Exploitation du potentiel des bactériophages dans le traitement des surfaces en contact avec l’eau
Bloquer l’entrée de l’ADN phagique
Une fois attaché à son récepteur cellulaire spécifique de la surface bactérienne, le phage est capable d’injecter son ADN dans son hôte et d’utiliser sa machinerie pour se répliquer. Le système SIE pour « superinfection exclusion system » des bactéries se compose de protéines associées à la membrane codées par les phages eux-mêmes. Plus simplement, il permet à une bactérie lysogène d’éviter toute nouvelle infection par des phages relativement proches. Chez le phage T4, deux systèmes SIE codant pour les protéines Imm et Sp inhibent rapidement l’injection d’ADN dans les cellules et prévient des infections futures (Lu and Henning, 1994). Les deux protéines agissent séparément. La protéine Imm associée à la membrane et à une seconde protéine, empêche le transfert d’ADN en changeant la conformation du site d’injection. La protéine membranaire Sp inactive le lysozyme du phage T4. Codé par la protéine gp5 à l’extrémité des fibres caudales du phage T4, le lysozyme dégrade le peptidoglycane créant ainsi des pores dans la paroi bactérienne et facilitant l’entrée du génome viral. D’autres systèmes, tel que Sim et Sie en association avec les prophages sont retrouvés chez les Entérobactéries. Chez les espèces à Gram positif quelques exemples de systèmes SIE ont été caractérisés chez Lactococcus lactis, en réponse aux attaques des phages lors de son utilisation intensive en agroalimentaire dans le processus de fermentation. Le système Sie2009 a été identifié chez le phage tempéré Tuc2009 puis a été retrouvé chez d’autres prophages dans le génome de plusieurs souches de L. lactis (McGrath et al, 2002). Chez S. thermophilus, utilisée également en agroalimentaire, la lipoprotéine de phage LTTP-J34 est capable, en se liant à la membrane, d’interagir avec les protéines de ruban des autres phages et de bloquer l’entrée de leur ADN. Chez les Siphoviridae les protéines ruban facilitent le passage du génome viral en formant un tunnel dans la membrane bactérienne. Plusieurs systèmes SIE ont ainsi été reconnus sans toutefois être correctement caractérisés. 5.1.3 Restriction/ modification de l’ADN du phage : Une fois adsorbé à la surface bactérienne, le phage est capable d’injecter son ADN (ou ARN) dans la bactérie et d’enclencher son cycle d’infection (Figure 17). Plusieurs mécanismes de défenses peuvent alors être actionnés pour contrecarrer la réplication du génome (Figure 17.1). Ces systèmes de restriction-modification particulièrement étudiés lors des interactions entre les phages T4 et la bactérie E. coli permettent de cliver cet ADN (ARN) étranger et font intervenir des endonucléases (Figure 17.2). L’hétérogénéité de ces protéines reflète la diversité de leurs activités et permet de les classer en 4 groupes selon la composition de leurs sous-unités, leur activité, et les sites de restrictions reconnus (Roberts and Marinus, 2003; Tock and Dryden, 2005). L’efficacité d’un tel mécanisme est directement lié au nombre de sites de restriction présents dans le génome viral. Lorsque l’ADN non méthylé d’un phage est injecté chez une bactérie présentant un système de restriction-modification, il est alors reconnu par l’enzyme de restriction puis rapidement dégradé. Dans une moindre mesure, il est également possible qu’il soit méthylé par une méthylase bactérienne, cette dernière est tout fois moins active que les endonucléases. Protégé de la restriction par la méthylation, l’ADN du phage va pouvoir initier son cycle lytique. Face aux mécanismes de défense mis en place par les bactéries, certains phages déploient des stratégies de contournement des systèmes de restrictions-modifications bactériens (Figure 17.3, 4, 6, 8,10). Ainsi, des mutations de leur génome ont engendré la suppression des sites de reconnaissance des endonucléases de restriction bactérienne (Figure 17.3) (Tock and Dryden, 2005). Le phage K infectant Staphylococcus n’a donc pas de sites de restriction dans son génome d’ADN double brin, reconnus par l’endonucléase Sau3A (Krüger and Bickle, 1983). Chez le phage T4 l’incorporation d’hydroxyméthylcytosines (HMC) dans le génome viral en remplacement des cytosines (Figure 17.4), permet par simple substitutions des résidus de l’ADN d’échapper aux nucléases clivant spécifiquement les séquences contenant des cytosines (Bickle and Kruger, 1993). La coévolution des mécanismes de défense a permis aux bactéries d’acquérir des MDSs «Modification-Dependent Systems» capables de cliver exclusivement l’ADN contenant des bases HMC (Figure 17.5) (Bickle and Kruger, 1993). Cela a entrainé, chez les phages T4, une glycosylation des bases HMC pour échapper aux MDSs (Figure 17.6). A leur tour certaines souches d’E. coli parviennent à mettre en place des systèmes de restriction des bases modifiées appelés Gmr « glucose-modified restriction » (Figure 17.7). Ce système composé de deux sous unités (GmrS et GmrD) clive spécifiquement les motifs Glu-HMC de l’ADN du phage et donc inhibe son infection (Bair and Black, 2007). Certains analogues aux phages T4 codent pour des protéines internes I (IPI* « Internal protein I). Durant l’infection les protéines matures IPI* sont injectées dans l’hôte en même temps que le génome viral. La structure de ces protéines leur permet d’interagir avec le complexe GmrS-GmrD et d’annuler son activité restrictive (Figure 17.8)(Rifat et al., 2008). Certaines souches bactériennes ont trouvé le moyen de contourner l’action des IPI* en utilisant un polypeptide fusionné comme complexe GmrSGmrD (Figure 17.9)(Rifat et al., 2008)
Interruption du cycle infectieux : Egalement appelée Abi pour « Abortive infection systems »
Sous l’activation de ces mécanismes, l’infection par le phage provoque la mort de la cellule infectée, protégeant ainsi la population bactérienne adjacente. Dans ce cas, ce sont chacune des étapes cruciales de la multiplication des phages qui peuvent être ciblées : réplication, transcription et traduction. Le système RexAB du prophage λ étudié chez E. coli, est un système à deux composantes RexA et RexB (Parma et al., 1992). L’injection du génome viral dans la bactérie occasionne la formation d’un complexe ADN/protéines utile à la réplication du génome, et nécessaire à l’activation de RexA. RexA est un senseur intracellulaire capable d’activer à son tour la protéine RexB ancrée à la membrane. Deux protéines Rex A sont nécessaires pour l’activation d’une protéine RexB. Cette dernière agit comme un port laissant passer les cations monovalents au travers de la membrane interne, s’en suit une chute du potentiel membranaire et de la synthèse d’ATP (Snyder, 1995). La production des macromolécules est alors diminuée et la multiplication cellulaire avortée. Parallèlement, le cycle d’infection par le phage est également stoppé par manque d’ATP. Chez E. coli, ce système protège une cellule infectée (lysogène) d’une éventuelle attaque par d’autres coliphages. La régulation de cette activité est principalement sous la dépendance du ratio protéique RexA/RexB. D’autres systèmes plus complexes décrits chez E. coli font intervenir diverses catégories de protéines. Les gènes lit (E. coli K12) et prrC (E. coli CT196) codent respectivement pour une métalloprotéinase et une nucléase (Snyder, 1995). La métallo-protéinase activée par un peptide de la protéine majeur de la capside du phage T4 en fin de cycle, est capable de cliver le facteur d’élongation Tu (EFTu) impliqué dans la synthèse des protéines (Bingham et al., 2000). Le gène prrC, quant à lui, fait partie d’une cassette contenant trois autres gènes prrA, prrB, prrD impliqués dans les mécanismes de défense de type restriction-modification détaillés auparavant. La nucléase activée, clive les ARN de transfert (Lys) et provoque également l’arrêt de la synthèse protéique. Toutes deux conduisent, indirectement à la mort de l’hôte et donc à l’interruption du cycle infectieux. Les systèmes Abi bien que souvent décris chez E. coli, existent également chez les espèces à Gram positif. Jusqu’à présent, vingt-trois mécanismes Abi (AbiA- AbiZ) ont ainsi été rapportés chez Lactococcus lactis (Chopin et al., 2005) : les sytèmes AbiA, AbiF, AbiK, AbiP, AbiT perturbent la réplication de l’ADN du phage, alors que AbiB, AbiG et AbiU affectent la transcription de l’ARN. La présence de AbiC limite la production de la protéine majeur de la capside et celle de AbiZ provoque une lyse prématurée de la cellule infectée, empêchant ainsi l’assemblage complet des virions et leur relargage. Chapitre 1 : LES BACTERIOPHAGES 46 Les systèmes toxine-antitoxine «TA systems» très répendus chez les bactéries sont également appelés systèmes de mort programmée ou systèmes « post-segregational killing » (ou PSK) et ont été identifiés pour la première fois, comme étant responsables du maintien des plasmides au cours de la ségrégation (Jensen and Gerdes, 1995). Dans un même opéron du plasmide sont codés un poison et un antidote à ce poison. L’antidote est relativement instable par rapport au poison car rapidement dégradé par l’activité d’une protéase ATP-dépendante. Il doit donc être maintenu dans une concentration suffisante pour contrecarrer l’effet du poison, ce qui requiert la présence du plasmide. En effet, si, lors de la division, une cellule fille ne reçoit pas de copie du plasmide, l’antidote encore présent dans le cytoplasme est dégradé sans qu’il ne puisse plus être synthétisé de novo. Le poison peut donc agir pour tuer la cellule, d’où l’appellation de « post-segregational killing ». Plus récemment Fineran et al, (Fineran et al., 2009), ont montré que ces mécanismes interviennent dans les réponses antiphages et présentent un phénotype Abi. Ils engendrent des interactions pouvant être de type protéine-protéine (Hazan and Engelberg-Kulka, 2004), ARN-ARN (Pecota and Wood, 1996) ou bien protéine-ARN (Blower et al., 2009), et dans tous les cas, correspondent à la production d’une molécule toxique par la cellule, neutralisée par l’antitoxine. L’expression de ces molécules est finement régulée et varie d’un système à un autre. Néanmoins, lorsque cet équilibre toxine/antitoxine vient à être rompu, le relargage de la toxine abouti à la mort cellulaire et de ce fait à l’interruption du cycle du bactériophage. 5.1.5 Interférer avec l’assemblage viral: Les îlots chromosomiques inductibles par des phages (PICIs pour «Phage-inducible chromosomal islands ») sont une famille d’éléments génétiques très mobiles qui contribuent substantiellement au transfert génétique horizontal, à l’adaptation de l’hôte et à la virulence (Novick et al., 2010). Initialement identifiés dans Staphylococcus aureus (SaPIs pour «Staphylococcus aureus pathogenicity islands »), ces éléments sont très représentés chez les espèces à Gram positif (Tormo et al., 2008). Ils utilisent une variété de stratégies pour manipuler le cycle de vie des phages et promouvoir leur propre propagation. Dans des conditions normales, les SaPIs sont stables dans le chromosome de l’hôte. Suite à une infection, l’îlot est excisé, répliqué et empaqueté. Dans ces conditions, ils interfèrent sur le développement intracellulaire des phages (Novick and Subedi, 2007). Les capsides produites sont ainsi beaucoup plus petites et ne permettent pas l’encapsidation d’un génome viral fonctionnel. Elles sont donc détournées pour produire une génération de particules virales matures renfermant l’ADN des SaPIs à la place de l’ADN du phage (Novick and Subedi, 2007).
REMERCIEMENTS |