EXPANSION DE L’ISLAM
L’ISLAMISATION DU SENEGAL PAR LA VOIE DE LA TIJANIYYA
A partir du 8e siècle environ, eurent les premiers contacts entre les populations de l’Afrique de l’ouest et les arabes venus d’Orient et de l’Afrique du Nord pour des raisons commerciales. 3 4 Ces contacts eurent pour principale conséquence la diffusion de l’islam. Au 11e siècle, l’islam s’est davantage propagé avec l’arrivée des Almoravides, peuples islamisés d’Afrique du Nord. Aussi, l’islamisation du Sénégal remonte à cette époque. Toutefois, au Sénégal, elle est restée assez marginale, jusqu’au 17e siècle, touchant surtout les élites : souverains, riches marchands, érudits ; entraînant néanmoins l’apparition de daara (écoles coraniques). Seulement, cette islamisation prit une autre tournure avec l’avènement de charismatiques leaders religieux, notamment ceux de la confrérie at-tijȃniyya qui lancèrent des guerres saintes en vue de convertir les populations. 3 Sadibou Seydi, La pénétration de l‟islam en Afrique subsaharienne à travers les sources arabes (VII-XVIème siècle),
L’ISLAMISATION A TRAVERS LES CONQUETES
La diffusion de l’islam au Sénégal qui, comme rappelé plus haut, se fit à travers un long processus, s’est réalisée à travers des étapes distinctes dont la lutte armée (le jihâd), marquée de fort belle manière par des dignitaires tijân. Le précurseur et plus illustre des acteurs de cette phase est incontestablement El Hadji Omar Tall du Fouta Toro.
LES LUTTES D’EL HADJI OMAR TALL
En effet, Omar, fils de Thierno Seydou Tall et de Sokhna Adama Aysé Tall est né à Alwar, village situé à quelques dizaines de lieues de Podor5 , à une date toujours imprécise. Toutefois la plupart de ses auteurs la situe entre 1794 et 1797 Le jeune Omar qui est issu d’une famille religieuse et qui en plus vit dans une zone assez islamisée, ne s’attarda pas à entamer ses études. Omar Tall fit d’abord ses premières études dans son pays natal. Samba Dieng note que, vers l’âge de quatre ans, il fut confié par son père au marabout Thierno Hammât Nguia Thiam, pour qu’il l’initiât au Coran. Puis, il poursuivit ses études auprès de Thierno Bismôr Lamine Sakho, à Ndormbos, puis à Sêno Pâlelle où il eut à étudier le „Arûd et Ḥalîl7 Aussi, pour se perfectionner, Omar se rendit chez les maures du Tagant où la voie tijânite avait fini récemment de pénétrer. Ainsi, Omar reçut, pour la première fois, des mains du Cheikh Maouloud Fall, des Idaou ‘Ali du Trarza, l’initiation à la voie tijânite qu’il devait encore recevoir du Cheikh ʻAbd al-Karîm ibn Aẖmad an-Nâqil, du Fouta Djalon.8 A la fin de son séjour au Fouta Djalon, Omar et son Cheikh prirent la décision d’effectuer ensemble le pèlerinage aux lieux saints de l’islam : la Mecque et Médine où le prophète Muẖammad (PSL) est inhumé. Ils devaient se rendre d’abord chez Omar, au Fouta, mais, en cours de route, son maître tomba malade, s’en retourna chez lui pour se soigner, Omar arriva au Fouta Toro, fit ses adieux et prit des provisions de route.9 Il effectua le pèlerinage à la Mecque vers 1826. La date de ce périple fait aussi objet de divergences chez 5 Fernand Dumont, L‟anti-sultan ou El Hadji Omar du Fouta Combattant de la Foi, Les Nouvelles Editions Africaines, Dakar-Abidjan, 1974, P.3 les auteurs. Fernand Dumont la situe entre 1825 et 1826, Samba Dieng la situe aux environs de1826 . Quant à Rawane Mbaye, il évoque l’année 1820 . Tous ces auteurs ont évoqué par ailleurs, d’autres dates discordantes. Le chemin emprunté par le Cheikh lors de son voyage fut long. En effet, Samba Dieng écrit : « Parti donc de Halwâr en direction de la Mecque, Omar emprunta le trajet suivant : Fouta-Toro, Fouta-Djallon, Macina, Pays Haoussa, Fezzan, Médine, la Mecque. C‟est à la Station d‟Abraham qu‟il rencontra celui qui en fit un khalife, changeant du même coup son destin et celui du Soudan occidental : le Chérif Mohamed El Ghâli. » Ainsi, cette désignation fit du pèlerinage d’El Hadji Omar un tournant décisif pour l’islam en Afrique de l’Ouest et en particulier au Sénégal. En outre son long séjour (treize ans) en Orient lui permit d’approfondir ses connaissances arabo-islamiques en visitant plusieurs villes de l’Orient : Egypte, Syrie, Palestine.14 Par la suite, El Hadji Omar décida de retourner au pays natal. Rawane Mbaye le souligne en ces termes : « Passant toujours, au retour, par les mêmes localités, il rentra dans son pays afin d‟y effectuer une tournée de propagande qui le mena jusqu‟à Saint-Louis en passant par le Baol et le Cayor ». Avant d’ajouter que cette tournée (de 1845 ou 1846) qui l’amène dans son pays natal lui permit : «de répandre personnellement les préceptes d‟une doctrine maintenant mûrie et bien mise au point » 16 Notons que le retour d’El Hadji Omar au Fouta Toro correspond à la période à laquelle « le Fuuta Tooro est bien en mesure, depuis le succès de la révolution toroodo, d‟assurer son intégrité territoriale et de résister à la fois à la triple pression des Maures au Nord, des États bambara à l‟Est et du comptoir de Saint-Louis à l‟Ouest ». Notons aussi que les mutations économiques, politiques et sociales qui y jaillissaient, expliquent l’action religieuse et militaire d’El Hadji Omar à la fin de la première moitié du XIXe siècle.18 Le Fouta alors affaibli par ces agitations politiques et militaires, fut totalement soumis à la politique de la France.19 C’est dans ce contexte qu’El Hadji Omar, après vingt ans d’absence, arrivait à la fin de l’année 1846 au Fouta où il ne trouva qu’un peuple frustré.20 Quelques temps après, le Cheikh fut reçu à Donnaye, en 1846 par Caille, représentant de la France, par ailleurs directeur des affaires politiques sous le Bourbon de Grammont, alors gouverneur du Sénégal.L’auteur d’El Hadji Omar, la perle de l‟islam informe toujours, qu’au cours de cette rencontre, El Hadji Omar fit part à l’inspecteur Caille son intention à combattre pour la foi islamique. Ainsi, il note : « Littéralement fasciné par El-Hadji Omar, Caille lui remet des cadeaux au nom de la France. Cheikh Omar accepta les présents, mais révéla sa volonté d‟islamisation totale de l‟Afrique noire, et sa détermination à s‟opposer à toute forme d‟hégémonie. » ne s’attarda donc pas à faire appel à ses compatriotes pour qu’ils se joignent à lui. En effet, n’a-t-il pas envoyé des messagers dans les différentes régions du Fouta Toro, invitant les populations à combattre pour la foi islamique ? Autrement dit, …à venir vers lui accomplir le jihâd (la guerre sainte) ; qui est une prescription hautement islamique.23 Cet appel fut largement suivi au Fouta si l’on en croit à Rawane Mbaye qui note que : « il semble tous ceux qui recurent ce message répondirent favorablement ». Le marabout montre alors à ses nouvelles recrues les bienfaits de la confrérie dont il se réclamait (le tidianisme), montre son opposition à toute forme de collaboration avec la France et insiste surtout sur le respect scrupuleux de la loi coranique dans les villages.Le mouvement omarien attira alors de nombreuses adhésions; les djihadistes se recrutèrent alors dans toutes les couches de la société (du Fouta).27 Alors, fort des premiers contingents de premiers volontaires, El Hadji Omar renoue ainsi avec l’idéal religieux, politique et social du père de la révolution torodo, Souleymane Bal. En outre, il s’attaque d’abord au régime en place au Fouta Toro, en critiquant notamment l’hérédité des fonctions politiques au sein de quelques familles d’électeurs et d’éligibles, la confiscation de l’az-zakat, de la dîme religieuse par les riches, et l’ignorance des imams. Aussi, dénonçait-il, l’exploitation de ses concitoyens du Fouta Toro par le voisin du Fouta central, il en fait de même devant la faiblesse de son pays face à la pression des maures du trarza et des français.28 Ensuite, vint le moment de ressusciter l’élan religieux et l’esprit de la guerre sainte contre les Etats ceddo et bambara, à l’Est de la Sénégambie.Mais, dès le début, la classe dirigeante héréditaire, comme rappelé plus haut, se montre opposé au leadership du conquérant tijâniyyi: ce fut un obstacle contre sa volonté. Pire, cette période correspond à la tentative d’expansion territoriale de la puissance coloniale vers la vallée. Alors, devant l’impossibilité de s’affirmer devant l’élite politique, El Hadji Omar se contente à nouveau de regrouper des milliers de disciples futanke33 de toutes origines. Ces derniers étaient attirés par l’enseignement et l’idéal social et religieux du maître.
LES LUTTES DE MABA DIAKHOU BA En 1864
(le 12 février), disparut mystérieusement dans les falaises de Bandiagara (Mali), El Hadji Omar Tall à qui, la tijâniyya doit son expansion au Fouta d’abord, puis dans le reste du Sénégal. Puis, ses disciples et les disciples de ceux-ci prirent le flambeau, en utilisant parfois les mêmes moyens que le combattant de la foi, ou parfois des moyens pacifiques. Parmi ses successeurs qui ont adopté la même stratégie en vue d’assurer la diffusion de l’Islam dans le pays figure notamment Maba Diakhou Bâ. Les historiens racontent que Maba appartient à une famille d’origine dénianké de la lignée de Koly Tenguela Bâ. En effet, père de Birane Demba ; père de Mapathé Bâ, Koly Tenguela Bâ fut le fondateur de cette dynastie qui fut une aristocratie peule non islamisée, qui dirigea le Fouta pendant plusieurs siècles, jusqu’à la révolution Toorodo de Souleymane Baal et Abdel Kader Kane, en 1776.Ce fut alors Mapathé qui était sur le trône qui fut renversé et contraint de quitter le pouvoir du Fouta-Toro. Puis, dans la même tournure, son fils Ibrahima convergea vers le Djolof. Son séjour au Djolof lui amène à y enseigner le Coran ainsi qu’à y prêcher la religion musulmane.Ainsi, confortablement installé dans le Djolof, Ibrahima Bâ épousa une femme peule : Penda Ly. De cette alliance (Ibrahima et Penda) naîtront Ndiogou Bâ et Hama Bâ, il y fonda plus tard le village de Tawa. C’est de là que Ndiogou Bâ verra naître, vers 180952, son emblématique fils Muẖammad Bâ qui sera plus connu sous le nom de Maba Diakhou Bâ. Très jeune alors, Maba débuta ses études auprès de son père,53 qui assurait encore l’enseignement coranique des enfants du Nioro, avant d’être envoyé (à l’âge de sept ans) à Mbakhol, dans le Cayor, auprès du marabout Momar Mbaye qui lui aida à poursuivre les études coraniques jusqu’à ce qu’il mémorise le Saint Coran, puis, il l’initia aux sciences islamiques.54 Ainsi, contrairement à ses condisciples et contemporains qui délaissaient les études et retournèrent chez eux juste à la fin du cycle d’études coraniques, Maba, assoiffé de connaissances, choisit de poursuivre son long chemin d’études. Il étudia dès lors al-Fiqh alMaliki (la jurisprudence malikite), an-Naẖw (la grammaire arabe), etc. Mais malgré son désir, Maba sera obligé de retourner chez son père qui n’est plus. En effet, son petit-fils (Ndiogou Bâ), renseigne qu’en 1827, lui fut annoncée la mort de son père qui était encore au Rip. Le jeune Maba, alors âgé seulement de dix-huit ans, mais par ailleurs fils aîné du défunt, retourna dans son Rip natal.55 Assurant la charge califale, il y ouvrit une école coranique et se charge de l’enseignement religieux des enfants de la localité. Iba Der Thiam parle alors de premier retour de Maba Diakhou au Rip, à Badibou. Comme nous l’avons qualifié de premier retour de Maba, il est de toute évidence que Maba ait quitté de nouveau son pays pour d’autres cieux, en attendant son second retour. Thierno Kâ nous informe qu’« Une fois réglé le problème de sa famille, et compte tenu de sa sagacité et de sa soif de savoir, il se dirigea pour la seconde fois vers les centres de ces pays où les sciences islamiques étaient très développées. » 57 Il était en compagnie de son frère et condisciple préféré, Mamour Ndary Bâ. Il rallia d’abord son maître Momar Mbaye puis se rendit dans d’autres centres d’enseignement de la région (du Cayor), notamment la grande Marie Casanova note par ailleurs que : « Maba Jaxu, ses études achevées à Pir, puis à Longhor, petite localité du Mbakol, auprès de Momar Mbaye, le pieux et savant marabout, était revenu dans le Rip où il fonda à l‟exemple de son père, le village du Sinou-Maba (Kër Maba Jaxu) ». Là aussi, il ouvrit une école coranique et se charge de l’enseignement religieux des enfants de la localité. Il prêcha ensuite, pacifiquement la religion musulmane, avec l’accord des souverains du royaume du Saloum; qui étaient d’ailleurs de religion animiste comme la majorité de leurs sujets. Mais, le futur conquérant acquit une certaine notoriété, noua des relations avec les grandes familles musulmanes du Saloum et se consacra des années durant à cette activité missionnaire, jusqu’au moment où, il ne pouvait plus faire face à l’hostilité des chefs traditionnels du Rip. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’il émigra et fonda le village de Keur Maba. Puis, en 1849, Maba rencontra à Kaba-Koto, El Hadji Omar Tall qui l’initia à la tijâniyya qu’il répandit à son tour dans le Rip et ailleurs. En plus il (El Hadji Omar) lui encourage à faire le jihâd. « Je sais aussi que tu nourris l‟ambition de déclarer le jihâd dans le Rip. C‟est ce destin-là qui est le tien, il m‟a été révélé et je t‟y encourage vivement. Cependant n‟en n‟oublie pas la règle prescrite par le Coran “pas de contrainte en matière de religion ” 62, lui dit-il. Le jihâd de Maba Diakhou Bâ fut principalement marqué par ses sorties (batailles) au Saloum, au Djolof et au Sine. La lettre que nous allons rapporter ci-dessous, adressée par lui au gouverneur français Laprade, montre clairement sa tentative d’instaurer dans son pays, voire dans tous les royaumes de la Sénégambie, un empire théocratique. « A Laprade, chef des chrétiens » « Réfléchis sérieusement sur mes propos, écoute-moi, n‟écoute ni les propos des mécréants ni ceux des hypocrites et scélérats. Il n‟existe entre nous qu‟un traité commercial…Quant aux habitants du Djolof, je ne les ai combattus que parce qu‟ils avaient combattu, tué, et emprisonné les musulmans. J‟ai envoyé au Bourba Djolof trois émissaires, histoire de lui demander de ne pas attaquer les musulmans, et il a refusé. Voilà pourquoi je l‟ai combattu. « Ensuite, je t‟apprends que Djolof et Sine et Baol ne t‟appartiennent pas. Si tu persistes à prétendre le contraire, pourquoi n‟as-tu pas empêché les mécréants d‟opprimer les musulmans ? O Laprade, je ne suis ni injuste, ni jaloux…Toute personne qui commet une injustice à l‟égard des musulmans aura Allah pour juge entre lui et moi. Ne te crois pas capable d‟actions contraires à la volonté de Dieu. Non, non, Laprade ! Sois un frère pour moi, j‟en ferai de même pour toi, car aucun engagement ne sera violé de ma part. « Les mécréants sont [qualifiés d‟] injustes dans la religion de Dieu ». Et Dieu parachèvera sa lumière en dépit des infidèles », « en dépit des associateurs. « Certes Dieu n‟amende pas l‟action des corrupteurs » et «Ne violez pas les sermons après les avoir confirmés ». Il nous revient maintenant de retracer (de manière plus détaillée) l’itinéraire du combattant musulman. Maba débuta la guerre sainte au Saloum, dans le Badibou. En effet, la situation de ses frères musulmans du Rip n’était pas la meilleure. Il eut la persécution qui s’abat, pendant des années sur les minorités musulmanes du Rip et du Saloum. Ainsi, vers 1855, le Bour-Saloum, Coumba Ndama Mbodji s’attaqua au village de Nandigi (centre islamique dans le Saloum) et tua son chef musulman Masseydou Diarra Birane. La localité est mise au feu et plusieurs de ses habitants tués ou capturés.64 Déjà très jeune, Maba rassembla de l’argent, des chevaux et des pagnes destinés au roi, en échange de leur libération.
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