Evaluation systémique à l’échelle de la France

Evaluation systémique à l’échelle de la France

A l’échelle du système énergétique français, l’évaluation des procédés de thermoconversion de la biomasse nécessite de les situer par rapport à la question plus générale de l’optimisation de l’usage de ressources limitées, en particulier de la biomasse : c’est une ressource possible pour de nombreux services, énergétiques ou non, mais elle ne peut pas satisfaire quantitativement tous ces usages et il s’agit donc d’arbitrer entre eux. Or l’optimisation de l’usage de la biomasse lignocellulosique dans le système énergétique français futur dépend a priori de la configuration du système, les performances de la biomasse dans une affectation donnée ne pouvant s’apprécier que relativement à celles des énergies qu’elle substitue effectivement (cf. Figure 28). Pour répondre à cette question, la méthode suivante est développée et mise en œuvre. Plusieurs scénarios sont sélectionnés pour le système énergétique français (§1), d’aujourd’hui jusqu’à 2050, basés sur une même prospective économique, mais différenciés par les hypothèses économiques et techniques en matière de lutte contre les émissions de CO2 et conduisant ainsi à des états possibles du système contrastés. (On appelle « état du système » un ensemble de valeurs des variables de description du système pour une année, on appelle « scénario » une succession temporelle d’états du système obtenue par une simulation économique et on appelle « état de base » un état du système extrait d’un scénario i.e. obtenu par simulation économique.) Les différents états sont caractérisés par les services énergétiques rendus (chaleur, transport, électricité) et par les moyens mobilisés à cette fin (technologies et énergies primaires). A partir d’un état de base donné, les différents usages possibles de la biomasse sont ensuite évalués un à un (§2) en construisant pour chaque usage une variante physique du système où la biomasse est réaffectée à cet usage et où les autres énergies et technologies mobilisées sont ajustées pour compenser ce déplacement de la biomasse de manière à garder physiquement inchangés les services énergétiques rendus aux consommateurs finals. Les performances physiques des différentes variantes obtenues peuvent alors être comparées : – comparaison des performances des différents usages pour un même état de base (i.e. pour un même scénario), – comparaison des performances relatives d’un même usage pour les différents états de base (i.e. pour les différents scénarios). Les critères d’évaluation retenus sont notamment les émissions globales de CO2 et l’indépendance énergétique (cf. chapitre 1 et développements ci-après). Biomasse lignocellulosique Usages électriques spécifiques Transport Chaleur Ressources fossiles carbonées Autres ressources renouvelables Uranium Mix procédés Mix procédés Procédé 1 Procédé 2 Mix procédés Mix procédés Mix procédés Biomasse lignocellulosique Usages électriques spécifiques Transport Chaleur Ressources fossiles carbonées Autres ressources renouvelables Uranium Mix procédés Mix procédés Procédé 1 Procédé 2 Mix procédés Mix procédés Mix procédés Figure 28 : Schéma de la problématique d’optimisation de l’usage de la biomasse Evaluation systémique à l’échelle de la France 84 –1 Scénarios prospectifs pour le système énergétique français : des états contrastés La simulation de plusieurs scénarios avec le modèle POLES (§1.1) aboutit à des états de base contrastés (§1.3). Pour pouvoir les travailler i.e. en construire des variantes physiques en modifiant l’affectation de la biomasse, on est amené à construire une représentation calculable d’un état sous forme de bilan matriciel (§1.2). 

Construction de scénarios prospectifs pour le système énergétique mondial : le modèle POLES

POLES (Prospective OutLook on Energy System) est un modèle de simulation du système énergétique mondial, développé par le Laboratoire d’Economie de la Production et de l’Intégration Internationale [24], qui permet de simuler le système énergétique mondial jusqu’à 2050 (cet horizon a récemment été porté à 2100). C’est un modèle dynamique d’équilibre économique sectoriel, qui décrit le système énergétique mondial comme un ensemble de variables annuelles relatives aux consommations, productions, échanges et prix des énergies, depuis les énergies primaires jusqu’aux services énergétiques finals (chaleur, transport, électricité spécifique) en passant par la conversion des énergies primaires en d’autres vecteurs énergétiques (électricité, hydrogène). Les différentes variables de consommation et de production d’énergie sont désagrégées géographiquement : le monde est découpé en ~ 50 mailles représentant un pays ou une région (Union Européenne maillée par pays). De plus, les variables de consommation d’énergie sont désagrégées en ~ 20 secteurs, par type de consommateur et par technologie de consommation finale (par exemple : industries, services, secteur résidentiel, transports, parmi lesquels sont distingués les véhicules lourds et les véhicules légers, ainsi que les technologies motrices). Quant aux variables de production d’énergie, elles sont désagrégées en ~ 40 technologies différentes (par exemple : gaz ex déchets, carburant ex biomasse, hydrogène ex gaz naturel, électricité ex gaz ou uranium). Les valeurs des différentes variables pour les années passées sont enregistrées dans une base de données tenue à jour par la société ENERDATA [37], qui poursuit également le développement de POLES. Pour décrire l’évolution future du système énergétique mondial, les valeurs futures des différentes variables sont calculées pour chaque année n+1 en fonction des valeurs observées ou calculées pour l’année n et en fonction des différents changements qui affectent le système l’année n+1 par rapport à l’année n : – changements liés à des hypothèses exogènes sur l’évolution de la démographie dans chaque maille, ainsi que sur l’évolution de l’activité économique globale (produit intérieur brut) dans chaque maille, – changements liés à l’évolution des réserves en énergies épuisables (notamment pétrole, gaz et charbon), compte tenu d’hypothèses sur l’évolution des découvertes et des techniques de récupération, – changements liés à l’évolution des technologies de l’énergie i.e. progrès des technologies identifiées (compte tenu de l’inertie des systèmes énergétiques, les technologies potentiellement significatives pour les 40 prochaines années, c’est-à-dire jusqu’à l’horizon 2050, sont supposées être déjà identifiées) : le modèle incorpore des courbes d’apprentissage à 2 facteurs, « learning by searching » et « by doing », qui relient le coût d’une technologie par unité de production à l’effort de recherche et développement et à la capacité totale installée, permettant ainsi d’endogénéiser en partie le progrès technique. Ces changements d’une année par rapport à la précédente transforment le système par propagation en chaînes, via l’ensemble des relations entre les différentes variables : il s’agit typiquement d’équations de conservation et d’équations de réponse variationnelle, caractérisées par des taux de réponse variationnelle, ou élasticités, dont les valeurs résultent d’observations passées (cf. Figure 29). Ainsi, POLES modélise les interactions demande-offre entre les acteurs économiques des marchés énergétiques, en intégrant la concurrence entre les différentes technologies et l’évolution de leur compétitivité relative, mais également les stratégies de certains acteurs (par exemple : Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole), ou les arbitrages politiques (par exemple : choix de l’Allemagne de sortir du nucléaire). Pour modéliser la lutte contre les changements climatiques par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, POLES introduit une pénalisation économique des émissions de CO2 associées aux différentes énergies. Cette taxe appliquée mondialement, en impactant le prix relatif des énergies, agit sur l’équilibre demande-offre et sur la compétitivité des différentes technologies, parmi lesquelles celles de capture et stockage de CO2. A un profil temporel d’implantation progressive d’une taxe carbone mondiale, POLES fait ainsi correspondre un scénario pour le système énergétique mondial et le profil temporel des émissions de CO2 associées, auxquelles sont ajoutées les émissions de gaz à effet de serre des autres activités émettrices (cimenteries…). POLES permet alors de construire « à l’envers », par itérations successives, le profil temporel de taxe carbone dont l’implantation produit un profil temporel donné d’émissions de gaz à effet de serre, ou scénario d’émission. A chaque scénario d’émission correspond ainsi un scénario pour le système énergétique mondial.  

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