010). Si le premier inventaire départemental est daté de 1961 (Gironde), il faut attendre 1980 pour disposer d’une première couverture complète de la forêt française (Figure 2.1, partie II), définissant un premier horizon d’analyse substantiel à une quarantaine d’années, qui a été mis à profit dans le chapitre III (1976 – 2015). La disponibilité de statistiques anciennes sur la forêt française (Audinot, 2016), mise en évidence dans le contexte du centenaire de la statistique Daubrée (Journée Daubrée, 201211), a formé une opportunité importante pour tenter d’étendre la perspective temporelle sur les évolutions mises en évidence et d’allonger notre période d’étude. Ces statistiques anciennes souffrent cependant de 2 défauts importants : 1) aucune définition n’est spécifiée concernant la surface forestière, ou sur la classification des surfaces en espèces dominantes (statistique Daubrée ; Daubrée, 1912) et plus généralement, aucun élément de protocole sur ces enquêtes n’est fourni, rendant l’appréciation de la pertinence de ces données difficile, 2) aucune donnée de stock de bois n’est fournie. Les données de l’IFN se sont montrées être un très bon moyen de suivre la progression des forêts françaises en surface et en stock. Ces données ont l’avantage d’être issues d’un inventaire systématique de l’ensemble du territoire national métropolitain dont la méthodologie a peu varié dans le temps. Cependant, avant 2005, l’inventaire était départemental et une lecture nationale n’a pas été possible sans interpolation des données entre deux inventaires.
Les données IFN et le suivi de l’expansion forestière à la fois en surface et en stock sur pied
Les données de l’IFN se sont montrées être un très bon moyen de suivre la progression des forêts françaises en surface et en stock. Ces données ont l’avantage d’être issues d’un inventaire systématique de l’ensemble du territoire national métropolitain dont la méthodologie a peu varié dans le temps. Cependant, avant 2005, l’inventaire était départemental et une lecture nationale n’a pas été possible sans interpolation des données entre deux inventaires. Nos résultats ont montré un intervalle de confiance étroit autour des chronologies de surface et de stock (voir article 2). La précision des données IFN anciennes était donc très satisfaisante, dans le cadre d’une étude à large échelle spatiale qui agrégeait l’ensemble des inventaires départementaux. Depuis 2005, cet intervalle de confiance a, cependant, tendance à s’élargir, du fait de la diminution du nombre de points d’inventaire (voir article 2). De façon marquante, les chronologies d’évolution de la surface et du stock établies sur la période décrite par l’inventaire forestier (1976-2010 ; partie III ; articles 1 et 2) présentent des tendances très constantes, sans variation de rythme, nous empêchant d’identifier la phase dans laquelle se trouve aujourd’hui l’expansion de la forêt française (i.e. phase primaire d’accélération de l’expansion, ou phase tardive de saturation), et soulignant le caractère encore restreint de cette période de 40 ans pour étudier des phénomènes forestiers aussi lents. Les données IFN ont aussi l’avantage de présenter des informations dendrométriques nombreuses permettant une analyse de la dynamique des forêts à travers le calcul de flux. Une étude a permis de montrer une sous-estimation des prélèvements relevés en ancienne méthode (partie IV – 2.2), empêchant une utilisation de cette donnée sur l’ensemble de la période d’étude. Un bilan de flux a donc dû être utilisé afin d’estimer les prélèvements.
Les statistiques anciennes, des informations sur les forêts au début du XXème siècle
Afin d’améliorer la compréhension de la dynamique forestière, et il a été nécessaire de l’étudier sur des temps longs de l’ordre du siècle (voir parties III et V). Les données des statistiques anciennes (statistiques agricoles et statistique Daubrée) ont permis de pallier, en partie, ce manque pour ce qui est des surfaces mais une reconstitution, effectuée grâce aux données de l’inventaire national, a été indispensable pour le stock sur pied. Trois jeux de données anciens, apportant une description de la forêt à une échelle plus fine que le grain national (i.e. au grain départemental), ont été utilisés : la statistique Daubrée de 1908 (Daubrée, 1912) et les statistiques agricoles de 1892 et 1929 (ministère de l’agriculture, 1897 et 1936). Ces données anciennes permettent d’avoir une image de la forêt à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, c’est-à-dire près de 100 ans après la période supposée du « minimum forestier ». Cependant, ces données présentent certains inconvénients non négligeables : – Les limites du territoire français ont évolué avec le temps. Les statistiques de 1892 et 1908 ne présentent aucune donnée sur l’Alsace-Moselle, annexée à cette époque. Il a donc été nécessaire de trouver d’autres sources de données (Huffel, 1920 ; Ministerium Für Elsaß-Lothringen, 1909, décrivant les forêts d’Alsace-Moselle en 1908, c’est-à-dire à la même année que la description de la statistique Daubrée) afin de compléter ce manque. Cette compilation de données anciennes peut apporter de l’incertitude qui est cependant non mesurable vu que les protocoles ne sont que très peu explicités et qu’aucune mesure d’erreur n’est donnée. De plus, dans ces autres sources, les surfaces forestières sont ventilées seulement par type de propriété. Aucune information sur la structure des peuplements ou leur composition n’est disponible. – Très peu d’informations sont disponibles sur la manière dont ces données ont été collectées. Leur inter-comparaison a permis cependant de montrer une forte cohérence entre ces données, confirmant une certaine fiabilité de leurs résultats (Audinot, 2016). L’analyse a cependant montré une possible sous-estimation des taillis dans les données de la statistique Daubrée. A cette époque, les taillis sont en pleine conversion et il est possible que la quantité de taillis en cours de conversion ou même de futaies, ait été surestimée, et la quantité de taillis simples sous-estimée, afin de satisfaire aux directives nationales. – La description de la forêt française reste très sommaire et aucune donnée sur le stock sur pied n’est disponible. Les données anciennes ont fait l’objet d’une vérification systématique de leurs données, permettant de relever des erreurs liées à une mauvaise saisie des données au moment de leur compilation, des erreurs de calcul des totaux ou des erreurs de typographie (Audinot, 2016). Afin de reconstituer les variations de surface depuis 1850, ces données ont été complétées par des estimations plus anciennes au niveau national (partie V).