Évolution de la perception de l’utilisation des
anticoagulants oraux directs en médecine générale
Les anticoagulants oraux directs (AOD) représentent une classe thérapeutique indispensable dans le traitement et la prévention de la maladie veineuse thromboembolique (MVTE) et la prévention des évènements emboliques dans la fibrillation atriale non valvulaire (FANV). Ces molécules, qui bénéficient actuellement d’une dizaine d’années de recul d’utilisation, ont bouleversé les pratiques quotidiennes et sont à l’origine d’une nouvelle ère dans la stratégie d’anticoagulation en France. On observe depuis quelques années une augmentation constante de leur prévalence d’utilisation (+ 360% entre 2012 et 2016 selon les données de l’Assurance maladie)(1). Les anti-vitamines K (AVK) étaient jusqu’à peu de temps la seule classe pharmacologique d’anticoagulant oral disponible. Outre leur gestion simplifiée par l’absence de surveillance biologique, les AOD permettraient une réduction des hémorragies les plus graves par rapport aux AVK et sembleraient présenter un rapport coût-efficacité favorable (2). Dès l’arrivée sur le marché des AOD, les médecins généralistes ont présenté une certaine méfiance vis à vis de ces molécules. Dans une enquête réalisée dans la région Provence-AlpesCôte-d’Azur (PACA) en 2014 sur la perception de l’utilisation des anticoagulants en médecine générale, seulement 40% des médecins généralistes préféraient les AOD aux AVK (3). Le manque de recul, le risque hémorragique et l’absence d’antidote ont été évoqués comme facteurs limitant leur utilisation. Par la suite, l’étude CACAO, étude de cohorte nationale menée par des médecins généralistes français et portant sur l’observation des anticoagulants oraux en soins primaires, a montré que les AOD étaient prescrits à un profil de patients plus jeunes, ayant une meilleure fonction rénale, plus autonomes dans la prise du traitement et à risque hémorragique plus faible (4). Après plus d’une décennie d’utilisation, la réalisation d’études de vraie vie, la mise à disposition de données de pharmacovigilance, l’apparition nouvelle sur le marché d’antidotes, l’adhésion des médecins généralistes devrait être meilleure à ce jour. L’objectif de cette étude est d’analyser l’évolution de la perception de l’utilisation des AOD en médecine générale par rapport à une étude réalisée en 2014 sur le même sujet (3) afin d’évaluer les pratiques en soins primaires et l’adhésion des médecins à ces molécules après plusieurs années de recul.
Principales caractéristiques des AOD
Les AOD inhibent de façon spécifique et réversible les facteurs de la coagulation activés. Il existe deux sous types : o Inhibiteurs sélectifs du facteur Xa ou « xabans » (rivaroxaban apixaban edoxaban) Ils n’ont pas d’effet direct sur l’agrégation plaquettaire. Ils inhibent de façon directe, réversible et hautement sélective le facteur Xa ce qui interrompt les voies intrinsèques et extrinsèques de la cascade de coagulation empêchant ainsi la formation de thrombine et le développement d’un thrombus (5). o Inhibiteur sélectif du facteur IIa (dabigatran) Le dabigatran est un inhibiteur direct puissant, compétitif et réversible de la thrombine ou facteur IIa. Il est administré sous forme de pro drogue, le dabigatran etexilate, qui une fois absorbé, est converti en dabigatran par hydrolyse catalysée par une estérase, dans le plasma et dans le foie (6)L’introduction d’un traitement par AOD nécessite un dosage de l’hémoglobine ainsi qu’une évaluation de la fonction hépatique et rénale afin d’exclure une contre-indication. En effet les AOD sont contre indiqués en cas d’insuffisance rénale terminale (ClCr < 15 ml/mn) pour les Anti-Xa et d’insuffisance rénale sévère (ClCr < 30ml/mn) pour l’Anti-IIa (7). Quant au suivi, l’utilisation des AOD ne nécessite pas de surveillance biologique en routine, contrairement aux AVK. Les tests d’hémostase courants (TCA, TQ) ne reflètent pas précisément le niveau d’anticoagulation (7). En cas de situation d’urgence comme une hémorragie active ou la prévision d’un acte invasif ou d’une chirurgie, il est néanmoins recommandé d’évaluer l’activité anticoagulante de l’AOD par le temps de thrombine dilué (dTT) ou le temps d’écarine (ECT) pour le dabigatran et par la mesure de l’activité Anti-Xa spécifique pour les xabans, exprimés en ng/ml (8). L’apparition récente des antidotes a conduit à repenser la stratégie de prise en charge des situations d’urgence chez les patients sous AOD. Il existe deux types d’antidotes, l’idarucizumab, antidote spécifique du dabigatran et l’andexanet, antidote spécifique des « xabans ». Actuellement, seul l’idarucizumab est commercialisé en France. Il est indiqué chez les patients adultes traités par dabigatran quand une correction rapide de l’effet anticoagulant est requise pour une procédure invasive urgente ou en cas de saignement incontrôlé ou menaçant le pronostic vital (8)
AOD et Maladie Veineuse thromboembolique
La maladie veineuse thromboembolique, due à la formation de thrombus dans la circulation veineuse peut se présenter sous deux formes : l’embolie pulmonaire (EP), la plus redoutée et la thrombose veineuse profonde (TVP). Sa prise en charge consiste à instaurer une anticoagulation de durée plus ou moins déterminée selon son caractère provoqué ou non. Seront traités ici les principaux AOD (rivaroxaban, apixaban, edoxaban et dabigatran) étudiés chez l’adulte, en dehors de la grossesse qui constitue une contre-indication à leur utilisation. La recherche est divisée en deux parties : – La phase de traitement qui comprend la phase initiale de J0 à J30 et la phase d’entretien de M1 à M3 ou M6. – La phase de prévention secondaire à partir de M3 ou M6 où il convient de décider de la poursuite ou non du traitement.
Phase de traitement o Essais randomisés
De 2008 à 2013, de nombreux essais cliniques randomisés ont été menés afin d’étudier l’efficacité et la sécurité des AOD par rapport aux AVK, traitement de référence dans la maladie veineuse thromboembolique (9–13). Les critères d’efficacité analysés dans les études étaient la survenue d’une récidive d’évènement thromboembolique (ETEV) ou d’un décès lié à un événement thromboembolique. Les critères de sécurité étaient la survenue d’une hémorragie majeure, non majeure cliniquement pertinente ou mineure. Il existait un critère de sécurité composite qui comprenait la survenue d’une hémorragie majeure ou non majeure cliniquement pertinente. Cette quantification du degré hémorragique était inspirée d’une classification provenant de la Société Internationale de Thrombose et d’Hémostase (ISTH) (14). Concernant l’efficacité des AOD, les résultats des essais cliniques de phase III ont confirmé la non-infériorité des AOD par rapport aux AVK sur la récidive des ETEV fatals ou non (Tableau A1 en annexe 1). Concernant l’innocuité des AOD par rapport aux AVK, il a été observé une 9 réduction relative significative des hémorragies majeures de 69% pour apixaban et 51% pour rivaroxaban (dans l’EP). Sur le critère de sécurité composite, il a été rapporté une réduction du risque relatif d’hémorragies pour apixaban, edoxaban et dabigatran, de 56%, 19% et 38% respectivement (Tableau A1 en annexe 1)
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