L’événement cardiaque mortel ou non mortel qui se produit pendant les heures de travail ou dans les 24 heures suivant une intervention d’urgence est considéré comme étant un événement cardiaque au travail chez les pompiers (Fahy et coll. 2018). Chez les pompiers américains, la cause de décès au travail la plus fréquente dans les dix dernières années est l’événement cardiaque, représentant 43% des 750 décès. De plus, pour chaque décès consécutif à un événement cardiaque, environ 17 à 25 événements cardiovasculaires (crise cardiaque et accident vasculaire cérébral) non mortels se produisent au travail chez les pompiers (Evarts et Molis 2018; Kales et Smith 2017). Plusieurs provinces, territoires et états américains ont récemment reconnu comme maladie professionnelle dans leur législation pour les pompiers les cas de lésions cardiaques survenant dans les 24 heures après une intervention d’urgence. Selon Guidotti (2016), ce délai de 24 heures est arbitraire et établi à des fins administratives. Au Québec, les événements cardiaques vécus au travail par les pompiers ne sont pas systématiquement répertoriés et ne sont pas considérés comme étant une maladie professionnelle par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST).
Causes des événements cardiaques au travail
Le risque d’événements cardiaques au travail chez les pompiers est influencé par deux causes principales : la première cause est la présence d’une maladie coronarienne, une cardiomégalie/hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) ou de dommages occasionnés antérieurement par un infarctus du myocarde (Smith et coll. 20 18a; 20 18b), la seconde étant la contrainte cardiovasculaire subie lors de la réalisation des tâches du métier (Smith et coll. 2016). Dans les sections qui suivent, ces deux causes seront abordées en détail. Il est important de prendre note qu’il est question d’hypertrophie cardiaque pathologique tout au long de cette thèse lorsqu’on parle de cardiomégalie/HVG.
Maladie coronarienne et cardiomégalie/hypertrophie ventriculaire
gauche
Dans 93% des cas de décès causés par un événement cardiaque recensés chez les pompiers américains, la maladie coronarienne ou la cardiomégalie/HVG est diagnostiquée lors de l’ autopsie (Smith et coll. 2018a; 2018b). En fait, dans 80 à 82% des cas, la maladie coronarienne et la cardiomégalielHVG sont conjointement présentes alors que, dans respectivement 5 à 8% et 6% des cas, une seule des deux est présente. De plus, dans 52% des cas, des dommages occasionnés par un infarctus précédent ont été observés (Smith et coll. 2018a). Ces derniers rapportent que la maladie coronarienne, la cardiomégalielHVG et un infarctus précédent sont d’excellents prédicteurs d’ événements cardiaques mortels au travail chez les pompiers, selon des probabilités respectives neuf (IC95% : 5,3 – 16,1), six (IC95% : 3,6 – 10,4) et six (IC95% : 3,4 – 11,3) fois plus élevées qu’en leur absence. Enfin, lorsqu’une sténose résultant d’une plaque d’athérosclérose a été antérieurement diagnostiquée dans une artère, le risque de subir un événement cardiaque mortel au travail est seize (IC95% : 3,5 – 68,6) fois plus élevé chez les pompiers de moins de 60 ans (Kales et coll. 2003) et sept (IC95% : 2,9 – 16,5) fois plus élevé chez les pompiers de moins de 45 ans (Yang et coll. 2013) et ce, indépendamment des autres facteurs de risque. Geibe et coll. (2008) rapportent aussi que le même risque est quatre (IC95% : 1,6 – 10,6) fois plus élevé lorsqu’une sténose résultant d’une plaque d’ athérosclérose a été diagnostiquée antérieurement dans une artère coronaire et ce, indépendamment encore des autres facteurs de risque. La prévalence d’une sténose résultant d’une plaque d’athérosclérose dans une artère coronaire diagnostiquée antérieurement est de 18% chez les pompiers ayant subi un événement cardiaque non mortel au travail (Geibe et coll. 2008) et de 26-31 % chez les pompiers décédés d’un événement cardiaque au travail (Geibe et coll. 2008; Kales et coll. 2003).
La maladie coronarienne se caractérise par la présence d’une plaque d’athérosclérose dans la paroi artérielle d’une artère coronaire constituée entre autres de lipoprotéines de basse densité (LDL-C), de radicaux libres, de molécules inflammatoires, de monocytes, de macrophages, de plaquettes sanguines et de cellules musculaires lisses (Mann et coll. 2014). À mesure que la plaque progresse, il en résulte une sténose qui peut limiter l’apport en oxygène au myocarde et provoquer une ischémie. De plus, l’érosion ou la rupture de la plaque d’athérosclérose peut mener à la formation d’un thrombus occlusif causant une ischémie complète et, par conséquent, un infarctus du myocarde .
Bien que la maladie coronarienne ait été diagnostiquée à l’ autopsie dans 87% des cas de décès par événement cardiaque au travail chez les pompiers, la présence d’un thrombus dans une artère coronaire n’a été rapportée que dans 16% des cas (Smith et coll. 2018a). Ceci suggère que la majorité des événements cardiaques mortels rapportés chez les pompiers ne sont pas causés par un infarctus du myocarde, mais probablement suite à une arythmie ventriculaire engendrée par une sténose coronarienne causant une ischémie aiguë ou par une perturbation de l’activité électrique cardiaque résultant de modifications structurelles du myocarde associées à une ischémie chronique (e.g. cardiomégalie/HVG) ou un infarctus précédent (Deo et Albert 2012). Cette hypothèse est crédible dans la mesure où une cardiomégalie/HVG et un infarctus précédent ont été rapportés dans respectivement 86-88 et 52% des cas (Smith et coll. 2018a; 2018b).
Facteurs de risque non spécifiques au métier de pompier
Plusieurs facteurs augmentent le risque de développer une maladie coronanenne et une cardiomégalielHVG. Dans cette section, il sera question de facteurs de risque qui ne sont pas spécifiques au métier de pompier.
Hypertension artérielle
L’hypertension artérielle (HTA) est un important facteur de nsque des MCV, telles l’athérosclérose et la cardiomégalie/HVG (Mann et coll. 2014). On considère qu’une personne souffre d ‘HT A lorsque sa pression artérielle de repos est supérieure ou égale à 140 mrnHg lors de la systole ou supérieure ou égale à 90 mrnHg lors de la diastole (Chobanian et coll. 2003). Plusieurs études ont mesuré la prévalence d ‘HT A chez des pompiers américains .
Dyslipidémie
La dyslipidémie se caractérise entre autres par une concentration plasmatique élevée en LDL-C et basse en lipoprotéines de haute densité (HDL-C). La dyslipidémie est considérée comme un facteur de risque des MCV lorsque la concentration plasmatique à jeun en lipoprotéines LDLC est supérieure ou égale à 130 mg/dL (3 ,37 mmol/L) ou est inférieure à 40 mg/dL (1,04 mmol/L) en HDL-C, ou supérieure ou égale à 200 mg/dL (5,18 mmol/L) en cholestérol total si les informations à propos du LDL-C et du HDL-C ne sont pas disponibles (NCEP 2002). Soteriades et coll. (2002), rapportent que 52% des 275 pompiers (incluant 4 pompières) ayant participé à leur étude ont une concentration plasmatique supérieure ou égale à 130 mg/dL en LDL-C. Une concentration plasmatique inférieure à 40 mg/dL en HDL-C a été observée chez 21 à 41 % des pompiers (Baur et coll. 2012b; Donovan et coll. 2009; Li et coll. 2017; Soteriades et coll. 2002; Soteriades et coll. 2005). Pour ce qui est du cholestérol total, 59 à 71 % des pompiers présentaient une concentration plasmatique supérieure ou égale à 200 mg/dL (Kales et coll. 2002; Kales et coll. 2003; Soteriades et coll. 2002; Soteriades et coll. 2005; Soteriades et coll. 2008).
Diabète de type 2
L’hyperglycémie associée au diabète de type 2 (DT2) contribue au développement d’ HTA et de dyslipidémie à cause de l’augmentation de la résistance à l’insuline et l’accumulation de produits de glycation avancée engendrant ainsi une augmentation de la lipémie, une augmentation du stress oxydatif, une augmentation de l’adhésion de molécules inflammatoires aux cellules endothéliales, une perturbation de la fonction endothéliale des artères et une augmentation du potentiel thrombotique (Mann et coll. 2014). Le DT2 est considéré comme un facteur de risque des MCV lorsque la glycémie à jeun est supérieure ou égale à 126 mg/dL (7 mmol/L) ou le taux d’hémoglobine glyquée supérieur ou égal à 6,5% (ADA 2017). Chez des pompiers américains, une prévalence de 1 à 3 % de DT2 a été rapportée (Baur et coll. 20 Il ; Kales et coll. 2003; Poston et coll. 2011a; Soteriades et coll. 2008). Les critères définissant le DT2 varient selon les études : glycémie àjeun 2: 126 mg/dL (7 mmol/L), glycémie àjeun 2: 150 mg/dL (8,3 mmol/L) ou prise de médication hypoglycémiante ou diagnostic médical. Par contre, on note une prévalence de 21 % chez les pompiers ayant subi un événement cardiaque non mortel au travail en présence d’une maladie coronarienne (Geibe et coll. 2008) et de 14% (Geibe et coll. 2008) et 21% (Kales et coll. 2003) chez les pompiers décédés d’un événement cardiaque au travail en présence d’une maladie coronarienne. Toutefois, le DT2 par lui-même n’est pas significativement corrélé à un risque plus élevé de subir un événement cardiaque fatal au travail chez les pompiers (Geibe et coll. 2008; Kales et coll. 2003; Yang et coll. 2013). L’élévation du risque associé au DT2 semble plutôt attribuable à ses effets sur l ‘HTA et la dyslipidémie (Soteriades et coll. 20 Il).
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