Évolution des parcours pénaux au regard des sorties aménagées et selon l’établissement de libération

Évolution des parcours pénaux au regard des sorties aménagées et selon l’établissement
de libération

INCARCÉRATION MODE DE VIE, OU ACCIDENT DE VIE : CAS CONCRETS

Étude du profil des détenus (accident de vie/mode de vie)/incidence sur leur mode de sortie et leur devenir pénal. Le matériau empirique issu de notre base de données ou des entretiens menés avec la connaissance de l’évolution des situations individuelles fondera cette première analyse. Que peut-on dire de la réinsertion des personnes selon que l’infraction commise, et sa conséquence l’emprisonnement, constituent un accident dans un parcours de vie ou participent d’un mode de vie ? Rappelons qu’une distinction entre le crime-accident et le crime comme profession est très ancienne. A la fin du 19ème siècle, Enrico Ferri, proposait une classification selon le caractère du délinquant et la nature du crime291. Pour lui cinq classes de criminels pouvaient être observées : les criminels fous, les criminels nés, les habituels, les criminels d’occasion et les criminels par passion.  Cette catégorisation existait déjà par ailleurs, mais ne distinguait souvent que deux ou trois catégories : crime accident ou crime profession292 (en laissant une place à part pour les « anormaux », ceux dont l’état mental explique le passage à l’acte). La différence faite, et qui a encore cours aujourd’hui, entre les cas des « primo-délinquants » ou « délinquants d’occasion », et les délinquants d’habitude (ou délinquants « anormaux » toujours pour ceux qui auraient agi tandis que leur discernement aurait été aboli par un trouble mental, le cas de malades mentaux293), est également écartée. La notion de délinquant d’habitude existe dans plusieurs pays européens294 , si elle est absente des textes en France, la cour de cassation y a pourtant déjà fait référence295 . Il semble en effet que cette distinction est opérée sur un plan criminologique et ne tient pas compte du contexte social qui nous intéresse ici. Nous conservons cette séparation en deux classes, mais en définissant différemment les groupes. En effet, si la notion d’accident révèle un sens immédiatement accessible, l’idée de mode de vie est ambiguë. L’accident correspond à la commission d’un délit involontaire ; ce pourrait être l’exemple d’un homicide involontaire lors d’un accident de la route. Il porte aussi le sens de la singularité d’une situation sans rapport avec le reste d’un parcours de vie ou d’un contexte social que l’on imaginerait spontanément très éloignée de la pénalité. On pourrait prendre l’exemple d’un crime passionnel ou d’un tout autre délit commis dans une période de crise aiguë (des tensions familiales ou des graves problèmes financiers). L’accident a ici le double sens d’imprévue et l’aspect d’exception dans un parcours de vie. En ce qui concerne le mode de vie, il ne s’agit pas ici de dénoncer les situations de ceux qui tireraient leurs moyens de subsistance de la délinquance, même si elles existent. L’expression vise ici plus largement dans un sens social, les situations de ceux qui par leur parcours personnel ont toujours eu à connaître des questions de justice pénale. Il peut s’agir par exemple des situations des détenus dont un membre de la famille aurait déjà été condamné et incarcéré, ou plus simplement ceux pour lesquels les concepts de « condamnation » et « d’incarcération » avait déjà une réalité concrète. Il s’agit là encore de ceux qui depuis l’enfance ont pu avoir à connaître les rendez-vous des familles aux parloirs ne serait-ce que dans leur voisinage. La prison « mode de vie », désigne pour nous un aspect connu d’un paysage social ou d’une familiarité existentielle même indirecte.

L’incarcération comme un accident de vie

Disons d’emblée que l’expression peut choquer s’agissant des infractions les plus graves, mais elle désigne ici l’inattendu dans un parcours de vie ; elle ne minimise à aucun moment la gravité du délit. Pour notre étude, nous examinons ici les situations de personnes incarcérées pour la première fois. Le plus souvent, elles ont été condamnées pour une infraction unique à gravité variable ; la nature de des faits commis se trouve a des degrés différents sur une échelle de gravité d’infraction ; il peut s’agir de violences « ordinaires » ou des violences les plus graves (homicide et viol), ou encore de trafics de stupéfiants. L’« accident de vie » ou de parcours, il faut y insister, désigne le plus souvent la situation de personnes parfaitement insérées socialement. Le passage à l’acte, leur condamnation et incarcération peuvent donc être perçus comme surprenants et imprévus. Les cas concrets recueillis viennent illustrer utilement ce type de configuration296 . En effet, dans la majorité des cas, l’âge de ces condamnés totalement inconnus de la justice pénale surprend. On pense à ce travailleur immigré, paisible retraité sous tutelle, poignardant son fils, cette vieille dame violée par un soupirant de son âge ou encore ce travailleur retraité alcoolisé perpétrant des violences répétées sur son épouse et certains de ses enfants. Ces parcours de vie là ne semblent pas spontanément dirigés vers la prison. Nous les examinerons au travers du prisme des infractions qui ont conduit à l’incarcération : violence, affaires de mœurs ou affaire de drogue. -la violence Brahim B. (nom à consonance maghrébine) est algérien en situation régulière sur le territoire national. Il est âgé de 61 ans lorsqu’il est libéré de la maison d’arrêt de Chartres. Retraité du bâtiment, il est veuf et père d’un enfant, un fils majeur, la victime dans l’affaire. Il a été incarcéré sous mandat de dépôt criminel pour tentative d’homicide sur son fils. L’affaire est finalement correctionnalisée et une peine de 18 mois d’emprisonnement est prononcée contre lui pour violence avec arme, assortie d’une mise à l’épreuve de 2 ans. La détention provisoire a couvert la durée de peine prononcée et la mise à l’épreuve est allée sans difficulté jusqu’à son terme. Il a reconnu avoir donné un coup de couteau à son fils (qui a du être hospitalisé), mais expliquait qu’il ne cherchait qu’à se défendre. Son fils, selon lui, l’agressait et voulait lui soutirer une nouvelle fois de l’argent. Le détenu ne disposait que d’une modeste retraite à laquelle il n’avait pas accès, puisque sous mesure de protection, une curatrice gérait ses comptes. Détenu modèle, il est classé dans la catégorie des « chibanis », -le terme de l’arabe dialectal qui désigne les anciens (« cheveux blancs ») est repris, et connoté positivement dans l’argot pénitentiaire-. C’est sa première incarcération, il n’avait jamais été condamné auparavant, et il a pu travailler, à sa demande, à l’atelier de production le temps de sa détention. Il a bénéficié d’un suivi médical, mais uniquement sur le somatique ; il ne souffrait d’aucune dépendance. Il n’a pu avoir ni visite au parloir, ni sortie en permission (prévenu presque tout le temps de son incarcération) ; son seul contact régulier était celui qu’il entretenait (avec l’aide de codétenus, 296 Il est à noter que tous les cas concrets présentés, issus de notre base de données, n’ont pas de valeur représentative, mais seulement illustrative et d’exemple. En effet, les situations retenues ne sont pas issues d’un tirage aléatoire, mais ont été sélectionnées parmi un ensemble des cas les mieux documentés.

 L’incarcération dans un mode de vie

Cette conception de l’emprisonnement comme partie d’un mode de vie peut être déclinée et illustrée par des cas concrets sélectionnés, selon qu’elle désigne la délinquance comme mode subsistance ou comme éventualité/risque dans un parcours de vie. Sortant de tout jugement moral, une carrière délinquante, telle que décrite par Howard Becker298, montre des évolutions qui la différencie d’un parcours professionnel à proprement parler. Une entrée dans la délinquance même précoce ne conditionne pas nécessairement un exercice discontinu et linéaire d’actes illégaux qui assureraient le revenu régulier d’un individu. On observe des périodes d’activité délictuelle d’intensité variable, voire d’absence totale d’infractions. Dans cette catégorisation dialectique nous souhaitons instaurer des nuances. En effet, si l’idée prison « mode de vie » s’oppose facilement à celle d’une incarcération « accident de la vie », elle se pose surtout comme contrepoint. A minima l’accident de vie se présente comme un événement singulier dans un parcours de vie pour lequel on n’aurait pas imaginé de rencontrer la prison. La prison « mode de vie » se définirait dès lors simplement a contrario en une grande catégorie accueillant les situations de socialisation primaire intégrant le vécu, direct ou indirect, tel que décrit plus haut, d’une peine de prison, ou l’entrée dans un parcours de délinquance comprenant l’emprisonnement comme un caractère « acquis ». Cette subdivision pouvant elle-même se nuancer, en types de parcours et de socialisation, qui selon nous déterminent le devenir post-carcéral des individus. Il peut s’agir d’événements intégrés (1) ou bien d’une donnée acquise (2). Mais on peut s’affranchir de ce mode de vie (3).

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