EUSTATHE DE THESSALONIQUE, PREFACE DES COMMENTAIRES A L’ILIADE ET AU 1ER CHANT

EUSTATHE DE THESSALONIQUE, PREFACE DES
COMMENTAIRES A L’ILIADE ET AU 1ER CHANT

LA QUERELLE DES CITES GRECQUES

Aux sept villes grecques, Smyrne, Chios, Colophon, Salamine, Ios, Argos, et Athènes qui réclamaient la gloire d’avoir donné naissance à Homère, Eustathe, quoiqu’il en nomme six, ajoute deux pays: l’Egypte et l’Italie.

L’Egypte et l’Italie

Nombreuses sont les allusions faites à l’Egypte dans l’Iliade et dans l’Odyssée. Et cela prouve non pas seulement la profondeur des connaissances homériques relatives au pays des Pharaons, mais aussi la multiplicité de ses voyages. Par exemple, l’Egypte occupe une place remarquable dans l’Odyssée.130 L’idée d’un Homère citoyen du monde, notamment d’Egypte ou d’Ios, Eustathe la empruntée à l’orateur latin friand des questions homériques, Cicéron, qui l’a lui-même prise d’Aulu-Gelle et d’Aristote qui n’ont jamais cessé de s’interroger sur le poète et sa poésie. En revanche, en pensant qu’un homme comme Homère peut incontestablement être nationalisé Egyptien ou Italien, Eustathe sous-entend la notion de rhapsode, d’aède, de 128. Eustathe, Préface des commentaires à l’Iliade, Tome I, Ed Rom., p.4, 4-23. 129. Don Antoine Joseph Pernety, Fables Egyptiennes et Grecques, Tome I, p. 524. 130. Homère, Odyssée XIV, 240-285 où Ulysse raconte son passage en Egypte: Je restai là sept ans, dit-il, amassant de grands biens ; tous me faisaient des dons chez ces peuples d’Egypte. 73 récitant voyageur qu’est le Mélésigène que l’amour de la poésie a réussi à transporter dans d’autres terres, à la découverte d’autres cultures et d’autres poésies.131 Un auteur comme Jean Tzètzès adhère entièrement à ce point de vue. D’ailleurs, c’est de lui que nous tenons l’idée que l’Egypte est en amont et en aval dans la formation des idées du poète. En effet, il semble qu’Homère, en marchant dans le sillage de Kadmos132 son ancêtre spirituel, s’était rendu en Egypte pour s’abreuver aux sources limpides de la sagesse. Il était muni des connaissances qu’il avait apprises de son maître, Pronapide, disciple de Linos luimême élève de Kadmos,. D’autres auteurs soutiennent la thèse que le poète est né à Thèbes en Egypte et que son père, Ménémachos était un prêtre de ce pays. Pour certains, Homère serait originaire de Lucanie, contrée sud de l’Italie. Pour d’autres, il serait citoyen romain. Preuve en est la présence de mœurs romaines que le poète a décrites dans sa poésie. Par exemple le fait de céder la place à son supérieur ou encore le jeu de jetons. En un mot, on a là les caractéristiques initiales de la nature du cosmopolitisme grec qui, de notre point de vue, commence d’abord avec les aèdes avant de se limiter dans le temps. Mais, quoi qu’on dise, il s’agissait plus d’un cosmopolitisme culturel que géographique ou économique, comme ce fut le cas avec les sophistes, Alexandre et tant d’autres. A côté de l’Egypte et de l’Italie133chacune des autres cités susnommées avançait une raison bien particulière pour être rétablie dans le droit de se proclamer patrie d’Homère. 

Athènes et Colophon

Athènes le revendiquait pour le simple prétexte qu’elle était la capitale politique et économique des Smyrniens. Et, dit-on, le fait qu’un grand nombre d’Athéniens participa à la fondation de Cyme, ville natale de Crétheis, la mère du poète avait amené ce dernier à se conformer à leur goût. 131. Alexis Piéron, Histoire de la littérature grecque, Paris, Hachette et Cie, 1863, p. 62. Le véritable Homère avait beaucoup voyagé et beaucoup vu. 132 . Cf. Jean Tzètzès, Prolégomènes aux allégories d’Homère, v. 68-76. 133.Homère, Odyssée, XIII-XV, texte établi et traduit par Victor Bérard, Paris, « Les Belles Lettres »,1963. Note 187. L’Odyssée ne nous présente que quelques points géographiques de l’Italie comme Monte Circeo, l’île de la magicienne Circé, à l’ouest de la péninsule. Il n’ y a cependant aucune mention des origines d’Homère, qui puisse justifier l’opinion d’Eustathe. 74 A côté d’elle, Colophon prétendait avoir reçu Homère des Smyrniens qui lui en firent don, tel un butin acquis à la guerre, d’oùqui signifie otage.134 En effet, l’onomastique du nom, pour certains, à l’idée d’otage, laquelle constitue pour les Babyloniens et les Colophoniens la preuve de l’appartenance de l’aède à leur cité. Pour Eustathe, cependant, c’est       comme si, selon la métathèse,  était passé à  ou bien que du fait de cette cécité, devenu Homère, nous savions quels hommes étaient donnés en esclavage en vue de la paix135 . Cette idée tend à faire du chantre grec une rançon offerte en vue de la paix dans une guerre, un conflit que l’histoire ignore. C’est tout ce que le Byzantin tente d’exprimer dans l’étymologie du nom d’Homère, . 3. La ville de Chios Chios a vu prospérer l’école des Rhapsodes homérides, comme a su le noter Eustathe en citant Pindare. Ce qui est vrai, c’est que Simonide a nommé Homère l’homme de Chios, mais qu’Homère lui-même, dans l’Hymne à Apollon Délien, se prend pour l’homme aveugle qui habite à Chios, la ville montagneuse136 .C’est l’avis d’Eustathe qui affirme:    134. Lucien de Samosate, Histoire vraie, II, 20, défend l’idée qu’Homère est un babylonien pris en otage par les Grecs, d’où , c’est-à-dire l’otage.  Comme beaucoup d’Homère, d’autres ont rapporté la même chose par écrit, à savoir que ce dernier s’est ainsi présenté, ou qu’il a été appelé de ce nom parce qu’il était un aveugle. De même, la présence à Chios de la célèbre école des Homérides, par ailleurs descendants d’Homère, spirituels pour les uns et biologiques pour les autres, renforce la conviction que le poète y a vécu, de même, Smyrne détenait la preuve de ses réclamations. 4. Smyrne et Ios Dans la ville de Smyrne était bâti un temple à la glorieuse mémoire du poète. C’était une façon très implicite de lui faire le fils en donnant un sens à la parole de Méonide selon laquelle Homère est l’homme de Smyrne, le fils de la cité entourée par le Mélès ; d’où son nom, Mélésigène, c’est- à -dire l’enfant né du Mélès. Il est donc clair qu’après Chios, Smyrne était la seule cité grecque qui fût capable et digne d’être reconnue comme patrie de l’aède. C’est ce que comprit Jean Tzètzès qui, en expliquant l’Iliade à la reine Irène Comnène, lui fit, en citant les villes qui le revendiquaient, cette exhortation : En ce qui te concerne, retiens qu’Homère est originaire de Smyrne138 . Ce qui reste jusqu’ici probable. Quant à l’île d’Ios, aux dires d’Aristote, elle revendique le poète parce que sa mère, comme le prétendait la Pythie de Delphes, y a vu le jour. De fait, ces prétentions semblent être dues à l’ingéniosité du poète qui, au cours de ses voyages à travers les villes de la Grèce, lui ont valu d’être cité comme citoyen honoris causa 139 par toutes. Mais il importe d’éclaircir la pensée d’Eustathe en lien avec les mœurs grecques de l’époque d’Homère. Dans l’idée qu’Homère s’est présenté comme aveugle, il est tentant de lire une conception purement socioculturelle connue des Grecs et d’autres peuples. C’est le  symbolisme qui entoure la poésie et les poètes, du moins certains hommes. Lat Dior Ngoné Latyr Diop, roi du Cayor140, bien voyant, s’était appelé çilmaxa, l’ignorant, le non-initié à la vérité divine. C’est dire qu’il ne percevait pas les choses d’un œil symbolique, c’est-à-dire divinement. 5. Le véritable Homère On a remarqué que toutes les cités qui revendiquent le poète se fondent sur son état physique qui demeure pour un grand nombre d’interprètes un trait du symbolisme poétique des Grecs pour lequel les poètes sont aveugles devant les vérités de ce monde matériel .De là l’idée qu’ils sont inspirés par les dieux qui leur révèlent les essences du monde des Idées. C’est ce que mettent en exergue ces trois vers iambiques supposés être d’Archiloque:       A Colophon vint un chantre vieux et divin, Serviteur des Muses et d’Apollon l’archer, Qui, entre ses mains, tenait sa lyre harmonieuse . Que le poète se soit présenté comme tel ne signifie donc pas, à examiner les mots d’Eustathe, qu’il ait été réellement aveugle, qu’il n’ait pas l’usage de ses yeux. Cela semble vouloir dire que poète, il incarnait le divin. Et comme, selon l’optique grecque, les aveugles qui ne peuvent voir les réalités terrestres sont renseignés sur celles d’en haut, la cécité d’Homère dont on n’a aucune preuve peut, dès lors, être perçue comme une simple transposition métaphorique de la conception métaphysique des Grecs sur l’aède en général. La mention de la lyre d’Apollon exprime implicitement ce point de vue. Tel est l’art poétique d’Homère dont les harmonies sont d’origine divine, c’est-à-dire les effets de la lyre d’Apollon qu’il a empruntée au point de lui être assimilé comme poète divin  d’après certains penseurs . La lyre est donc le symbole143 du don poétique que chaque poète reçoit d’Apollon, dieu des arts, inspirateur du langage divin et premier des poètes. Comment ne pas penser au célèbre chanteur sérère, Mbissane Diagne qui était aveugle. Son Riti145 en main, Mbissane dont certain disait qu’il chantait sous l’inspiration d’un djinn, parcourait le Sine-Saloum pour livrer aux familles qui l’invitaient les leçons d’histoire et de sagesse que son djinn lui avait enseignées. On l’appelait, la hache virile, Baax gor le, en sérère, parce qu’il savait, par son verbe, porter une sorte de coup de hache magique à son public et sans le rater, lui fouetter le sang et susciter son désir de confirmer ses origines historiques et sa personnalité grâce à la vitalité de ses hymnes et litanies sous le charme desquels il tombait. Ce chantre sérère notait surtout, à l’image de la hache qui les définissait, la vaillance des hommes de la brousse qui l’écoutaient en saison sèche. D’où l’expression métonymique hache virile, car Mbissane était au cœur du sine le motif culturel par lequel les hommes se sentaient réellement viriles; du moins la cause de véritables sensations de virilité chez les sérères de son époque. On dira en plus que, dans les sociétés antiques civilisées, la cécité était synonyme d’une présence matérielle de l’inspiration divine en l’homme. Il est possible qu’Homère ait été ce type d’aveugle qui savait voir et contempler l’invisible par le dépassement du visible . 

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Table des matières

INTRODUCTION
I-PROBLEMATIQUE DE LA TRADUCTION
II-PARYROLOGIE DES COMMENTAIRES
III-LES SOURCES D’EUSTATHE
IV- BIOGRAPHIE D’EUSTATHE
V- L’ŒUVRE D’EUSTATHE
VI- LES OBJECTIFS D’EUSTATHE
I- L’intérêt des Préfaces
II- Les textes d’Eustathe
III- Le contexte des textes
VII-LA RHETORIQUE D’EUSTATHE
I- La langue d’Eustathe
II- Le style d’Eustathe
TRADUCTION
COMMENTAIRE
PREMIERE PARTIE : PRESENTATION D’HOMERE PAR EUSTATHE
CHAPITRE I : LES ORIGINES D’HOMERE
I- LA QUERELLE DES CITES
II- NEGATION DE L’EXISTENCE D’HOMERE
III- DEFENSE DE L’EXISTENCE D’HOMERE
CHAPITRE II : HOMERE ET LES POETES
I- LES POETES ANTERIEURS A HOMERE
II- LES SUCCESSEURS D’HOMERE
CHAPITRE III : L’UNIVERSALITE D’HOMERE
I- HOMERE, LE POETE PAR EXCELLENCE
II HOMERE LE SAVANT
DEUXIEME PARTIE : PRESENTATION DE L’ILIADE PAR EUSTATHE
CHAPITRE I : LES FAITS LAISSES PAR HOMER
I- LES FAITS ANTERIEURS A LA GUERRE
II-LES FAITS POSTERIEURS A LA GUERRE
CHAPITRE II : L’ILIADE ŒUVRE LITTERAIRE
I -ETUDE ANALYTIQUE DU TITRE ILIADE
II- L’Iliade œuvre dramatique
III- LA SOUFFRANCE HUMAINE : HOMERE ET LES TRAGIQUES
CHAPITRE III : L’ILIADE ET L’EDUCATION
I- HOMERE ET LE MONDE HELLENE
II- L’ENSEIGNEMENT GENERAL
III- LA FORMATION MORALE DANS L’ILIADE
IV-LA FORMATION MORALE DANS L’ODYSSEE
TROISIEME PARTIE : EUSTATHE ET LA MATIERE POETIQUE D’HOMERE
CHAPITRE I: LA MYTHOLOGIE
I- Mythe et Histoire
II- Mythe et allégorie
CHAPITRE II : L’EPOPEE HOMERIQUE
I- L’INVENTION EPIQUE ET LA LEGENDE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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