Expérience de la consultation de médecine interne
dédiée aux unités de l’Hôpital d’instruction des armées
Introduction
Servir dans les forces armées françaises n’est pas forcément accessible à qui le souhaite. L’aptitude au service répond à des normes, faisant référence à des critères anthropologiques (limite d’âge, sexe), de compétence (diplômes et formation reçus), mais aussi à des critères médicaux. Ces derniers suggèrent implicitement l’existence d’une activité de type expertise médico-militaire en matière d’aptitude, activité partagée entre les praticiens des forces armées (équivalent des médecins généralistes en pratique civile) et les spécialistes des hôpitaux d’instruction des armées. Cette expertise est régie et aidée par les termes de l’instruction ministérielle (IM) 2100/DEF/DCSSA/AST/AME du 1er octobre 2003 relative à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale et ses modificatifs, selon une table des matières par spécialité(1). Elle permet d’honorer un des volets de la mission duale du Service de santé des armées (SSA) : préserver l’effectif opérationnel des forces armées. Cette instruction est révisée régulièrement, spécialité par spécialité, sur propositions des consultants nationaux, après consultations des spécialistes des hôpitaux de chaque spécialité. Le profil médical d’aptitude répond à une catégorisation en 7 sigles, connue sous l’acronyme SIGYCOP, correspondant aux différents appareils du corps humain. S : ceintures scapulaires et membres supérieurs I : ceintures pelviennes et membres inférieurs G : état général Y : yeux et vision (sauf sens chromatique) C : sens chromatique O : oreilles et audition P : psychisme Chaque sigle se voit attribué un coefficient allant de 1 à 6 pour les lettres S I G Y et O, de 1 à 5 pour la lettre C et de 0 à 5 pour la lettre P. La catégorisation P=0 couvre la période probatoire du militaire nouvellement engagé durant laquelle il peut décompenser un état psychiatrique latent. La valeur 1 équivaut à un état non pathologique alors que la valeur 6 correspond à un état pathologique tel qu’il justifie 6 une inaptitude totale. Les valeurs 2 à 5 sont attribuées lors de la survenue de pathologies plus ou moins actives et/ou évolutives, de la nécessité de thérapeutiques impactant l’opérationnalité du personnel et de l’existence d’éventuelles séquelles et/ou d’un handicap. Le sigle G, dédié à l’état général, recouvre l’ensemble des événements de santé (maladies, syndromes, anomalies biologiques ou morphologiques) non pris en compte par les six autres sigles, ce qui correspond à la grande majorité des pathologies rencontrées dans les spécialités médicales, en soins primaires et en médecine hospitalière. Un premier SIGYCOP est attribué lors de la visite initiale d’expertise (le plus souvent, visite d’incorporation). Puis, le militaire est suivi réglementairement tout au long de son contrat ou de sa carrière grâce aux visites médicales périodiques (VMP) au cours desquelles le médecin des forces évalue l’aptitude médicale à servir et ainsi, peut être amené à corriger le SIGYCOP ou adresser le patient à un spécialiste hospitalier pour avis d’expert. Dans le cas général, ces VMP sont de périodicité biennale. Le rôle et les responsabilités des médecins des forces et des spécialistes hospitaliers dans le domaine de l’expertise ont été reformulés dans le cadre du modèle SSA 2020(2), précisant les modalités de la transformation du SSA. En effet, jusqu’à récemment, la décision médico-militaire (DMM) d’aptitude était prononcée par le spécialiste des hôpitaux des armées. Désormais, le spécialiste des hôpitaux des armées est saisi par le médecin des forces pour avis, exerce un rôle sapiteur en proposant une catégorisation pour un ou plusieurs sigles du SIGYCOP selon sa spécialité et une DMM, la décision finale revenant au praticien des forces (praticien en soins primaires). Cette DMM définitive prend en compte l’individu (statut, lien au service, spécialité), la pathologie, l’environnement dans lequel il sert, l’avis sapiteur du spécialiste hospitalier et l’enjeu opérationnel collectif. Chaque spécialité répond à un profil seuil minimal d’aptitude opposable. Par exemple, l’instruction ministérielle 812 régissant l’aptitude médicale à servir dans l’armée de terre indique pour la spécialité «pilote d’engin blindé » un SIGYCOP minimal 3233331. Un personnel de cette spécialité ne peut donc être maintenu apte dans la spécialité si le sigle G est supérieur à 3.
Matériels et méthodes
L’objectif principal de notre étude est de mesurer la prévalence des distorsions de DMM par rapport à la norme dictée par l’IM 2100 datant du 20 décembre 2012, relative à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale(3). Dans un second temps, nous avons analysé cet échantillon de distorsions en fonction des typologies de personnels concernés, des pathologies incriminées, puis réfléchi sur les déterminants de ces distorsions, et leurs conséquences. Nous avons choisi de réaliser cette étude rétrospective monocentrique à partir de l’expérience de la consultation de médecine interne dédiée aux unités (CMIDU), conduite au sein de l’Hôpital d’Instruction des Armées (HIA) Sainte-Anne à Toulon. S’agissant d’une consultation de médecine interne et polyvalente, elle brasse un large éventail de pathologies médicales nécessitant une expertise, à l’exception des pathologies cardiologiques, pneumologiques, hépato-gastro-entérologiques, dermatologiques, neurologiques et onco-hématologiques en théorie. Ces spécialités sont en effet représentées dans l’établissement par des unités fonctionnelles spécifiques dotées de praticiens hospitaliers spécialisés. Cependant, quelques patients mal orientés, atteints de ce type de pathologies n’ont pas été exclus de notre population d’étude. A l’inverse, sont exclues du champ de cette étude les expertises chirurgicales, psychiatriques, de médecine hyperbare et de médecine aéronautique. Ainsi, cette CMIDU concerne essentiellement les pathologies métaboliques, endocriniennes, rhumatologiques, systémiques (maladies auto-immunes, autoinflammatoires), infectieuses et les pathologies syndromiques inclassées en terme nosologique. Durant la période d’étude, elle est assurée par des praticiens hospitaliers qualifiés en médecine interne, et en pathologie infectieuse et tropicale. La pertinence d’une telle consultation dans le lien avec les unités et le service médical rendu aux forces a été démontrée par M. Aletti et al. dans un travail rétrospectif en 2010(4). Chaque consultation réalisée à l’HIA Sainte Anne utilise le logiciel de soins Amadeus (Mac Kesson) comme support de traçabilité. Toutes les consultations réalisées dans 9 le cadre de la CMIDU entre 2012 et 2016, et présentes sur les plannings de consultation étaient éligibles. Les observations et/ou courriers de consultation ne relatant aucune DMM (par exemple : patient adressé pour consultation diagnostique ou de suivi, nécessité d’examens complémentaires, observation médicale inexploitable, courrier absent) ont été exclus. Ensuite, un échantillonnage des observations et/ou courriers portant mention de DMM a été réalisé en fonction des années, des catégories de pathologies correspondant aux différents chapitres de l’IM 2100. Au sein de ces échantillons, une analyse de concordance entre les DMM proposées et le texte de référence a été effectuée, permettant de calculer la prévalence des distorsions à la norme (exprimée en pourcentage) sur la période d’étude, puis par année, et par catégories de pathologies. Une analyse catégorielle des personnels concernés par ces distorsions a été réalisée en fonction de l’Armée d’appartenance, du grade et du lien au service (contrat, carrière, réserve…). L’impact et les conséquences de la DMM ont été évalués dans la mesure du possible grâce aux courriers de suivi, si celui-ci a eu lieu, en prenant en compte l’aspect opérationnel ou sédentaire des personnels concernés et l’évolution de la pathologie et/ou des thérapeutiques engagées. Le 16 novembre 2017, alors que notre travail de thèse était déjà avancé et l’analyse de prévalence effectuée à la lumière de l’arrêté du 20 décembre 2012, un arrêté modifiant ce dernier, relatif à la détermination du profil médical d’aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale, était publié au Bulletin Officiel des Armées (BOA), annulant et remplaçant le précédent(5). Nous avons donc effectué une nouvelle analyse de concordance des dossiers comportant une distorsion à la norme, avec cette nouvelle version, afin d’apprécier si le texte révisé de fin 2017 corrigeait, partiellement ou non, le taux de prévalence de ces distorsions .
Travail de thèse |