Expérimenter les usages scénarios, retours utilisateurs et séquences pédagogiques

À travers le livre-application

Candide, nous avons voulu expérimenter de nouveaux usages de lecture et de nouvelles pratiques pédagogiques. Pour cela, nous avons établi en amont des scénarios et suscité en aval des retours utilisateurs et des expérimentations en milieu scolaire. Lors de la conception, notre approche fut de penser en même temps l’outil et l’usage pour que la tablette devienne un lieu de connaissance et de partage. C’est en effet essentiel pour un produit innovant, soutenu par l’Éducation nationale, dont on prévoit le déploiement dans les classes et la généralisation à d’autres œuvres du patrimoine littéraire. Nos hypothèses et scénarios d’usages partent d’expériences de lecture augmentée, d’expérimentations de la tablette dans les collèges et lycées, et d’un déploiement possible du produit dans le cadre des technologies de l’information et de la communication à l’école (TICE) dont on sait combien elles améliorent la motivation des élèves et concourent à lutter contre l’échec scolaire. Le livre-application a fait l’objet d’expérimentations par des classes test 320 qui nous permettent d’étudier comment une telle application peut s’inscrire dans un environnement scolaire en cours de mutation. La tablette à l’école se présente comme une « ardoise numérique » offrant de très larges possibilités. Va-t-elle devenir le nouvel outil de l’enseignement ? Nous verrons qu’introduire un tel objet à l’école renouvelle les pratiques et le modèle pédagogique. En s’inscrivant dans un écosystème numérique qui se généralise dans l’Éducation nationale, elle renouvelle complètement les outils pédagogiques et interroge les finalités mêmes de l’école. L’étude « grand public » menée par Orange 321 plébiscite la richesse du livre-application tout en craignant que le lecteur occasionnel ne se « noie » dans des « enrichissements trop pointus ». Elle préconise de pouvoir paramétrer l’application en fonction de niveaux de lecture, confortant les attentes de personnalisation des interfaces et des usages. La question des enrichissements, la surcharge informationnelle ou cognitive qu’ils pourraient occasionner, la comparaison entre la lecture numérique enrichie et la lecture sur papier, sont au cœur de l’expérience test-utilisateur menée au laboratoire ErgoDesign.

Scénarios d’usage : le lecteur « lambda », l’élève, l’enseignant, le chercheur

Lors de la conception, nous avons élaboré des scénarios d’usage avec des profils de lecteurs et des parcours de lecture en fonction des publics visés. L’un des enjeux du livre-application Candide est de s’adresser à ces différents publics. Que tous puissent trouver dans les trois univers un parcours de lecture adapté à ses attentes et ses besoins. Des enseignants, ainsi que le service de l’Action pédagogique de la BnF, ont participé à l’élaboration des scénarios pédagogiques. Pour élaborer des scénarios d’usage, il est fréquent en conception d’interface de recourir à une pratique issue du design et du marketing : celle des « persona », qui sont des fiches signalétiques de personnes fictives représentant un groupe cible. Nous nous sommes inspirés de cette pratique pour restituer nos discussions sous forme de scénarios associés à quatre profils types : le lecteur « lambda », l’enseignant, l’élève et le chercheur.

 Le lecteur « lambda » à la découverte du texte

Le lecteur « lambda » lit le texte de Candide sur la tablette dans une mise en page classique, sans qu’aucun signe, aucune marque, ne viennent troubler sa lecture, bien qu’il puisse, au tap sur l’interface, faire apparaître les enrichissements qu’il pourrait vouloir consulter à loisir, notes ou fiches. Il se plait à déchiffrer le manuscrit en écoutant la lecture à voix haute de Denis Podalydès et constate les cas où le texte varie. S’il le souhaite, il peut afficher la variante et savoir pourquoi Voltaire a repris son texte, en accédant à l’apparat critique. Certaines scènes l’amusent, d’autres l’horrifient ; il se surprend à redécouvrir un texte à la fois drôle et cruel, qu’il connaissait pour l’avoir lu à l’école. Il s’arrête sur une étape insolite : la scène des jeunes filles poursuivies par des singes aiguise sa curiosité. Il bascule dans l’univers « Monde », repère l’itinéraire de Candide sur la carte, localise le territoire des Oreillons. Au tap, il ouvre la fenêtre de consultation des documents qui mettent la scène en perspective et l’informent sur la découverte des peuples « sauvages », le cannibalisme, la projection par les Occidentaux de leurs peurs et de leurs fantasmes. Il se confronte ainsi à l’image de l’autre et s’interroge sur lui-même. La gravure d’un festin de chair humaine en famille fait sensation. C’est une tribu indigène du Brésil ! Est-ce vrai ? Il consulte une source primaire, l’extrait de Jean de Lery. Il marque texte et image en favori qu’il partage en les publiant sur les réseaux sociaux. Le lecteur « lambda » découvre que l’univers « Jardin » est un espace de travail pédagogique qui, a priori, ne lui est pas destiné. Toutefois, il s’amuse à circuler à travers les arbres de la A. Laborderie — Le Livre augmenté — Université Paris-VIII – 298 connaissance déjà constitués et explore le « Jardin », le mode de croissance des arbres, leur rapprochement sémantique. Il est enthousiasmé par le livre-application : une expérience de lecture unique pour un tel classique qu’il avait remisé aux oubliettes ! Il partage la vidéo de démonstration sur les réseaux sociaux pour recommander l’application à ses amis.

L’élève stimulé par le dispositif

L’élève répond davantage à une lecture contrainte, mais son a priori est positif car le mode de lecture lui parait original et séduisant. En réglant le dispositif en mode « découverte », il accède à des notes destinées aux scolaires, orientées collège et lycée, qui donnent des définitions, explicitent les contextes, etc. Il consulte les fiches personnages, lieux, et le dictionnaire qui lui livrent les clés de compréhension de l’œuvre. Il garde trace de son parcours de lecture en marquant les pages consultées auxquelles il peut revenir par le gestionnaire des favoris. Dans l’univers « Monde », il visualise le voyage de Candide, et se remémore l’action et les thèmes abordés grâce aux résumés problématisés. Dans le cadre d’un travail scolaire, l’élève s’arrête aux étapes et thèmes choisis par son professeur. Il consulte les images, s’exerce à répondre aux questions, lit quelques textes. Il est prêt à débattre de l’épisode en classe. Dans le « Jardin », il peut planter sa graine et organiser les documents marqués comme favoris sous la forme d’un arbre de la connaissance. Pour cela, il doit s’identifier : c’est possible avec son login Facebook. L’élève dispose alors d’un espace personnel où retrouver ses favoris, rassembler ses notes et ses citations, et visualiser l’arbre qu’il vient ainsi de créer. Il circule de proche en proche à travers les arbres plantés par les élèves de sa classe.

L’enseignant construisant une séquence pédagogique et la classe travaillant en mode collaboratif

L’enseignant choisit d’étudier Candide principalement au lycée, en classes de Seconde ou de Première. Il fait lire le conte étudié en œuvre intégrale ou par extraits, avec un chapitre en particulier et un thème qui entrent en résonance avec d’autres textes, dans le cadre d’une séquence pédagogique. Il peut travailler avec un des douze thèmes de l’univers « Monde », sélectionner parmi les documents qui lui sont proposés, pistes, images, textes, ceux qu’il souhaite utiliser, réorganiser ces documents sous forme de favoris. Il peut utiliser ces documents en classe, directement depuis sa tablette ou son ordinateur connecté à un vidéoprojecteur ou au tableau numérique le cas échéant. Le gestionnaire de favoris lui permet d’afficher les documents dans un visualiseur en gardant le lien avec le contexte d’origine, liseuse ou parcours, de circuler entre les univers et, à loisir, retourner au texte, basculer sur les albums, revenir sur sa sélection.