Dans un contexte où les principaux acteurs sur le plan de l’utilisation de l’eau (villes, industries, agriculteurs, etc.) se tournent de plus en plus vers l’eau souterraine, il est nécessaire de bien caractériser cette ressource en quantifiant la recharge des aquifères. Cette recharge, définie comme étant la quantité d’eau qui atteint la nappe phréatique par infiltration (Freeze & Cherry, 1979), peut être évaluée avec différentes approches, mais il est généralement recommandé d’utiliser plusieurs méthodes à la fois afin d’augmenter la validité des résultats obtenus, considérant les incertitudes reliées à chacune de ces méthodes (Scanlon, Healy, & Cook, 2002).
Un producteur de bleuets sauvages de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, au Québec, Canada, souhaite irriguer une de ses bleuetières à partir de la ressource en eau souterraine. Sa bleuetière est localisée sur l’aquifère de Saint-Honoré dont l’eau souterraine est actuellement exploitée à des fins de production d’eau potable par la ville de Saint-Honoré et par la Mine Niobec. Puisque le système d’irrigation représente un investissement important pour le producteur de bleuets, il est approprié d’évaluer d’abord la recharge de l’aquifère de Saint-Honoré afin d’en assurer une gestion et une exploitation durables.
L’aquifère de Saint-Honoré est localisé sur le bassin versant de la rivière Caribou, au nord de la rivière Saguenay qui en est l’exutoire. Le bassin versant, d’une superficie de 120 km², est principalement recouvert de forêt et le sol est majoritairement composé d’un dépôt deltaïque de sable fin à moyen présentant des traces de silt. Ce dépôt repose soit sur une mince couche d’argile ou de till ou directement sur le socle cristallin précambrien (Tremblay, 2005).
L’aquifère de Saint-Honoré ayant fait l’objet de recherches en eau par le passé, autant par la municipalité de Saint-Honoré (LaboratoiresSL, 2000) que par la mine Niobec (Qualitas, 2010), plusieurs puits d’observation y sont présents, et des données de caractérisation des propriétés hydrauliques de l’aquifère sont disponibles. Dans le cadre de cette étude, six de ces puits d’observation ont pu être équipés de capteurs de pression afin d’enregistrer les fluctuations du niveau de la nappe. Ces six puits, ont été sélectionnés en fonction des critères suivants :
▪ hors de la zone d’influence des puits de pompage de la municipalité et de la mine Niobec ;
▪ bonne répartition spatiale sur l’aquifère ;
▪ en bon état (pas de vandalisme, pas de particules dans le puits pouvant l’obstruer, etc.).
Les modèles numériques de bassin versant peuvent être classés selon le niveau de détail de leur représentation de l’espace, allant de globale à distribuée, et de leur représentation des processus du cycle de l’eau, allant de conceptuelle à physique (Devia, Ganasri, & Dwarakish, 2015). Les modèles globaux, tels que MOHYSE (V. Fortin & Turcotte, 2007) et GR4J (Perrin, Michel, & Andréassian, 2003), représentent le bassin versant comme un tout alors que les modèles distribués, tels que HYDROTEL (J. P. Fortin et al., 2001) et CEQUEAU (Morin & Paquet, 1995), discrétisent l’espace en plusieurs portions, soit des mailles régulières suivant une certaine résolution ou soit des unités hydrologiques relativement homogènes. Les modèles conceptuels tels que MOHYSE (V. Fortin & Turcotte, 2007) s’appuient sur des relations empiriques et simples alors que les modèles physiques tels que MIKESHE (DHI, 2017) s’appuient sur des connaissances approfondies des processus physiques qui interagissent sur les données d’entrée pour produire les résultats attendus. Parmi les modèles physiques distribués existants, quelques-uns tiennent compte des interactions entre l’eau souterraine et l’eau de surface.
Parmi toutes les méthodes utilisées pour évaluer la recharge des aquifères, les modèles numériques de bassin versant prenant en compte les interactions entre l’eau souterraine et l’eau de surface sont les plus complexes (Doble & Crosbie, 2016). Ils présentent des avantages tels que la possibilité d’être calibrés sur différents types d’observations et une meilleure capacité de simulation à l’extérieur des conditions de calibration, mais le principal désavantage de ces modèles réside dans le temps de calcul qu’ils peuvent nécessiter. Ils requièrent aussi des chroniques d’observations pour un très grand nombre de variables, et ces observations ne sont pas toutes communes. Pour cette raison, ils sont plus souvent utilisés pour des bassins versants de faibles superficies. Par exemple, Sciuto et Diekkrüger (2010) ont utilisé le modèle HydroGeoSphere (Therrien & Sudicky, 1996) sur un très petit bassin versant de 0.27 km2 en Allemagne pour évaluer l’impact de la variabilité des propriétés hydrauliques du sol sur le bilan hydrique. Par contre, Chemingui, Sulis et Paniconi (2015) ont utilisé le modèle CATHY (Camporese, Paniconi, Putti, & Orlandini, 2010) pour évaluer la recharge d’un bassin versant ayant une grande superficie (690 km2 ) et ont obtenu des résultats comparables à ceux obtenus avec des méthodes d’analyse des fluctuations du niveau de la nappe et de séparation d’hydrogramme.
Le modèle numérique choisi pour cette étude est WaSiM (Schulla, 2015), un modèle physique distribué qui prend en compte les interactions entre l’eau de surface et l’eau souterraine. Il est beaucoup utilisé dans le cadre de recherches caractérisant l’impact des changements climatiques sur les ressources hydriques (ex. Gadeke, Holzel, Koch, Pohle, & Grunewald, 2014; Jasper, Calanca, Gyalistras, & Fuhrer, 2004; Natkhin, Steidl, Dietrich, Dannowski, & Lischeid, 2012) ou encore l’impact des changements d’occupation du territoire sur ces mêmes ressources hydriques (ex. Bormann, Breuer, Graff, & Huisman, 2007; Richter et al., 2015). Cependant, peu de chercheurs se sont intéressés à caractériser la recharge à l’aide de WaSiM. C’est toutefois le cas de Bakundukize, Van Camp et Walraevens (2011) qui ont évalué la recharge pour la région de Bugesera au Burundi, en Afrique, à l’aide du modèle WaSiM. Chemingui, Jarraya-Horriche et Paniconi (2013) ont également utilisé WaSiM pour évaluer la recharge mais cette fois pour le bassin versant Chiba, en Tunisie.
Bien que WaSiM soit en développement depuis les années 1990, il n’est pas encore beaucoup utilisé en Amérique du Nord. Parmi les quelques chercheurs qui l’ont fait, on retrouve Novotna, van Bochove et Theriault (2014) qui l’ont utilisé sur un petit bassin versant agricole de la rivière du Bras d’Henri au Québec afin d’évaluer les impacts des changements climatiques sur la qualité de l’eau dans un cadre de gestion agricole intensive. On retrouve également le grand projet ClimEx (Ludwig et al., 2018) qui cherche à caractériser les impacts des changements climatiques et de la variabilité naturelle du climat sur les événements hydrologiques extrêmes au Québec, au Canada, et en Bavière, en Allemagne.
ans un autre ordre d’idées, le bassin versant de la rivière Caribou n’est pas jaugé. Le transfert de débit est une pratique de plus en plus commune pour remédier à cette situation, dans un contexte où il y a peu de stations de jaugeage au Québec. Plusieurs études s’intéressent à cette problématique (Hrachowitz et al., 2013). Il existe des méthodes basées sur la proximité physique entre les bassins versants donneurs et receveurs (Lebecherel, Andréassian, & Perrin, 2016; ex. Patil & Stieglitz, 2012) et d’autres basées sur la similarité entre les bassins donneurs et receveurs (Auerbach et al., 2016; ex. Hall & Minns, 1999; Razavi & Coulibaly, 2013). Une étude menée par (Patil & Stieglitz, 2012) a démontré que la proximité des stations de jaugeage avec le bassin non jaugé ne garantit pas une bonne prédictibilité des débits, mais peut s’avérer utile à l’intérieur d’une même région hydrographique.
CHAPITRE 1 INTRODUCTION |