Evolution et répartition médianes des émissions lumineuses par régions linguistiques

Cours répartition actuelle des émissions lumineuses, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.

Des différences marquées entre les grandes entités

Les cantons, les régions linguistiques et les aires métropolitaines sont marqués par des différences significatives dans l’évolution et la répartition des émissions lumineuses (Test de Kruskall-Wallis significatif). Néanmoins aucune tendance significative n’a été observée en fonction de la taille de ces entités en nombre d’habitants (Test de Jonckheere-Terpstra non significatif) (figures 31, 32 et 33)
Malgré tout, les communes francophones possèdent généralement un taux de croissance et des émissions lumineuses plus élevés que les autres régions linguistiques.
Figure 32 : évolution et répartition médianes des émissions lumineuses par cantons suisses.
Figure 31 : évolution et répartition médianes des émissions lumineuses par régions linguistiques.
Mis à part le Ticino-Urbano, la métropole Genève-Lausanne possède les émissions lumineuses significativement les plus importantes (55 – 26 à 36). Quant au taux de croissance, l’aire métropolitaine de Berne (83%) se détache considérablement des autres (30 à 64%). Ainsi, des entités à première vue similaires présentent des variations des émissions lumineuses et du taux de croissance considérables marquant par conséquent l’influence de la singularité de local dans l’estimation globale.
Figure 33: évolution et répartition médianes des émissions lumineuses par aires métropolitaines suisses.

Une faible différence entre les villes de taille différente

Les communes incluant une ville et classées selon leur taille (petite, moyenne et grande) présentent des différences non significatives dans l’évolution des émissions lumineuses (Anova) et dans sa répartition (Kruskall-Wallis). Cependant une différence significative (p-value de 0.0428) entre les émissions lumineuses des communes de grande et petite taille laisse entrevoir une diminution des émissions lorsque la taille diminue (SOLc de 292 à 97) (figure 34)

Un rattrapage des communes rurales

Bien que les émissions lumineuses soient significativement plus élevées dans les communes urbaines (figure 35), les communes rurales ont connu un doublement des émissions lumineuses (115%) entre 1992 et 2010. À terme, cet accroissement significativement plus élevé pourrait se traduire par un rattrapage des communes rurales. Ce constat, confirmant les analyses visuelles des cartes, est relativement inquiétant car les zones rurales sont les plus sensibles aux émissions lumineuses par leur caractère naturel. Quant aux nombreuses raisons possibles, l’étalement urbain provocant un éclairage public des communes rurales représenterait une cause probable. En effet, le développement de l’urbain dans ces régions s’accompagne d’une illumination des routes nouvelles ou existantes provocant ainsi une augmentation des émissions lumineuses.
Ainsi, les communes urbaines présentant des émissions lumineuses plus intenses (23) et un taux de croissance plus faible (76%) que les communes rurales (10 et tc de 115%), l’hypothèse de départ est donc partiellement correcte.
Figure 34 : évolution et répartition médianes des émissions lumineuses des communes suisses incluant une ville et selon leur taille.
Figure 35 : évolution et répartition médianes des émissions lumineuses selon les communes urbaines et rurales.

Une intensification des émissions lumineuses à la périphérie

L’éloignement au centre implique une diminution significative des émissions lumineuses mais une augmentation du taux de croissance de ces dernières. Le gradient centre-périphérie est donc vérifié pour l’intensité des émissions lumineuses mais inversé pour le taux de croissance. Ce gradient inversé témoigne de nouveau de la diffusion de la lumière vers la périphérie et de son rattrapage relatif. Alors que les communes centrales (SOLc de 90, tc de 39%) et suburbaines (SOLc de 70 et tc de 48%) se différencient faiblement, les communes périurbaines s’en distinguent fortement avec un fort taux de croissance (74%) et de faibles émissions lumineuses (24).
Figure 36 : évolution et répartition médianes des émissions lumineuses selon un gradient centre-périphérie.
En résumer, les émissions lumineuses actuelles se concentrent principalement dans les régions aux caractéristiques urbaines, peu importe la taille de ces dernières. Au contraire, les communes périphériques ou rurales présentent des émissions lumineuses de faible ampleur.
A l’opposé d’un déclin ou d’une stabilité, la croissance strictement positive témoigne d’un accroissement général des émissions lumineuses de toutes les communes suisses entre 1992 et 2010. En outre, cette augmentation affecte fortement les communes rurales ou périphériques et
Haenni Julien
passablement les communes urbaines ou centrales. Ainsi, la tendance pour la période 1992-2010 est à la diffusion des émissions lumineuses vers la périphérie. Se réalisant en même temps que le phénomène d’étalement urbain que connaît la Suisse depuis la fin du 20ème siècle, cette propagation en tâche d’huile suivrait ainsi une urbanisation incontrôlée.
Par conséquent, seul un changement dans le modèle d’urbanisation de la Suisse permettrait de freiner cette tendance à l’expansion des émissions lumineuses. La révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT – Mai 2014), garantissant une utilisation mesurée du sol, laisse espérer une densification des zones urbaines et donc une concentration des émissions lumineuses dans ces dernières. Ainsi, une attention particulière devra être portée à l’aménagement de ces zones densifiées pour éviter un aggravement du phénomène par une sur-illumination. À ce propos, un tel contrôle des émissions lumineuses demande forcément une évolution des pratiques dans la fabrique de la ville nocturne. L’élaboration de normes au niveau fédéral, d’un plan directeur lumineux cantonal ou d’une planification lumineuse communale représenteraient ainsi des pistes de réflexion intéressantes pour endiguer le phénomène.

Faiblesses de l’étude et perspectives

Des faiblesses constatées au sein de l’étude impliquent de prendre les résultats avec une certaine prudence. La détection des émissions lumineuses par les satellites, leur propagation dans l’atmosphère et leur contribution à la pollution lumineuse représentent des mécanismes encore fortement méconnus et complexes (Zhang et al., 2015, p. 304).
Les deux capteurs OLS et VIIRS, dont l’unique canal dispose d’une bande spectrale passablement limitée (500 à 800 nm), ne peuvent totalement « capture the multispectral irradiance of the light source » (Bennie et al., 2014, p. 4). De surcroît, Bennie et al. (2014, p. 4) révèlent qu’une modification du type d’éclairage impliquerait des changements trompeurs dans la luminosité capturée. Ainsi, il est primordial de concevoir des capteurs dédiés exclusivement à l’observation des sources de lumières artificielles afin d’obtenir des images plus adaptées à la problématique de la pollution lumineuse (haute résolution spatiale, canaux multi-spectraux, haute sensibilité aux faibles émissions, non saturation, etc.).
Quant aux images DMSP-OLS annuelles issues de plusieurs capteurs différents, elles souffrent du manque de calibration interne et nécessitent donc une inter-calibration avant leur utilisation. Cette dernière, utilisant la méthode de l’invariance de trois régions de Wu et al. (2013), comporte une certaine subjectivité dans le choix des zones invariantes et représente donc une source d’erreurs possibles. Bien qu’elle offre l’avantage de diminuer la saturation des centres urbains et les écarts inter et intra-annuels, la méthode se révèle inadaptée « if the study area is small and only a small number of pixels are involved » (Wu et al., 2013, p. 7366), ce qui pourrait être le cas pour certaines communes aux faibles dimensions. Cependant, l’agrégation des communes selon les niveaux géographiques de la Suisse et la construction d’un taux de croissance à partir de la moyenne des périodes 1992-1995 et 2007-2010, permettraient de minimiser sensiblement les erreurs dues à l’inter-calibration.
Finalement, l’heure de passage des satellites DMSP (19h30) ou Suomi NPP (1h30) ne correspondant pas à la période d’utilisation maximale de l’éclairage artificiel (22h) (Elvidge et al., 2013 p. 63), les émissions lumineuses capturées par les satellites sous-estimeraient théoriquement la situation réelle. En effet, l’éclairage public fonctionne selon des horaires différents en fonction de la saison ou de l’avancée de la nuit. Ainsi, il n’est pas rare que les villes diminuent l’éclairage public au-delà d’une certaine heure influençant donc sensiblement la détection des émissions lumineuses par le satellite Suomi NPP.
Quant aux recommandations, l’expression de la pollution lumineuse à de multiples échelles et la forte dynamique urbaine impliquent une constante adaptation de l’unité d’analyse et de la résolution spatiale au phénomène étudié. Bien que les typologies territoriales suisses du début du second millénaire correspondent à la période temporelle des images satellitaires utilisées et qu’elles soient donc adaptées pour une analyse macro, il est primordial de repenser l’unité d’analyse au niveau micro. Ainsi, des analyses aux niveaux des pixels en fonction de l’utilisation du sol (croisement des pixels et de la statistique suisse la superficie – résolution de 100m) ou des différentes densités
(habitants, emploi, bâti) sembleraient particulièrement intéressantes mais nécessiteraient une haute résolution spatiale des images satellitaires nocturnes.

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Conclusion

L’utilisation d’images satellitaires DMSP-OLS et NPP-VIIRS a permis d’estimer la répartition actuelle des émissions lumineuses et son évolution entre 1992 et 2010 en Suisse. Alors que les émissions lumineuses se différencient peu entre les villes de taille différente, elles sont plus élevées dans
les communes centrales et diminuent progressivement vers la périphérie. À l’inverse le taux de croissance est plus fort dans les communes rurales qu’urbaines. Ainsi, les émissions lumineuses tendent vers les marges des territoires en suivant la forte expansion urbaine des communes suburbaines, périurbaines et rurales, illustrant ainsi la profonde relation liant urbanisation et émissions lumineuses. Par conséquent, l’étalement urbain s’accompagnerait d’une illumination par le développement de l’éclairage public artificiel.
Quant à la méthodologie, sa diffusion, son application et sa réplication vers d’autres territoires constituent une possibilité prometteuse et encourageante. En effet, la grande disponibilité des images satellitaires DMSP-OLS et NPP-VIIRS et leur couverture mondiale offrent des perspectives innombrables. Néanmoins, l’étude a montré les limites de l’utilisation des images satellitaires dans l’estimation de la pollution lumineuse. Bien que ces dernières soient particulièrement adaptées pour évaluer l’évolution et la distribution des émissions lumineuses à une échelle globale, leur faible résolution actuelle rend impossible une analyse à l’échelle locale. Mais la pollution lumineuse ne s’exprime-t-elle pas finalement au niveau de la rue, du trottoir, du lampadaire ?
Néanmoins, la forte progression globale des émissions lumineuses en Suisse (taux de croissance médian de 88.44 % et taux moyen de 92.43 % entre 1992 et 2010, soit un doublement) témoigne de l’échec des recommandations édictées par l’office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) en 2005 (Klaus et al., 2005) et d’un dysfonctionnement du système d’éclairage public actuel. Dans un tel contexte, où recommander se révèle insuffisant, la confédération ne devrait-elle pas adapter ses législations, ses ordonnances et ses réglementations pour réduire considérablement les émissions lumineuses ? Il est aisé de comprendre qu’à la différence du bruit, la détermination d’un seuil ou d’une limitation des émissions se révèle problématique et complexe car la lumière est indispensable au maintien des activités nocturnes.
À quelle intensité la lumière devient-elle une nuisance pour l’homme ou une pollution pour la nature ? Où situer la frontière entre l’illumination et la sur-illumination ?
Mais l’obstacle primitif n’est-il pas finalement l’obscure symbolique de progrès que l’homme attribue à la lumière ?

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