Étudier un terrain peuplé de nombreux actants

Étudier un terrain peuplé de nombreux actants

Un objet d’étude qui s’inscrit dans des politiques publiques en évolution et en tension

Ce projet s’inscrit dans un contexte global de réorganisation de la gouvernance publique, et plus particulièrement territoriale. En effet, depuis la fin des années 1960, l’exercice du pouvoir par un État fort est de plus en plus remis en question, car considéré comme manifestant un « totalitarisme archaïque » (Lardon, Tonneau, Raymond, Chia & Caron, 2008), qui le rendrait menaçant pour les libertés individuelles, arbitraire, rigide et économiquement inefficace (de Man, 2011 ; Esman, 1988). La mise en cause de ce modèle de gouvernement accompagne la montée, depuis les années 1970, au niveau européen des idées dites « libérales », favorable à la régulation par le marché (Desrosières, 2008; Supiot, 2015) et au niveau français d’un processus de décentralisation engagée dans les années 1980. Appliquée au domaine de la gestion publique, ces idées y introduisent des méthodes issues du management privé (Theys, 2002; Boussard, 2008). Les principes de gestion qui la fondent insistent sur le caractère rationnel et innovant que doivent avoir les politiques publiques et sur les justifications qui doivent être apportées au plan de leur consommation économe de ressources humaines et budgétaires. Dans ce contexte de rationalisation des politiques publiques et de gouvernance, a émergé l’idée, à partir des années 1970, d’accompagner les politiques publiques d’instruments de mesure et d’évaluation (Balestrat, 2011; Sénécal, 2007) afin de justifier de l’efficacité, de la rationalité et des impacts des politiques mises en œuvre. Cette production renouvelée d’instruments et de données a, aussi, été suscitée et favorisée par des processus de rationalisation des méthodes organisationnelles, notamment au travers des normes (ISO 9000), et par différentes directives, notamment la directive INSPIRE 2007/2/CE (Infrastructure for Spatial Information in the European Community). Cette rationalisation des politiques publiques s’accompagne de l’émergence de nouveaux enjeux (environnement, urbanisation) ou la réorientation d’enjeux plus anciens (santé, agriculture) (Lascoumes & Simard, 2011, 1). Ceci est particulièrement vrai dans le contexte de l’aménagement des territoires, où les acteurs se doivent conduire et concilier des politiques plurielles, complexes et parfois contradictoires. Ces acteurs pris dans des injonctions paradoxales (de Gaulejac & Hanique, 2015) se doivent d’arbitrer notamment les conflits quant à l’usage des sols. Aujourd’hui, les deux tiers de la population méditerranéenne vivent en zone urbaine (Balestrat, 2011). L’accroissement de la taille des villes se fait alors souvent aux dépens des espaces naturels et agricoles, en particulier dans les espaces périurbains et les plaines littorales. Cette urbanisation amène à repenser les relations entre la ville et la campagne, notamment la place de l’agriculture par rapport à la ville (terres agricoles comme réserves foncières, agriculture nourricière de la ville, préservation du paysage par l’agriculture, l’agri68 Partie II Terrain et démarche Chap. 4. Étudier un terrain peuplé de nombreux actants culture pour se préserver certains risques naturels . . .) (Balestrat, 2011). De nombreuses questions critiques se posent alors quant à l’aménagement du territoire (Poulot, 2008). Ces questions sont d’autant plus prégnantes dans la Région Languedoc-Roussillon, que cette dernière a vu sa démographie fortement augmenter ces dernières années (Martin-Scholz, 2011), cette nouvelle population s’installant principalement en zone péri-urbaine et dans la plaine littorale (Balestrat, 2011). Cette urbanisation augmente ainsi le taux d’imperméabilisation des sols dans une région déjà fortement exposée au risque d’inondation. De plus, se faisant principalement en plaine, cette urbanisation hypothèque la possibilité de conduire des cultures vivrières dans les sols les plus aptes à les accueillir. Ainsi ces phénomènes suscitent un lot de questionnements auxquels les acteurs de l’aménagement se doivent de répondre. Où et comment loger ces nouveaux habitants ? Comment assurer leur accès aux infrastructures qui leur sont nécessaires ? Comment gérer les risques, naturels ou non, liés à la concentration de la population et à la consommation d’espaces naturels ou agricoles ? Comment préserver aussi les paysages et la biodiversité ?

 Présentation des différents organismes et individus impliqués dans le projet

Notre objet d’étude se constitue à travers le suivi d’un projet d’élaboration d’un module de formation (et de son corrigé), autour des conflits d’usages des sols et notamment de la place de « l’agriculture » dans les documents d’urbanisme. Ce projet a été mené entre les agents de plusieurs services de l’État, relevant de différents Ministères et d’un laboratoire de recherche, à savoir : — la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF), — la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) de la Région Languedoc-Roussillon 1 , — la Direction Départementale des Territoires et de la Mer de l’Hérault (DDTM34) — l’Unité Mixte de Recherche Territoire, Environnement Télédétection et Informations Spatiales (UMR TETIS). La DRAAF, la DREAL et la Direction Départementale des Territoires (DDT) 2 sont des services déconcentrés de l’État, c’est-à-dire qu’ils sont en charge de faire appliquer les politiques de leurs Ministères respectifs. Les relations fonctionnelles qu’ils entretiennent sont présentées par la figure 4.1 .La DRAAF et la DREAL sont les représentantes en région respectivement du Ministère en charge de l’agriculture et du Ministère en charge de l’environnement et de l’aménagement territorial. Ces deux Ministères sont également représentés au niveau départemental par les DDTs issues de la fusion en 2010 des Directions Départementales de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF) et des Directions Départementales de l’Équipement (DDE). Les Ministères exercent ainsi une autorité hiérarchique sur leurs différents services déconcentrés (Martin-Scholz, 2011). La DRAAF et la DREAL sont en charge de nombreuses missions. Mais en ce qui concerne le projet, elles sont toutes deux chargées d’orienter et d’encadrer l’action des DDTs ainsi que de réaliser (ou faire réaliser) un certain nombres d’études et de données. La DDT quant à elle réalise et gère aussi un certain nombre d’études et de données. Elle est surtout en charge du suivi des processus d’élaboration des documents d’urbanisme que ce soit en amont où elle réalise des dires de l’État, notamment le « porté-à-connaissance » 3 , ou en aval pour la validation de ces documents. Si dans la théorie, les DDTs sont autant encadrées par la DRAAF que par la DREAL, dans la pratique les DDTs ont une plus grande proximité avec la DREAL. Cela est en partie dû au fait que les DDAF regroupaient moins d’agents que les DDE, ainsi lors de la fusion ce sont majoritairement des agents issus de l’Équipement qui se sont retrouvés en charge de l’aménagement territorial. L’UMR TETIS est une unité de recherche regroupant des chercheurs du Cirad, d’Irstea et d’AgroParisTech. Ses recherches sont axées sur la « chaîne de l’information spatiale », c’est-à-dire que ses travaux vont de l’acquisition de données géolocalisées à l’accompagnement et l’évaluation des usages qui en sont fait. Le projet de formation ne fait pas intervenir l’UMR TETIS dans son ensemble mais la composante Irstea. L’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) est un organisme de recherche, anciennement connu sous le nom de Cemagref, dont une des missions est l’appui aux politiques publiques. Cette mission est un héritage de l’époque, lointaine, où le Cemagref était non pas un organisme de recherche mais le centre d’étude technique du Ministère en charge de l’agriculture.

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