Évaluation de l’activité cytotoxique des extraits, fractions et composés isolés

Les Polyporaceae

Les Champignons, du latin Fungi, sont des organismes pluricellulaires maintenant considérés comme un règne au niveau taxonomique, ce qui n’a pas toujours été le cas (Després 2008). Il y a une quarantaine d’années, on les retrouvait plutôt comme un sous-ensemble du règne végétal, considérés à l’époque comme des plantes non vasculaires ne produisant pas de chlorophylle, faute de meilleur classement (Jean 2008). En effet, on leur attribuait des propriétés semblables aux cryptogames, végétaux sans fleur et dont les organes reproducteurs, les spores, sont généralement difficiles à voir (Lebrun et Guérineau 1988). On compte au-delà de 150 000 espèces de champignons, mais seulement une fraction est observable à l’oeil nu étant donné que la grande majorité se présente sous forme microscopique (Lebrun et Guérineau 1988).

Au Québec, ce ne sont pas moins de 2 000 espèces charnues, ou macromycètes, qui peuvent être observées et une grande partie de ceux-ci sont comestibles (Lebrun et Guérineau 1988). La famille des Polyporaceae est constituée en grande partie de champignons ayant la capacité de décomposer le bois ou d’agents pathogènes arboricoles (Kim et Jung 2002). Cette famille est considérée comme un regroupement d’espèces n’ayant pas été assignées à une famille et une très grande variété de caractéristiques microscopiques et macroscopiques y est donc observée (fructification, hyménophores, mycélium, etc.) (Kim et Jung 2002). Plusieurs chercheurs ont tenté d’éclaircir la confusion qui régnait au sein de cette famille. Par exemple, Ryvarden (Ryvarden, 1991) a proposé une approche de classification taxonomique de type cladistique. Celle-ci considère tous les membres d’une famille, aussi différents soient-ils, comme découlant d’un ancêtre commun et partageant donc des caractéristiques mycologiques semblables. Comme le démontre le tableau 1, ce type de classement permet le rapprochement de plusieurs espèces de champignons comme faisant partie des Polyporaceae (Kim et Jung 2002).

Le genre Pycnoporus et l’espèce P. cinnabarinus Le genre Pycnoporus fait partie du phylum Basidiomycota, dans la classe des basidiomycètes, qui appartiennent à la famille des Polyporaceae (De Oliveira et al. 2007; Téllez-Téllez et al. 2016). Le genre Trametes présente des caractéristiques morphologiques semblables, la seule différence étant la couleur des basidiocarpes (Téllez-Téllez et al. 2016). Les polypores sont des champignons sans lame, mais plutôt constitués de tubes, inséparables de la chair, se terminant par de petits orifices (pores) que l’on peut apercevoir à l’oeil nu ou à l’aide d’une loupe (Lebrun et Guérineau 1988; Després 2008). Le terme Pycnoporus découle de la combinaison des mots « pycno », qui signifie dense, et « porus », qui réfère aux pores. On attribue donc aux champignons de ce genre une densité élevée de pores à leur surface. Trois espèces appartiennent au genre Pycnoporus : Pycnoporus sanguineus (L.) Murril, P. cinnabarinus (Jacq.) P. Karst. et P. coccineus (Fr.) Bondartsev. & Singer (Ryvarden et Johansen 1980; Gilbertson et Ryvarden 1987; Téllez-Téllez et al. 2016).

Des preuves morphologiques et génétiques suffisantes ont effectivement entériné la validité de ces trois espèces (Nobles et Frew 1962). Dans certains ouvrages, on mentionne une quatrième espèce, Pycnoporus puniceus (Fr.) Ryvarden, mais la littérature à ce sujet est plutôt rare (Ryvarden et Johansen 1980; Gilbertson et Ryvarden 1987). Les quatre espèces ont toutefois pu être différenciées dans le passé en fonction de leurs caractéristiques morphologiques (forme du basiodiocarpe et grosseur des pores) et de leur répartition géographique (Nobles et Frew 1962; Ryvarden et Johansen 1980). À l’échelle mondiale, en fonction des dépôts de spécimens dans les collections à travers le monde, l’espèce la plus étudiée est P. sanguineus suivie de P. cinnabarinus, P. coccineus et P. puniceus. Tel qu’il le sera énoncé, celles-ci sont très proches en apparence (Eggert 1997) et présentent des caractéristiques mycologiques semblables. Caractéristiques mycologiques Les trois espèces principales faisant partie du genre Pycnoporus (tableau 2) ont des caractéristiques mycologiques assez semblables, ce qui rend parfois leur identification difficile. L’endroit de la récolte donne toutefois de précieuses informations permettant de distinguer ces trois espèces. Typiquement, celles-ci produisent des carpophores vifs, de couleur rouge-orangé à cinabre caractéristique, flabelliformes, c’est-à-dire en forme d’éventail, et poussant horizontalement sur leur hôte (figure 2) (Correa et al. 2006; De Oliveira et al. 2007). La couleur du basidiocarpe, ou carpophore, peut toutefois prendre des couleurs allant de l’orange au rouge en passant par le rouge-brun en certaines occasions (Basar 2007). Le chapeau du champignon ainsi que les pores sont également de couleur orange-rouge (Schatz et al. 1956). De manière générale, les espèces P. cinnabarinus et sanguineus sont matures en été et en automne (Schatz et al. 1956), mais on peut les retrouver en toutes saisons. Les espèces du genre Pycnoporus ne sont pas comestibles (McNeil 2007).

Pour ce qui est de P. cinnabarinus, Polyporus cinnabarinus ou tramète cinabre, c’est un champignon poreux non comestible de forme semi-circulaire et présentant un corps fructifère d’une largeur de 2 à 10 cm, de 2 à 6 cm en surplomb et de 1 à 2 cm d’épaisseur (McNeil 2007). Sa surface piléique, ou son chapeau, est plane ou légèrement convexe, mate, de couleur orange ou rougeâtre et peut présenter des bosses, des excroissances ou un léger velours (McNeil 2007). Ses tubes, ou pores, sont d’une longueur allant de 4 à 6 mm, parfois en deux à trois couches sous forme de strates. Une densité d’environ 4 à 6 pores par millimètre est retrouvée dans un système anguleux, dans des couleurs allant de l’orange au rouge-orangé (McNeil 2007). Sa chair est de couleur orange ou rouge-orangé caractéristique (Dias et Urban 2009), et on pourrait qualifier sa texture de liégeuse (figure 3, gauche). La couleur est la plus intense pendant la croissance du fruit (Téllez-Téllez et al. 2016). Généralement, on retrouve une épaisseur allant de 0,5 à 1,5 cm pour les spécimens de P. cinnabarinus (McNeil 2007). La sporée, soit l’ensemble des spores que l’on peut retrouver sous son chapeau, est blanche (McNeil 2007). P. cinnabarinus est généralement retrouvé en spécimen isolé ou par groupe de deux à trois chapeaux soudés latéralement sur l’hôte (figure 3, droite). Il croît préférentiellement sur des souches, chicots ou tronc renversés (McNeil 2007), majoritairement de feuillus, sur lesquels il cause de la pourriture blanche. Ses essences de prédilection pour croître sont le bouleau, le sorbier, l’aulne, le noisetier, le frêne, le pommier, le peuplier, le saule, le chêne et les espèces du genre Prunus (prunier, cerisier, pêchier, etc.) (Téllez-Téllez et al. 2016). On le retrouve rarement sur des espèces de conifères et il est souvent présent sur du bois mort (Lepp 2013).

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Les trois espèces du genre Pycnoporus (cinnabarinus, sanguineus et coccineus) jouent un rôle dans la décomposition du bois mort (De Oliveira et al. 2007). De manière générale, les champignons de la division des basidiomycètes dégradent la lignine du bois pour produire une matière blanchâtre enrichie en cellulose : la pourriture blanche (Martìnez et al. 2005). C’est pourquoi on les appelle champignons de pourriture blanche (Correa et al. 2006), par comparaison aux champignons de pourriture brune ou molle. En effet, les “white-rot fungi » sont les seuls champignons capables de dégrader la lignine en milieu naturel de façon efficace et sélective (Geng et al. 2004; Martìnez et al. 2005) ou de manière simultanée, avec la cellulose (Martìnez et al. 2005). P. cinnabarinus est effectivement un champignon lignivore, ou détritivore, c’est-à-dire qu’il décompose la cellulose, l’hémicellulose ainsi que la lignine de son hôte (Díaz-Godínez et al. 2016). C’est pourquoi on le retrouve en grande partie sur des matériaux lignocellulosiques comme du bois mort ou en décomposition ou des déchets forestiers et agricoles (Díaz-Godínez et al. 2016). Le bois colonisé par P. cinnabarinus présente l’apparence typique de la pourriture blanche (Temp et Eggert 1999), c’est-à-dire qu’il est mou, spongieux et de couleur blanche ou jaune. Ce champignon est un modèle intéressant pour l’étude de ce phénomène, étant donné son système lignolytique simple (Geng et al. 2004).

• Plusieurs enzymes connues sous le nom de laccases peuvent être produites par les espèces du genre Pycnoporus, soient P. cinnabarinus, P. sanguineus et P. coccineus (Oda et al. 1991; Esposito et al. 1993). En effet, les trois membres du genre sont reconnus pour être de prodigieux producteurs de ces enzymes oxydantes (Le Roes-Hill et al. 2009). En plus d’une chaîne protéique multi-cuivré, celles-ci sont également constituées d’une section saccharidique (Claus 2004). Les laccases appartiennent à la catégorie d’enzymes oxydases contenant des centres cuivre (Eggert 1997). Les laccases présentes dans P. cinnabarinus sont impliquées dans la biosynthèse de l’acide cinnabarinique (Eggert et al. 1995; Eggert 1997). Elles catalysent effectivement la réaction de condensation, ou dimérisation oxydative, de l’acide 3-hydroxyanthranlique (3-HAA) pour former cette phénoxazone (Eggert 1997; Le Roes-Hill et al. 2009). Elles permettent également la dégradation de la lignine par P. cinnabarinus et sont les seules phénoloxidases présentes (Temp et Eggert 1999). Utilisations De façon ancestrale, vers le 19ème siècle, les aborigènes du désert d’Australie utilisaient les espèces du genre Pycnoporus pour traiter plusieurs afflictions buccales.

On pense notamment à des maux de bouches, candidoses buccales infantiles, ulcères ou directement sur les lèvres endolories ou comme anneau de dentition pour soulager les douleurs liées à la pousse des dents (Lepp 2013). P. sanguineus était également utilisé en médecine populaire par les tribus indigènes des Amériques et d’Afrique, où on lui attribuait des vertus dans le traitement de nombreuses maladies (Smânia et al. 1995; Smânia Jr et al. 2003). Certaines communautés campagnardes de l’état de Santa Catarina, dans le sud du Brésil, ont également rapporté l’utilisation de cette espèce pour soulager certaines lésions cutanées (Smânia et al. 1995). De façon plus actuelle, on utilise les espèces du genre Pycnoporus, dans plusieurs industries (Basar 2007). En effet, les laccases produites par ces champignons sont utilisées dans le secteur des pâtes et papiers, du textile et de l’alimentaire. Elles sont impliquées dans les processus de décoloration ou de détoxification de certains procédés (Couto et Herrera 2006; Riva 2006). Les laccases, seules phénoloxidases présentes dans P. cinnabarinus, permettent la dégradation efficace de la cellulose, l’hémicellulose ainsi que la lignine (Temp et Eggert 1999; Geng et al. 2004; Kües et Rühl 2011). De plus, cette espèce produit le métabolite 3-HAA ayant un rôle de médiateur dans le processus d’oxydation de substrats non phénoliques par les laccases (Eggert et al. 1997).

Table des matières

Remerciements
Table des matières
Abréviations
Liste des figures
Liste des tableaux
Chapitre I. Introduction
Mise en contexte
Problématique
Objectif général
Objectifs spécifiques
Structure du mémoire
Chapitre II. Revue de littérature
A. Pycnoporus cinnabarinus
Les Polyporaceae
Le genre Pycnoporus et l’espèce P. cinnabarinus
B. Aspect synthèse pour la préparation des phénoxazones
Chapitre III. Matériel et méthodes
A. Matériel
B. Méthodes
Extraction des composés actifs
Travaux de fractionnement et d’isolation sur l’extrait hydroéthanolique de P. cinnabarinus
Travaux de fractionnement et d’isolation d’un second extrait hydroéthanolique de P. cinnabarinus
Évaluation de l’activité cytotoxique des extraits, fractions et composés isolés
Synthèse de l’acide cinnabarinique
Réaction de phénoxazones avec le chlorure de fluorénylméthoxycarbonyle
Chapitre IV. Résultats et discussions
A. Rendements et activités anticancéreuses des extraits de P. cinnabarinus
B. Fractionnement et identification des composés responsables de l’activité cytotoxique de extrait hydroéthanolique de P. cinnabarinus
C. Synthèse
Chapitre V. Conclusions et perspectives
Références
Annexe 1. Revue de littérature : L’acide cinnabarinique – activités biologiques et dérivés connus
Annexe 2. Voie hypothétique de synthèse de la cinnabarine et autres phénoxazones
Annexe 3. Spectres RMN

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