Evaluation de la fluoroacidité en milieux de sels fondus
Influence sur la pression de vapeur saturante
De par les phénomènes associatifs qu’elle engendre, la fluoroacidité influence également les pressions de vapeur saturante (tensions de vapeur) des mélanges de fluorures fondus. Comme présenté en introduction de ce chapitre, la nature du mélange de sels fondus déplace l’équilibre entre le tétrafluoroborate de potassium BF4 – en solution et le trifluorure de bore gazeux (BF4 – (sol)/BF3(g)). La stabilité en solution est alors directement reliée à la pression de vapeur saturante : plus l’élément est stable en solution, plus sa pression de vapeur saturante est faible. Des études de mélanges à base de BeF2 et ZrF4 avec des fluorures alcalins (RbF, KF, NaF et LiF) [56-59], ainsi que des mélanges chlorures à base de gallium , ont démontré que les composés Zr4+ , Be2+ et Ga3+ sont des acides de Lewis susceptibles d’accepter des électrons d’une base de Lewis (F- et Cl- ). Tel que représenté sur la figure I.10, le béryllium est hybridé sp avec deux orbitales p vacantes susceptibles d’accepter deux doublets électrons de la part de deux bases F- , formant ainsi l’espèce BeF4
Stable en solution pour satisfaire l’hybridation sp3
Figure I.10 : Complexation du fluorure de béryllium La complexation de ces espèces par les fluorures libres accroit leur stabilité en solution (solvatation) et diminue par conséquent leur pression de vapeur saturante. L’étude de l’influence de la nature du fluorure d’alcalin sur les pressions de vapeur saturante a montré que plus le numéro atomique de l’alcalin est élevé (Cs > Rb > K > Na > Li), plus cet élément est fluorodonneur (fluorobasique) et stabilise les espèces en solution. L’effet de la composition du mélange de fluorures alcalins-BeF2 ou alcalins-ZrF4 sur la pression de vapeur saturante est présenté en Figure I.11. Figure I.11 : Variation des pressions de vapeurs saturantes de mélanges fluorures alcalins–ZrF4 à 900°C La diminution de la pression de vapeur saturante quand la teneur en fluorures d’alcalins augmente est attribuée à la complexation des ions béryllium ou zirconium par les fluorures libres. Cette diminution de la tension de vapeur s’accompagne également d’un changement de composition de la vapeur tel que présenté à la figure I.12. Figure I.12 : Variation de la composition et des pressions de vapeurs saturantes de mélanges fluorures alcalins–BeF2 à 900°C. La figure I.12 montre que lorsque la teneur du mélange de sels est riche en fluorure alcalin, la vapeur est principalement composée du fluorure alcalin. Pour des compositions intermédiaires, la vapeur est composée d’un complexe entre le fluorure alcalin et le cation en présence. Enfin, pour les systèmes à faibles teneurs en fluorure alcalin, la vapeur est composée majoritairement du fluorure du cation du mélange. Gilbert et al. se sont intéressés au comportement des bains cryolithiques avec ajouts de MgF2 ou de CaF2 (deux additifs du procédé Hall-Héroult). Ils ont observé que l’ajout de MgF2 entraine une légère augmentation de la pression de vapeur saturante du mélange, alors que CaF2 la diminue. Ces auteurs ont montré par spectroscopie Raman que CaF2 adopte un comportement basique, en entrainant l’augmentation de la teneur en fluorures libres dans le milieu et stabilisant ainsi les espèces AlF4 – en AlF5 en solution ; alors que MgF2 adopte un comportement acide fort en se complexant sous la forme tétraédrique MgF4 2-, défavorisant la stabilité des complexes fluorés d’aluminium en solution. III.4. Influence sur la solubilité La fluoroacidité affecte la capacité du sel à solubiliser d’autres espèces, la solubilisation pouvant se faire suivant les deux processus que sont la dissociation (équation I.14) et la complexation (équation I.15): – MFx → Mx+ + xF- Equation I.14 – MFx + yF- → MFx+y y- Equation I.15 Dans la majorité des cas, la dissolution d’espèces conduit à la formation de complexes anioniques (équation I.15). La solubilité dépend alors de la formation de ces complexes et varie avec la fluoroacidité du milieu. Dans les années 1950, le Laboratoire National d’Oak Ridge (ORNL) a étudié l’influence de la nature et de la composition de sels à base de BeF2-LiF et/ou NaF, et l’effet d’ajouts de CeF3, BaF2 ou ThF4 sur la solubilité du trifluorure de plutonium PuF3. La figure I.13 présente la solubilité de PuF3 dans les mélanges LiF-BeF2 et NaF-BeF2 en fonction de leur composition. Figure I.13 :Solubilité de PuF3 dans des mélanges LiF-BeF2 et NaF-BeF2 à 565°C [62] Il apparait que plus le mélange à base de BeF2 est riche en fluorures alcalins (LiF ou NaF), plus PuF3 est soluble. En effet, les fluorures alcalins sont reconnus pour être des composés fluorobasiques pouvant libérer des ions F- , solubilisant et stabilisant le trifluorure de plutonium sous la forme d’un complexe PuF3+x x- . La solubilité minimale est obtenue aux compositions eutectiques LiF-BeF2 63-37%mol. et NaF-BeF2 57-43%mol. De plus, les courbes montrent une augmentation de la solubilité de PuF3 quand la teneur en BeF2 augmente : le plutonium doit alors se solubiliser sous une autre forme dans ce milieu moins riche en fluorureslibres [63]. L’influence de la présence de composés susceptibles d’accepter des F- libres sur la solubilité de PuF3 dans LiF-BeF2 est montrée à la figure I.14. Figure I.14 : Influence de la présence de composés fluoroacides sur la solubilité de PuF3 dans LiF-BeF2 (63-37%mol.) [62] On remarque que l’ajout d’autres solutés fluorés semble entrainer une compétition avec PuF3 afin d’accepter les F- libres disponibles, diminuant la solubilité de ce dernier. En effet, plus le rapport CeF3/PuF3 augmente, plus la solubilité du PuF3 diminue. L’ajout de BaF2 (fluorobase faible selon Dewing [22]) diminue également la solubilité du trifluorure de plutonium : il se peut alors que cet élément ne soit pas une fluorobase faible mais plutôt, par extension de la notion d’acidité en solution aqueuse, une espèce amphotère. Enfin, l’ajout de ThF4 semble avoir une faible influence sur la solubilité. L’ORNL a également étudié la solubilisation du trifluorure de cérium dans des mélanges à base de fluorures alcalins et de fluorure de béryllium. La solubilité de CeF3 augmente dans les mélanges selon l’ordre suivant pour une température donnée : LiF-BeF2 < LiF-NaF-BeF2 < NaF-BeF2 [61]. Cette étude démontre que la quantité de fluorures libres dans ces solvants augmente dans le même ordre. L’ensemble de ces recherches permet de conclure que plus le mélange de fluorures fondus est fluorodonneur (fluorobasique), plus l’élément est complexé (i.e. stabilisé) et donc plus facilement solubilisé, et enfin que NaF est plus fluorodonneur (fluorobasique) que LiF. Remarque : il convient de noter la différence de comportement vis-à-vis de la complexation (ou coordination) des éléments constitutifs du solvant et des solutés. Une diminution de l’acidité entraine une diminution du nombre de coordination des cations du solvant, alors que cette même diminution d’acidité facilite la mise en solution par complexation des solutés, signifiant ainsi une augmentation de la coordination des solutés. IV. Influence de la fluoroacidité sur le potentiel d’un couple électrochimique L’influence de l’acidité sur les propriétés physico-chimiques des fluorures fondus a été démontrée précédemment. Dans le cadre du développement de procédés électrochimiques, la fluoroacidité engendre également des modifications du système électrochimique (e.g. potentiels de couples redox) qui sont à l’heure actuelle ni mesurables, ni quantifiables, de par l’absence d’électrode de référence de potentiel fixe en fluorures fondus. En effet, la multiplicité des solvants et la gamme de température très étendue de ces sels, n’ont pas permis la mise en place d’une électrode de référence universelle. Les mesures électrochimiques sont alors relatives à un solvant.
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