Evaluation de l’efficacité des injections intramusculaires de toxine botulique
Définition, étiologies, diagnostics différentiels
Le syndrome du muscle piriforme (SMP) est une pathologie neuromusculaire responsable d’une douleur de type sciatique à point de départ fessier. La sciatique est un symptôme commun, avec une incidence au cours de la vie variant de 12,2 à 44 % (1). L’étiologie la plus fréquente est la hernie discale. Les causes extra-rachidiennes de sciatique sont sous diagnostiquées dans la mesure où les examens diagnostiques de routine se concentrent sur l’exploration du rachis lombaire (2). Le SMP serait une cause extrarachidienne de sciatique, estimé comme étant à l’origine de 6 à 8 % des sciatiques aux USA (3). Yeoman est le 1er à avoir évoqué le rôle du muscle piriforme dans la douleur sciatique en 1928 (4). Dès 1947, Robinson nomme cette entité clinique « syndrome du pyramidal » (5). Pourtant, en l’absence de consensus concernant les critères cliniques et paracliniques permettant d’affirmer son diagnostic, le SMP est une entité dont l’existence est toujours discutée à ce jour (6). Ce syndrome reste par ailleurs encore mal expliqué sur le plan physiopathologique. Des études le décrivent comme un syndrome myofascial douloureux lié à une contracture musculaire chronique (7,8). Cependant, l’hypothèse la plus souvent retenue dans la littérature récente est celle d’un syndrome canalaire, par compression du nerf sciatique par le muscle piriforme (9,10) En effet, le nerf sciatique et le muscle piriforme présentent des rapports étroits. Le muscle piriforme prend son origine sur la face ventro-latérale du sacrum, quitte le pelvis en passant sous la grande incisure ischiatique, traverse la région glutéale pour se terminer sur le bord antéro-supérieur du grand trochanter. Lors de son passage sous la grande incisure ischiatique, il délimite, avec le ligament sacro-épineux qui lui est sous-jacent, le foramen infra-piriforme, dans lequel chemine le nerf sciatique (3,9) (Figure 1 et 2). Si la cause de compression du nerf sciatique au niveau du foramen infra-piriforme est parfois clairement identifiable, notamment sur les examens d’imagerie (lésion tumorale, post traumatique, inflammatoire, infectieuse, variante d’insertion ou hypertrophie du muscle piriforme) (11), dans de nombreux cas, aucune anomalie morphologique musculaire ou nerveuse n’est retrouvée. Contrairement à ce qui avait été envisagé par Beaton et Anson en 1937, les variantes anatomiques des rapports entre le muscle piriforme et le nerf sciatique (12) ne semblent pas être une explication physiopathologique satisfaisante, car retrouvées en proportion égales dans des populations asymptomatiques et symptomatiques (13). Le SMP reste donc souvent un diagnostic d’exclusion, après élimination d’autres pathologies pouvant entraîner une compression du nerf sciatique. Les diagnostics différentiels sont cependant nombreux et parfois difficiles à établir en raison de similitudes dans leur présentation clinique, l’imagerie ne permettant pas toujours non plus d’identifier la lésion causale. Les étiologies de compression extra-rachidiennes du nerf sciatique ne se limitent pas au SMP. Il faut tout d’abord considérer la possibilité d’une compression ou irritation du nerf sciatique par un syndrome de masse pelvien (11) ou par une atteinte de l’articulation sacro-iliaque homolatérale. Par ailleurs, le SMP appartient à un cadre nosologique plus large qu’est le syndrome glutéal profond, comprenant toutes les étiologies de compression ou irritation du nerf sciatique au sein de l’espace sous glutéal (14,15). De part sa localisation, le nerf sciatique peut en effet se retrouver comprimé par le muscle piriforme, mais aussi par le complexe musculaire qui lui est directement sous-jacent, formé par le muscle obturateur interne et les muscles jumeaux. Le nerf sciatique peut également se retrouver comprimé plus en distalité, en raison d’un conflit ischio-fémoral, dans le cadre d’un « hamstring syndrome » ou d’un syndrome de contracture des muscles glutétaux. Pour finir, la mobilité du nerf sciatique peut être compromise du fait de l’existence de bandes fibreuses ou fibro vasculaires, une étiologie fréquente de syndrome glutéal profond.
Prise en charge thérapeutique
La compréhension partielle des mécanismes physiopathologiques sous-jacents au SMP et les difficultés rencontrées pour en établir le diagnostic formel ne permettent pas l’émergence d’un consensus sur sa prise en charge thérapeutique. Celle ci est initialement conservative, faisant généralement appel à des traitements médicamenteux (antalgiques) et à la rééducation. Dans les cas résistants, une injection locale de corticoïdes accompagnée d’un anesthésique local, voir une chirurgie de désinsertion du muscle piriforme, peuvent être pratiquées (16–18). 3 L’utilisation de la toxine botulique A (TBA) (16,17,19–25), et plus marginalement de la toxine botulique B (26,27), injectée au sein du muscle piriforme via différents moyens de repérage (électromyographique, échographique, fluoroscopique, scannographique), se généralise en raison du recul sur son efficacité et de sa sécurité d’emploi dans différentes pathologies impliquant une hypertonie musculaire focale (25,28). En effet, la TBA, un des 7 sérotypes de la neurotoxine produite par Clostridium Botulinium, permet d’induire une paralysie musculaire en se liant de façon irréversible aux terminaisons nerveuses pré-synaptiques au niveau de la jonction neuro-musculaire, inhibant ainsi la recapture de l’acetylcholine (19,22,25).
Objectif
Les études portant sur l’utilisation de la TBA dans le SMP, bien qu’encourageantes, restent de faible puissance et nécessitent d’être corroborées par des travaux similaires, notamment portant sur l’utilisation du scanner comme outil de guidage, celui-ci offrant une visualisation optimale du site d’injection, en raison d’un contraste adéquat au niveau des tissus mous permettant l’individualisation des différentes structures (muscles, nerfs, vaisseaux). Cette étude évalue l’efficacité et la sécurité d’emploi d’une injection de TBA au sein du muscle piriforme sous guidage scanner chez des patients souffrant du SMP.
Sélection des patients
Cette étude rétrospective monocentrique a été conduite au sein du centre hospitalouniversitaire Sainte Marguerite à Marseille. Tous les patients consécutifs ayant bénéficié d’une 1ere injection scannoguidée de TBA au sein du muscle piriforme entre le 14 octobre 2014 et le 6 mai 2021 au centre hospitalier Sainte Marguerite étaient identifiés via le système d’information radiologique (Xplore) par une recherche utilisant plusieurs mots clés entrés simultanément (« botulique » ou « botox » ou « xeomin » et « piriforme ») puis inclus dans l’étude. Le seul critère d’exclusion était l’absence de suivi clinique post-injection disponible.
Protocole d’injection
Les injections de toxine botulique sous guidage scanner étaient réalisées par un radiologue senior spécialisé en ostéo-articulaire. Après information du patient et recueil de son consentement oral, celui-ci était installé sur la table du scanner en décubitus ventral. Une première acquisition hélicoïdale était réalisée sur l’ensemble du pelvis pour localiser le muscle piriforme et vérifier l’absence d’autre processus pathologique loco-régional. En conditions d’asepsie, une anesthésie locale à la lidocaïne était d’abord réalisée au niveau du tissu sous cutané. Une aiguille de 22G était ensuite introduite au niveau de la fesse, avec un trajet vertical descendant, jusqu’au sein du muscle piriforme, sous guidage scanner. 1mL de produit de contraste iodé était dans la majorité des cas injecté pour vérifier le bon positionnement de la pointe de l’aiguille et le volume de distribution. La toxine botulique, préalablement stockée au réfrigérateur, était ensuite préparée en introduisant puis en mélangeant 2mL de sérum physiologique dans le flacon (BOTOX® ou XEOMIN® ). 100UI de toxine botulique étaient ensuite injectés au sein du muscle piriforme. L’intervention se terminait par une acquisition scanner de contrôle pour vérifier l’absence de complication immédiate (Figure 3).
Recueil de données
Les données cliniques et démographiques des patients étaient relevées de façon rétrospective via leur dossier clinique informatisé ainsi qu’un questionnaire téléphonique, après obtention de leur consentement oral. Celui-ci portait sur leurs antécédents, l’historique et les caractéristiques de leur douleur, et son évolution après traitement. L’évolution de la douleur était évaluée par une échelle numérique (EN), après en avoir expliqué le fonctionnement, via les quatre questions suivantes : -A combien évaluiez-vous votre douleur, sur une échelle de 0 à 10, avant la 1ere injection de toxine botulique ? -Au bout de combien de temps après la 1ere injection de toxine botulique aviez-vous commencé à ressentir un soulagement de votre douleur ? -A combien évaluiez-vous votre douleur, sur une échelle de 0 à 10, au moment où vous étiez le plus soulagé ? -Vos douleurs ont-elles à nouveau augmenté par la suite, et si oui, au bout de combien de temps après la 1ere injection de toxine botulique ? Pour chaque patient, le retentissement des douleurs sur la qualité de vie était évalué via la limitation des activités sportives et professionnelles, avant et après la 1ere injection de toxine botulique. En cas d’injections ultérieures de toxine botulique, les mêmes questions étaient posées pour chaque nouvelle injection. 4. Analyses statistiques Les analyses statistiques ont été effectuées avec le logiciel SAS V9.2. Les valeurs catégorielles sont présentées sous forme d’effectifs et de pourcentages (%). Les variables quantitatives sont présentées sous forme de médiane [Q1= 1er quartile ; Q3 = 3e quartile]. Les scores de douleur ont été comparés en utilisant le test non paramétrique de Wilcoxon. Les caractéristiques initiales de la population à l’étude ont été comparées en utilisant le test exact de Fisher. La valeur-p est considérée comme significative si inférieure à 0,05.