Exemples de traductions audiovisuelles
Nous nous sommes interrogé dans la partie précédente sur les moyens d’action qu’avaient les équipes de traduction audiovisuelle pour être reconnues. Nous avons abordé le sujet du point de vue théorique de la traductologie, mais aussi, d’une façon plus concrète en présentant les syndicats et associations luttant pour cette reconnaissance des traducteurs. Posons-nous la question, cependant : la traduction audiovisuelle est-elle seule dans cette démarche, ou peut-elle compter sur d’autres champs de traduction pour l’épauler ? Cette question en entraîne une autre : outre la traduction littéraire qui semble avoir acquis, elle aussi, ses lettres de noblesse (même si, bien sûr, des améliorations des conditions de travail restent toujours souhaitables), les autres domaines d’exercice de la traduction font-ils face à la même situation que la traduction audiovisuelle ? À l’aune des conclusions tirées des deux premières parties de ce mémoire, il nous est possible de comprendre le lien de cause à effet qui lie, d’une part, le manque de moyens alloué à l’exercice de la traduction audiovisuelle, d’autre part, le manque de considération envers la profession, et enfin, la qualité inégale des traductions audiovisuelles. Peu importe de savoir lequel de ces facteurs est arrivé en premier, il apparaît maintenant qu’ils s’auto-entretiennent, créant de fait un cercle vicieux. De la même façon, et comme nous l’avons abordé en évoquant le concept du capital symbolique de Pierre Bourdieu, l’on pourrait penser qu’une permutation de la reconnaissance suffirait à inverser la tendance globale et à amorcer un cercle vertueux. • Le cinéma : s’assurer de la valeur de Star Wars Prenons une nouvelle fois le sujet d’étude de mon Travail Encadré de Recherche en 2018 : la saga Star Wars de George Lucas. J’avais alors comparé les versions originales et françaises des six films qui composent la trilogie originale (1977-1983) et la « prélogie » (1999-2005), et en étais arrivé au constat Exemples de traductions audiovisuelles 54 suivant : la traduction originale, dans son ensemble, était de bonne qualité, même si quelques approximations pouvaient se remarquer quant aux termes propres à la science-fiction qui, dans les années 1980, arrivait à peine au cinéma. Citons, à titre d’exemple, la ligne “My lord, the fleet has moved out of lightspeed” dans Star Wars Episode V: The Empire Strikes Back traduite par « Mon seigneur, la flotte a dépassé la vitesse lumière » dans la traduction française du film. Cette erreur de traduction semble être due à une méconnaissance du concept de vitesse lumière, ou d’hyper-espace, dont de nombreuses œuvres littéraires de science-fiction parlent pourtant. Cette erreur de traduction soulève d’ailleurs la question du manque de communication entre les différents domaines dans lesquels travaillent les traducteurs : la science-fiction était déjà bien implantée dans la littérature à cette époque-là (le premier tome du cycle Foundation d’Isaac Asimov est publié en 1951, et le roman Dune de Franck Herbert en 1965, par exemple), pourtant les traducteurs cinématographiques ne semblent pas être au fait du lexique consacré de ce genre. Des recherches passionnantes, je n’en doute pas, pourraient être menées sur les échanges entre les différentes pratiques de la traduction (littéraire, audiovisuelle…) ; je me contente, de mon côté, d’en évoquer la possibilité afin de ne pas trop me disperser. La « prélogie » de Star Wars, contrairement à sa devancière, se démarquait, au niveau de la traduction, par des erreurs de traduction récurrentes. Alors qu’elles étaient exceptionnelles dans les années 1980, les erreurs sont devenues monnaie courante dans les années 2000. Les faux-sens et contresens se sont multipliés et n’ont plus seulement touché au lexique spécifique à la science-fiction. Au contraire, même, ce vocabulaire-là semble s’être bien fixé. L’objectif de mon TER était de tenter de comprendre, grâce à une approche comparative des deux trilogies, comment il avait été possible de passer de la qualité de la trilogie originale, à celle de la « prélogie », puisque dans le même temps, les recherches liées à la traductologie s’étaient développées. La conclusion apportée à cette interrogation indiquait qu’avec les années 2000, étaient arrivées les sorties mondiales simultanées, remplaçant l’ancien modèle où les films sortaient dans un premier temps dans leur pays d’origine, puis quelques mois plus tard à l’étranger en version traduite. Il avait été montré que cette nouvelle façon de faire avait d’autant plus pressé les traducteurs, qui ne se retrouvaient plus alors en mesure d’assurer une 55 traduction de qualité (nous retrouvons bien, ici, les éléments à la base du cercle vicieux que nous avons évoqué). Afin que les traducteurs de la « prélogie » soient exonérés définitivement de toute critique, j’avais aussi montré que le premier film de la prélogie était sorti en 1999 (avant, donc, la popularisation des sorties mondiales simultanées), avait été traduit par la même entreprise et la même équipe que les deux autres films de cette trilogie, mais que le niveau en était prodigieusement supérieur.
L’animation japonaise : Belles Infidèles contre « étrangéité »
L’animation japonaise, ou « japanimation », représente en fait les dessins animés japonais, très souvent inspirés de manga (les bandes-dessinées caractéristiques du Japon). La relation entre le papier et l’audiovisuel, dans l’archipel nippon, va dans les deux sens : quand les manga ne sont pas adaptés en anime (prononcer « animé ». Le terme international pour désigner les séries et films d’animation japonais), ce sont les anime qui engendrent des manga. Contrairement au marché occidental où les dessins animés et les séries d’animation sont majoritairement pensés pour une audience enfantine, la japanimation propose des séries et films pour tous les âges, et tous les goûts, du conte enfantin à la 72 science-fiction, de l’anime d’horreur à la pornographie. C’est cette différence d’utilisation du medium du dessin animé qui va causer la majorité des problèmes dont nous allons discuter. Même si les premières séries japonaises d’animation sont diffusées à la télévision française au début des années 1970, c’est avec Goldorak32, sur Antenne 2, en 1978, que le succès arrive réellement. S’engouffrant dans la brèche, d’autres séries comme Candy33 ou Albator34, s’ajoutent à la programmation dès 1979 et assoient d’autant plus l’influence des séries animées japonaises dans le paysage audiovisuel français. C’est malgré tout après la déréglementation de 1986, et l’arrivée de la chaîne de télévision TF1 que se crée, en 1987, l’émission qui introduira toute une génération de Français à la culture animée nipponne : le Club Dorothée. Les producteurs de l’émission puiseront sans grand discernement dans les catalogues d’anime, peu coûteux comparé à leurs homologues étatsuniens, mais sans se rendre compte que les séries amenées à être traduites et diffusées dans l’émission n’étaient en fait aucunement prévues pour ce type de public ; le Club Dorothée visait, en effet, les enfants. Or, nombre de séries d’animations achetées au distributeurs d’anime étaient prévues pour des publics adolescents, voire pour des jeunes adultes. Cet état de fait, bien sûr, eut tôt fait de causer des soucis aux parents d’enfants en bas âge qui se retrouvaient exposés à des séries très violentes, très peu adaptées à leur tranche d’âge. Des sociologues et psychologues, également, s’insurgèrent de la violence de contenus comme Goldorak ou encore Ken le survivant35. C’est le cas par exemple de Liliane Lurçat, psychologue de l’enfance et des problèmes pédagogiques, qui s’interrogeait en 1981 sur les effets de la violence de la série Goldorak sur les enfants .