Évaluation du risque cardiovasculaire
Les maladies cardiovasculaires demeurent l’une des principales causes de mortalité. Mondialement, elles sont la cause de 30 % des décès et leurs coûts étaient estimés à 863 milliards de dollars en 2010 (185). L’évaluation du risque cardiovasculaire au moyen d’outils simple permet d’identifier les patients les plus à risque dans le but de mettre en place des traitements préventifs efficaces. Il est utile d’identifier les patients à haut risque puisque ceux-ci comptent pour une importante portion des cas incidents de maladie cardiovasculaire (186). Ce chapitre portera donc sur l’évaluation du risque cardiovasculaire. Plusieurs facteurs de risque, traditionnels ou non-traditionnels, sont liés au développement des maladies cardiovasculaires, ces dernières étant le résultat de l’interaction complexe de multiples causes sur de nombreuses années (187). L’évaluation du risque cardiovasculaire est en émergence. C’est un concept important en clinique puisque de nombreux individus avec un faible risque cardiovasculaire à court terme peuvent avoir un haut risque à long terme (188). Dans l’étude de Framingham, en prenant les individus âgés de 50 ans et plus qui n’avaient aucune maladie cardiovasculaire, il a été démontré que l’absence de facteur de risque à cet âge procurait un faible risque de développer une maladie cardiovasculaire au courant de la vie et une survie médiane nettement plus longue (189). Toutefois, l’inverse est tout aussi vrai. Plus de facteurs de risque non maîtrisés sont présents chez un individu donné, plus le risque cardiovasculaire est élevé. La présence de diabète chez les individus sans maladie cardiovasculaire âgé de plus de 50 ans est le facteur de risque qui augmente le plus le risque cardiovasculaire à vie avec un risque à vie de maladie cardiovasculaire de 67,1 % et de 57,3 % pour les hommes et les femmes diabétiques respectivement (189). Un risque à vie de 39 % est considéré comme élevé (189). Les score de Reynold’s (190, 191), de QRISK (192), d’ASSIGN (193), de PROCAM (194), de SCORE (195), de Framingham (196, 197) et l’âge cardiovasculaire (198) sont tous des scores de risques utilisés dans la littérature afin d’évaluer le risque cardiovasculaire. Récemment, le « Pooled cohort risk equation » a également été développé en jumelant plusieurs grandes études de cohorte (199) et permet de calculer le risque à vie de maladies cardiovasculaires. L’évaluation du risque cardiovasculaire est plus valide lorsque l’outil utilisé correspond à la population chez laquelle il a été développé (200). Le score découlant du calcul du risque selon Framingham ou selon l’âge cardiovasculaire, (en anglais : «CLEM : Cardiovascular life expectancy Évaluation du risque cardiovasculaire 63 model» ou «HEART AGE») sont les 2 seuls validés pour la population canadienne (201) et seront donc les deux modèles discutés plus en profondeur dans ce chapitre.
Obésité et risque cardiovasculaire
L’obésité est un facteur de risque indépendant de maladies cardiovasculaires (202). Plusieurs études ont documenté l’obésité comme un prédicteur indépendant de maladies cardiovasculaires (117). Par ailleurs, l’IMC > 36 kg/m2 chez l’homme et > 40 kg/m2 chez la femme est associé à une augmentation de la mortalité (202) mais cette association diminue avec l’âge (202). En somme, l’association entre l’obésité et le risque cardiovasculaire est bien connue (203). Chez les patients obèses, le risque de maladies cardiovasculaires dépend du nombre d’années où la personne a été obèse et du degré d’obésité (203). La meilleure façon de prédire le risque de maladie cardiovasculaire est en incluant dans un même modèle à la fois la durée et la sévérité de l’obésité (203). Récemment, il a été rapporté que les patients obèses sévères, candidats pour une chirurgie bariatrique, sans maladie cardiovasculaire et avec un faible risque cardiovasculaire (< 10 %) à 10 ans, avaient tout de même un risque cardiovasculaire à vie qui était élevée (≥ 39 %) (204). Suivant une chirurgie bariatrique de type dérivation gastrique Roux-en-Y, les individus de 50 ans et plus avec au moins un facteur de risque de maladies cardiovasculaires avaient un risque cardiovasculaire à vie entre 39 à 70 % malgré un risque à 10 ans < 10 % (188). Par ailleurs, la chirurgie bariatrique de type dérivation gastrique Roux-en-Y était associée à une diminution du score de Framingham à 12 mois suivant la chirurgie contrairement à des témoins obèses sévères pour lesquels il n’y a pas de changement de poids (205).
Score de risque de Framingham (SRF)
L’étude de Framingham est une étude prospective de 5209 hommes et femmes adultes de la ville de Framingham qui n’avait pas d’évidence de maladies cardiovasculaires au début de l’étude. Cette cohorte a été évaluée tous les deux ans depuis 1948 (196). Avec l’étude de Framingham, il a été proposé que d’utiliser un seul facteur de risque pour évaluer le risque de maladies cardiovasculaires était insuffisant et que la méthode la plus sensible et 64 la plus efficiente était de regrouper les principaux facteurs de risque contribuant aux maladies cardiovasculaires dans un score global (196). Le score de Framingham a donc été développé à partir de cette étude populationnelle qui s’est déroulé dans la ville de Framingham au Massachusetts (187). Le score de risque de Framingham a été largement validé (197) et permet de prédire le risque d’évènements coronariens, d’AVC ou d’ischémie transitoire aiguë (201). Il est bien établi et permet au clinicien de calculer la probabilité d’avoir un évènement cardiovasculaire dans les 10 prochaines années en fonction des facteurs de risque suivants : sexe, âge, cholestérol total, HDL, tension artérielle systolique, l’usage d’un traitement antihypertenseur, le statut tabagique et la présence de diabète (198). Un risque de Framingham < 10 %, entre 10 à 19 % et ≥ 20 % est respectivement considéré arbitrairement comme faible, intermédiaire et élevé (168). Au Canada, selon un sondage auprès des médecins en 1ère ligne, le score de Framingham est l’outil le plus utilisé (69 % des répondants) pour évaluer le risque cardiovasculaire et par conséquent, pour la prise de décision quant à l’initiation d’un traitement en prévention primaire (206). Des lacunes dans la compréhension et dans l’utilisation de ce modèle persistent toutefois au niveau des médecins en 1ère ligne (206). Quant au score de PROCAM et au score Reynolds, ils sont utilisés de façon négligeable (1,5 %) (206). Aux États-Unis, selon un sondage auprès des médecins, la plupart (80 % des répondants) reconnaissent l’importance de l’évaluation du risque cardiovasculaire, mais seulement 41 % l’utilisent en pratique (207), principalement (69%) pour guider la prescription de médication hypolipémiante (207). Malgré la recommandation d’évaluer le risque cardiovasculaire dans de nombreux guides de pratique (192), plusieurs barrières subsistent quant à l’utilisation du calcul du risque cardiovasculaire chez les professionnels de la santé (208). Le risque d’évènements cardiovasculaires, tel qu’estimé par le score de Framingham, est doublé en présence d’antécédents familiaux d’évènements cardiovasculaires précoces (206) ce qui correspond au score de Framingham modifié. Toutefois, le score de Framingham n’est pas validé chez les 75 ans et plus (201) et a été critiqué notamment en lien avec une sous-estimation du risque cardiovasculaire pour certains groupes de patients notamment pour les femmes et certains groupes ethniques (206). De plus, comparativement au risque à vie, le risque de Framingham ne permet pas d’identifier des patients asymptomatiques qui ont un faible risque à court terme, mais qui pourrait bénéficier d’un traitement en prévention primaire notamment la prise d’une statine (200). Les dernières lignes directrices canadiennes se basent sur le calcul du risque de Framingham pour 65 l’initiation d’un traitement hypolipémiant ainsi que les cibles de traitement une fois celui-ci instauré (168). 3
Score de Framingham et obésité
Bien que le score de Framingham ne soit pas spécifiquement validé pour une population obèse, il s’agit d’un outil qui peut résumer les changements dans les multiples facteurs de risque pour un même patient au fil du temps (209). Son utilité pour déterminer l’initiation ou non d’un traitement est donc discutable. Or, son usage comme outil pour motiver le patient à initier un changement des habitudes de vie et pour suivre l’évolution des facteurs de risque peut être intéressant en première ligne. Très peu d’études ont évalué le risque de Framingham dans un contexte d’obésité sévère, mais dans ces quelques études, l’exercice permettait une diminution du risque (210, 211).