Biomarqueurs immuno-épidémiologiques d’exposition de l’homme aux piqûres des moustiques Aedes et Culex
LES MOUSTIQUES AEDES ET CULEX VECTEURS D’ARBOVIRUS HUMAINS
Un certain nombre d’arthropodes hématophages sont vecteurs d’arbovirus humains. Ils appartiennent à plusieurs ordres, parmi lesquels l’ordre des Diptères, auquel appartiennent les moustiques, occupe une place importante (Rodhain 2015). La famille des Culicidés (Culicidae), du sous-ordre des Nématocères, regroupe l’ensemble des moustiques. Dans le cadre de notre étude, les travaux ont porté sur deux genres de moustiques : le genre Aedes dont les espèces majeures sont Aedes aegypti et Aedes albopictus et le genre Culex dont l’espèce représentative dans cette étude est Culex quinquefasciatus.
Répartition géographique, d’Aedes aegypti, Aedes albopictus et Culex quinquefasciatus
Ces trois espèces de vecteurs sur lesquelles porte notre étude sont originaires de diverses parties du globe et ont gagné pratiquement tous les continents. 5 Originaire du continent africain, Aedes aegypti (Linnaeus,1792) (Figure 1A) se rencontre à présent sur toutes les zones tropicales et subtropicales du globe terrestre et son aire de distribution s’est élargie ces dernières décennies (Kraemer et al., 2015). En Afrique, d’abord détecté en milieu selvatique (Mattingly 1957), il s’est adapté en milieu domestique et péridomestique, surtout en Afrique de l’Ouest (Powell and Tabachnick 2013; Brown, McBride, et al. 2011; Crawford et al. 2017). Aedes albopictus (Skuse,1894) ou moustique tigre (Figure 1B) est quant à lui originaire d’Asie du Sud-Est et présent sur tous les continents. En effet, ces dernières décennies, il a envahi presque toutes les parties du globe. En Europe, la première incursion d’Ae. albopictus a été signalée en Albanie en 1979 (Adhami and Reiter 1998), puis en Italie en 1990 (Sabatini et al. 1990). La capacité des moustiques Aedes à exploiter les habitats de petite taille dans les zones urbaines, à produire des œufs en diapause dans les régions tempérées, et à voyager dans des véhicules le long des réseaux routiers, a facilité son déplacement vers plus de 28 pays européens et son établissement dans de grandes parties du bassins méditerranéen (Medlock et al. 2015; Di Luca et al. 2017a; Trájer 2021). Plusieurs espèces du genre Aedes se sont donc établies suite à l’importation, et constituent une nuisance notable ( Kraemer et al. 2015; Cull et al., 2021). En France métropolitaine depuis 2004, il s’est solidement implanté à partir du Sud (Delaunay et al. 2007; 2012) et 64 départements de l’hexagone sont aujourd’hui colonisés par ce moustique à forte expansion (Roche et al. 2015). Enfin, Culex quinquefasciatus (Say, 1823) (Figure 1C) bénéficiant des changements de conditions climatiques, jouit lui aussi d’une aire de réparation très importante puisqu’il est présent sur tous les continents. Cette espèce se rencontre en Afrique subsaharienne, en Afrique du Nord, en Asie, aux EtatsUnis, dans le Sud-est de l’Europe, dans le pacifique et même en Arabie Saoudite (Samy et al. 2016). Elle se rencontre dans des milieux qui souffrent d’un manque d’infrastructures d’assainissement où des collections d’eau stagnante riche en nutriments en décomposition y sont abondantes. En Afrique, le milieu urbain est son domaine de prédilection car il lui procure les gîtes favorables à son développement (Salako et al., 2019). Cette facilité de colonisation de différents endroits du monde par les moustiques Aedes et Culex est liée à plusieurs facteurs qui contribuent à leur implantation et à leur expansion rapide dans le monde 6 Figure 1: Vecteurs d’arbovirus impliqué dans notre étude (A) Aedes aegypti, (B) Aedes albopictus et (C) Culex quinquefasciatus (A) Aedes aegypti (lewebpedagogique.com), (B) Aedes albopictus (eid-rhonealpes.com) et (C) Culex quinquefasciatus (fr.wikipedia.org).
Facteurs de distribution des moustiques Aedes et des Culex à travers le monde
Les éléments favorisant la conquête de nouveaux territoires par les Aedes et les Culex sont de plusieurs ordres. D’abord, les facteurs climatiques caractérisés par une élévation globale des températures et une variation des quantités de pluie sur l’ensemble du globe. Ces conditions influençant considérablement l’abondance et la durée du cycle de développement des moustiques, favorisent la colonisation définitive ou temporaire, des milieux tempérés par ces vecteurs (Gould and Higgs 2009; Kraemer et al. 2019). En plus, l’urbanisation galopante et anarchique dans les pays tropicaux en l’occurrence dans les pays subsahariens du continent africains, représente une part importante dans l’expansion de ces vecteurs. Le développement des villes densément peuplées et présentant des difficultés de gestion de l’environnement (absence de service régulier et efficace de collecte de déchets ménagers, le manque d’entretien des caniveaux, etc..), créent des conditions favorables à la formation de gîtes larvaires (Fofana et al. 2012; Batallán et al. 2015; Fournet et al. 2016b). L’utilisation des réservoirs de stockage A B C 7 d’eau par des populations dans les zones qui manquent d’adduction d’eau courante participe aussi à la formation des gîtes larvaires des Aedes. Le commerce de pneus usagés dans le monde est aussi incriminé dans cette dispersion. L’espèce Ae aegypti par exemple à été introduite par ce canal au Pays-Bas (Brown, Scholte, et al. 2011). Aussi, l’utilisation à grande échelle des terres agricoles, modifiant la couverture végétale, influence l’abondance, la distribution et les comportements de recherches de l’hôte par les vecteurs Aedes (Zahouli et al. 2017). L’usage non sélectif des engrais et pesticides dans le milieu agricole crée aussi une pression de sélection favorisant l’apparition de résistance à ces pesticides. Le déplacement passif des vecteurs s’opérant via les transports (aériens, maritimes et terrestres) a incontestablement joué sa part dans la colonisation de nouveaux lieux par les Aedes. Les fréquences des précipitations ainsi que leur quantité dans le contexte du changement climatique, les orages dont les dégâts peuvent causer des crues et la résurgence des nappes phréatiques sont de nature à maintenir constante la population des moustiques Culex. Ces facteurs dépendent essentiellement de la région et il est difficile pour l’homme de les gérer. Les systèmes d’irrigation par gravité tels que les rizières, les zones d’élevage piscicoles et d’aquaculture, les stations d’épuration, barrages, les lacs artificiels sont autant de modifications liées à l’activité humaine qui participent considérablement à l’expansion des moustiques Culex sur tous le globe terrestre (Muturi et al., 2007; 2009). Les figures 2A, 2B et 2C indiquent la distribution mondiale de ces trois espèces de vecteurs. B A 8 Figure 2: Distribution potentielle mondiale de trois vecteurs majeurs d’arboviroses. (A) Aedes aegypti et (B) Aedes albopictus dans le monde. Le chiffre (1) indique la présence d’Aedes et (0) indique l’absence d’Aedes sur le globe (Kraemer et al., 2015). (C) Distribution de Culex quinquefasciatus à l’échelle du globe. Les zones en bleu sont les localisations de Culex quinquefasciatus sur le globe (Samy et al.,2016).
Bio-écologie des Aedes et Culex
Cycle biologique et bio-écologique
Comme tous les autres moustiques, les Aedes et les Culex sont des insectes holométaboles (les larves ont un aspect et un mode de vie différents de ceux des formes adultes) et présentent un cycle de vie à deux phases : une phase aquatique et une phase aérienne. La phase aquatique pour les Aedes, passe par les œufs très résistants à la dessiccation et pondus isolément au bord de la surface de l’eau des gîtes par les femelles. Pour Culex les œufs sont pondus habituellement à la surface de collection d’eau riches en matière organique et flottent grâce à la présence de flotteurs apicaux. Ils sont protégés par deux enveloppes (l’endochorion interne épais et l’exochorion externe plus mince). Ils sont agglutinés en barquettes stables de plusieurs dizaines d’œufs. La Figure 3 présente les œufs de d’Aedes et Culex. C 9 Figure 3: Œufs des moustiques Aedes et Culex. Les œufs des Aedes de couleur sombre sont pondus isolément au bord des récipients contenant une petite collection d’eau, et ceux de Culex sont pondus en grappe (radeau) à la surface de l’eau. Source : Mémoire de DEA, Dynamique de la faune culidienne sur le campus de Yaoundé I, Cameroun (Kamgang et al., 2006). Consulté et modifié par Zamblé le 28 /01/2022. A l’instar des œufs des autres moustiques, les œufs éclosent dans les 34 à 48 heures qui suivent leur mise en eau après une période de quiescence pour donner naissance à des larves. Les larves traversent 4 stades (L1, L2, L3 et L4) avant d’aboutir à la forme nymphale. Pour Aedes cette phase aquatique dure 6 à 7 jours selon les conditions climatiques et la disponibilité en nourriture (Couret et al., 2014) et se déroule dans des gîtes domestiques (Figure 4) résultant des activités humaines tels que les soucoupes de pots de fleurs, les pneus usés, les boites de conserve, les récipients pouvant stocker de l’eau ou de larges amas de déchets ménagers pour les Aedes (Dieng et al. 2018). Ces gîtes qualifiés de gîtes artificiels favorisent le fort contact de ce vecteur avec l’homme. A côté de ces gîtes artificiels, il existe des gîtes naturels retrouvés dans des ravins, des trous de rochers, des bambous cassés, des creux d’arbres ou plantes à larges feuilles engainantes, des coquilles d’escargot et les terriers des crabes pour l’Aedes polynesiensis. Ces orifices collecteurs d’eau de pluie sont exploités par des Aedes qui entretiennent le cycle selvatique (en forêt) de la transmission de certains arbovirus. Les Culex, qualifiés de moustiques des villes et des lieux “sales”, vivent dans les fosses septiques, les caniveaux et les collections d’eaux polluées de nos villes (Muturi et al. 2007; 2009). 10 La phase aérienne quant à elle est marquée par l’émergence de moustiques adultes des stades nymphaux. Après l’émergence, l’adulte reste immobile pendant 24 à 48 heures, le temps que sa cuticule sèche, que ses ailes se déploient et que son appareil reproducteur soit fonctionnel. Le mâle devient sexuellement fonctionnel après 24 à 48 heures, alors que la femelle a besoin de 30 à 60 heures. Après leurs premiers repas composés de nectar, l’unique et premier accouplement de la femelle a lieu après leur envol après 24 heures à 36 heures. Les mâles quant à eux peuvent s’accoupler plusieurs fois au cours de leur vie. Une fois fécondée, la femelle qui est seule hématophage, entame la recherche active d’un hôte vertébré pour un repas sanguin, source préférentielle de protéines utiles à la maturation de ses œufs. Gorgée, la femelle trouve un endroit de repos pour la maturation de ses œufs puis un gîte pour pondre et le cycle reprend. Qualifié de cycle gonotrophique ou cycle trophogonique, il est espacé de 3 à 5 jours et tient compte de la durée de vie des femelles de moustique qui se situe entre 4 à 8 semaines selon les conditions du milieu (Figure 5).
Comportement de piqûre et cycle nycthéméral d’agressivité des Aedes et de Culex
Etroitement lié à l’Homme à cause de la nature anthropisée de leurs gîtes (petites collections d’eau non polluée pour les Aedes et collections d’eau chargée en matière organique pour les Culex), les femelles de ces vecteurs hématophages et solénophages ont besoin de sang de vertébrés pour assurer la maturation de leurs œufs. Le choix de l’hôte se fait grâce aux fonctions sensorielles. Les antennes leur permettent de percevoir des émissions odoriférantes, telles que l’acide lactique, l’acétone ou les composés phénoliques et l’œil pour les espèces nocturnes (Culex), grâce à la lumière leur indique les habitations. Lorsque l’hôte est proche, les couleurs foncées (bleu sombre, noir) ou les contrastes de couleur sombres et claires, exercent un pouvoir attractif (Tauxe et al. 2013; Wolff and Riffell 2018). Lorsque la femelle veut se nourrir, elle vient se placer sur l’hôte choisi, et se sert de ses palpes maxillaires pour le repérage thermique d’un capillaire sanguin. Le labium se replie à la surface de la peau et les stylets pénètrent dans le tégument afin de cathétériser le vaisseau. Les femelles Aedes et Culex se nourrissent à l’intérieur comme à l’extérieur des habitations. Après leur repas de sang, elles peuvent se reposer aussi bien à l’intérieur (endophiles) qu’à l’extérieur (exophiles). Ces deux moustiques très actifs en milieu urbain, présentent des périodes d’activités différentes. Les 12 Aedes sont principalement actifs pendant la journée, avec deux pics d’activité, un au petit matin et un autre au crépuscule. Quant aux Culex, l’heure à laquelle piquent les femelles débute à la tombée du jour et dure jusqu’à l’aube (Araujo, Guo, and Rosbash., 2020).
Compétence vectorielle des Aedes et Culex
La compétence vectorielle se définit comme la faculté qu’a un vecteur à acquérir, à maintenir, à assurer la réplication et à transmettre un agent pathogène à un hôte vertébré. De par leur comportement hématophage, les moustiques ingurgitent des agents pathogènes de diverses natures lors de leur prise de repas sanguin sur un hôte infecté et ils les transmettent à un autre hôte vertébré lors d’un prochain repas de sang. Cet état de fait implique donc un contact régulier entre le moustique et l’hôte vertébré. Pour y parvenir, le vecteur doit répondre à certaines conditions (une bonne longévité, une préférence trophique, une bonne densité, etc.) sur lesquelles s’exercent les facteurs environnementaux (température, humidité, abondance de nourriture pour les larves…). C’est donc la combinaison de la compétence vectorielle et de ces facteurs qui offrent au vecteur sa capacité à transmettre le virus aux hôtes, donc sa capacité vectorielle. Les vecteurs Aedes sont ainsi majoritairement compétents pour les virus du chikungunya (CHIKV), de la dengue (DENV), de la fièvre jaune (YFV), du Zika (ZIKV) et les Culex le sont pour l’encéphalite japonaise (EJV), l’encéphalite de Saint-Louis (ESLV), le virus du Nil occidental (WNV) (Paupy et al. 2009; Diagne et al. 2014; Souza-Neto, Powell, and Bonizzoni 2019; Auerswald et al. 2021; Eynde et al. 2022). La présence concomitante de ces vecteurs et de ces affections qu’ils induisent chez l’Homme dans les différentes régions du monde intertropicales et tempérées du globe, constituent d’ailleurs une véritable difficulté à surmonter pour la mise en place des stratégies de lutte contre ces vecteurs et donc les vastes problèmes de lutte contre la transmission des arbovirus.
Introduction |