Démarche CLIL
Parmi les différentes formes d’enseignement bilingue (dans lequel, rappelons-le, une partie du programme est enseignée dans une langue étrangère), il existe une approche éducative connue sous le nom de CLIL ou EMILE. L’acronyme CLIL a été adopté dans le milieu des années 1990 (Coyle, Hood & Marsh, 2010, p.3; Gravé-Rousseau, 2011, p. 4) et signifie Content and Language Integrated Learning. L’équivalent francophone, EMILE, réfère à enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère. Dans la démarche CLIL, l’attention se porte à la fois sur la L2 et sur la discipline non linguistique (DNL) (Coyle, Hood & Marsh, 2010, p. 1; Marsh, 2003, p. 1). La DNL est enseignée dans une langue seconde, mais la langue et la DNL sont toutes deux objets d’enseignement sans que l’une ait la préséance sur l’autre, même si l’accent peut porter tantôt sur l’un ou l’autre aspect selon le moment (Oberheidt, Baidak & Garcia Minguez, 2006, p. 7; Coyle, Hood & Marsh, 2010, p. 1). De ce fait, l’apprentissage d’une langue et d’une matière s’entremêlent, les cours comportant souvent deux objectifs, l’un linguistique et l’autre disciplinaire, raison pour laquelle l’approche CLIL est dite à double objectif (dual-focused) (Marsh, 2010; Coyle, Hood & Marsh, 2010, p1). De plus, les classes pratiquant le CLIL ont souvent recours aux deux langues, la langue de scolarisation et la langue seconde, car la démarche prévoit de recourir à l’une ou l’autre langue en fonction des besoins. C’est pourquoi la définition parle d’intégration d’une langue étrangère (Marsh, 2010, p. 14). L’on dit aussi que l’apprentissage de la DNL ne se fait pas dans une langue étrangère mais avec et à travers une langue étrangère (Oberheidt, Baidak & Garcia Minguez, 2006, p. 7).
Compétences linguistiques des enseignants, un bien trop rare Si l’on envisage de recourir à des enseignants de DNL pour donner un enseignement en langue étrangère, la première condition est que ceux-ci maîtrisent suffisamment bien une autre langue que le français. Plutôt que de demander aux enseignants s’ils possèdent un diplôme de langue et de quel niveau, il m’a semblé plus pertinent de leur demander d’autoévaluer leur maîtrise des langues. En effet, un diplôme peut avoir été obtenu de nombreuses années auparavant sans qu’il y ait eu ensuite pratique de la langue et à l’inverse quelqu’un peut maîtriser une langue sans avoir obtenu de diplôme. La moitié de l’échantillon, 7 personnes sur 14, maîtrise très bien une langue. Ce généreux pourcentage doit pourtant être considéré avec prudence. Etonnamment, sur ces 7 personnes, 3 sont des locuteurs de l’italien (1 enseignant l’a comme langue maternelle) alors que l’italien est une langue moins étudiée et moins répandue que l’allemand et l’anglais chez les Romands qui ne sont pas d’origine italienne (car ni obligatoire comme l’allemand, ni utilisée en tant que langue de communication comme l’anglais12). Ces 20% de locuteurs italiens pourraient alors être un effet du hasard dû à la petite taille de l’échantillon et diminuer le pourcentage global de personnes maîtrisant bien une langue étrangère.
En soustrayant les italophones, il reste 4 personnes sur 14, soit environ 28%, qui disent bien maîtriser une langue étrangère; parmi eux 3 citent l’anglais et une seule l’allemand. En plus de ce qu’ils pensaient de leur maîtrise générale d’une langue, il a été également demandé aux sondés si la maîtrise du vocabulaire propre à leur discipline et leur aisance à l’oral dans une langue étrangère posait problème. Pour les 7 enseignants qui maîtrisent très bien une autre langue, l’aisance à l’oral, assez logiquement ne représente pas un obstacle ou faiblement, sauf pour une personne pour qui il s’agit d’un obstacle moyen. De la même manière, c’est une bonne surprise de constater que le vocabulaire spécifique à leur discipline ne représente pas non plus un obstacle. En effet, ceci ne va pas forcément de pair avec la maîtrise d’une langue, si la langue a été apprise et pratiquée hors du contexte disciplinaire.
A l’inverse il arrive qu’un jargon technique soit maîtrisé si la personne pratique la langue dans un contexte professionnel précis et plutôt par écrit, et qu’une connaissance plus vaste ainsi qu’une pratique de l’oral manquent. En revanche, si l’on regarde la totalité de l’échantillon, la maîtrise du vocabulaire spécifique représente un obstacle non négligeable pour la majorité des personnes; obstacle insurmontable ou important en allemand pour 11 personnes sur 14; quant à l’anglais, cela représente un obstacle moyen, important ou insurmontable pour 12 personnes. L’on aurait pu s’attendre à de meilleurs résultats, surtout en ce qui concerne l’anglais, puisque certaines disciplines ont une abondante littérature spécialisée en anglais, notamment les sciences. En biologie par exemple, si l’enseignement au niveau académique se fait en français, les étudiants se tournent facilement vers des livres en anglais, car plus récents et moins chers. De plus, à partir du niveau master, la lecture d’articles scientifiques en anglais est chose habituelle. L’aisance à l’oral pose un problème similaire puisque cela représente un obstacle insurmontable, important ou moyen en allemand pour la totalité des sondés ainsi qu’un problème important pour 5 personnes en anglais. Si seul un de ces aspects avait posé problème, l’on aurait pu imaginer que des cours ciblés puissent améliorer un peu la maîtrise de l’allemand ou de l’anglais; l’acquisition d’un jargon pouvant se faire relativement facilement du moment que l’on maîtrise bien la langue, l’effort à fournir pour être capable d’enseigner aurait été raisonnable.
Quel remède à la rareté des compétences linguistiques chez les enseignants ? Face à un si petit nombre d’enseignants pouvant réellement enseigner en langue étrangère, il serait peut-être judicieux d’envisager de proposer aux personnes se destinant à l’enseignement des formations universitaires spécifiques DNL + langue étrangère, notamment avec un volet sur la méthodologie du CLIL, dans l’idée de former directement des personnes à l’enseignement de type CLIL. Des formations complémentaires pourraient aussi être envisagées pour ceux qui enseignent déjà. Le rapport Eurydice 2006 (Oberheidt, Baidak & Garcia Minguez, 2006, pp 41-43) souligne que peu de pays exigent une certification complémentaire pour les enseignants pratiquant le CLIL, soit que ce type d’approche est peu répandu, soit qu’il est généralisé donc ne requérant rien de particulier, soit que les professeurs maîtrisent naturellement les deux langues dans les pays où les langues concernées sont la langue officielle et une langue régionale. Néanmoins, la France a mis sur pied en 2003 une certification pour « l’enseignement en langue étrangère d’une discipline non linguistique » et la Pologne exige des futurs enseignants qu’ils se spécialisent dans deux matières et que si la deuxième est une langue, ils atteignent le niveau C2 du Cadre européen commun de référence pour les langues, à savoir le niveau le plus élevé. Le rapport Eurydice 2006 (Oberheidt, Baidak & Garcia Minguez, 2006, p. 44) relève encore que ce type de mesures pourrait avoir son importance afin d’augmenter la capacité à offrir des enseignements de type CLIL. Cependant, dans le cadre qui est le nôtre et où l’enseignement en CLIL est quasi inexistant, une formation au niveau de l’université ne pourrait être mise sur pied que si le CLIL se développe, soit que des initiatives personnelles se multiplient dans les écoles, soit que cela procède d’une décision politique quant à la direction à donner à l’enseignement des langues.
L’intérêt envers le CLIL ne semble être corrélé ni à l’âge, ni au genre ou à la matière Dans l’idée de pouvoir éventuellement identifier des catégories d’enseignants qui seraient plus sensibles à l’approche CLIL et qui pourraient être approchés en priorité puis servir de relais dans leur établissement si la proposition de tester le CLIL était faite, il me semblait pertinent de chercher à savoir si le fait de trouver le CLIL intéressant et/ou d’être volontaire pour le tester était lié à des facteurs comme l’âge, les années d’expérience, le genre ou les disciplines enseignées. Même si le paramètre de l’âge et particulièrement le fait d’être âgé de 35 ans ou moins n’a pas d’impact positif sur la maîtrise des langues étrangères par rapport à des catégories d’âges supérieurs, il valait la peine de se pencher sur l’influence de l’âge sur l’intérêt envers le CLIL et la motivation à se porter volontaire. En effet, l’on pourrait imaginer que les plus jeunes soient plus enclins à tester de nouvelles méthodes parce que l’on est peut-être plus téméraire, idéaliste ou ouvert d’esprit dans sa jeunesse. On pourrait au contraire imaginer que les plus âgés, du fait de leur plus grande expérience d’enseignement et de vie, soient plus à l’aise et plus sereins pour se lancer dans quelque chose de nouveau ou pourquoi pas ravis de casser une routine bien établie.
Or, il semble que l’âge ne joue aucun rôle, car toutes les catégories d’âge sont représentées parmi les personnes trouvant le CLIL intéressant. Si l’on rétrécit ce sous-échantillon en ajoutant comme condition le fait de se porter volontaire, on obtient un mélange de trentenaires et de cinquantenaires. Le nombre d’années d’expérience ne paraît pas important non plus, car parmi les potentiels volontaires, on trouve aussi bien des personnes avec une expérience de moins d’un an, de huit ans ou de 29 ans. Cette variabilité dans les années d’expérience se retrouve d’ailleurs chez les enseignants ayant pris part à l’expérience d’enseignement bilingue en Valais francophone, puisque les années d’expérience s’échelonnaient de 3 ans à 34 ans (Demierre-Wagner & Schwob, 2004, p. 67). Il était intéressant de tenter de déterminer si l’intérêt exprimé ou non envers le CLIL variait en fonction du genre. Les hommes étant souvent vus comme plus proactifs, moins timorés que les femmes considérées comme plus réservées ou en retrait, il était tentant de regarder si les hommes se montraient plus partants pour se lancer dans quelque chose d’inédit. Le tableau 2 montre la répartition des enseignants intéressés ou pas intéressés par le CLIL selon leur genre. Il en ressort qu’environ 72% des enseignants intéressés sont des femmes (5 femmes sur 7 enseignants intéressés), ou autrement dit, que 62% des femmes sondées (5 sur 8) sont intéressées contre seulement 33% (2 sur 6) des hommes sondés. Peut-on pour autant déclarer que les femmes seraient de meilleures candidates à l’enseignement en CLIL parce que mieux représentées parmi les intéressés ?
1 Introduction |