Etudier les dispositifs du contrôle externe de l’étude de marchés isolés à l’analyse d’une architecture marchande
Comme nous l’avons souligné, le développement durable comme contrôle externe repose sur un dispositif complexe de marchés et d’outils. Pour étudier la conception de ce modèle de pilotage, il apparaît ainsi nécessaire de bien comprendre le fonctionnement de ces marchés. Plutôt que d’analyser ces marchés isolément, le fait de les analyser comme autant d’éléments d’un dispositif plus général nous amène à aborder la question de leurs interdépendances. Nous proposons ainsi de passer d’une perspective considérant ces marchés et outils de manière isolée à une démarche plus systémique, considérant la construction d’une architecture marchande de l’évaluation extra financière. l’Investissement Socialement Responsable et de l’évaluation extra financière ont connu une croissance progressive ces 25 dernières années qui s’est intensifiée depuis 5 ans. Déjean définit comme socialement responsable un investissement qui « intègre des critères non financiers dans la sélection des titres de portefeuilles d’actions ou d’obligations » (2004 : 27). Selon le centre d’information Novethic, les volumes de l’ISR français ont été multipliés par 20 entre 1998 et 2005. Ils restent encore embryonnaires en France (moins de 2% des montants gérés) et en Europe (2% des montants gérés par les fonds de pension en 2003 selon l’enquête d’Eurosif). En 2003, la France représentait 5% d’un marché européen estimé à 34 milliards d’euros et dominé par le Royaume-Uni (69% du total).
Ces montants seraient, à en croire les statistiques, sans commune mesure avec le marché américain où l’Investissement Socialement Responsable représenterait plus de 12% du total des fonds gérés pour un montant de 2500 milliards de dollars (Loiselet, 2002; Pérez, 2003; Déjean, 2004). Selon les statistiques produites par le Social Investment Forum, le marché américain aurait connu une croissance rapide entre 1995 et 2000 pour ensuite se stabiliser à des niveaux qui n’ont pas significativement évolué depuis (cf. graphique encours ISR aux Etats-Unis). Toutefois, pour Novethic, « ces chiffres ne font pas forcement des Etats- Unis le moteur de la progression de l’ISR dans la communauté financière. En effet, l’approche américaine de l’ISR est beaucoup moins exigeante que la version européenne, et, à certains égards, ce marché est en retard sur celui de l’Europe » (www.novethic.fr). Ainsi, les montants américains sont artificiellement gonflés par la prise en compte de critères d’exclusion uniques (par exemple ne pas investir dans l’industrie du tabac) ou des fonds impliqués dans la gestion des entreprises dans lesquelles elles possèdent des participations, par l’exercice de leur droit de vote (Loiselet, 2002; Pérez, 2003). Ainsi, entre une approche restrictive (34 milliards d’euros) et une perspective assouplie (336 milliards d’euros) de l’investissement socialement responsable, les montants annoncés varient suivant un rapport de 1 à 10 ! Ainsi, l’hétérogénéité des chiffres s’explique avant tout par la pluralité des définitions de l’ISR, des méthodes de mesure et des démarches de constitution des fonds socialement responsables (approche sélective, filtrage, activisme actionnarial, etc.). Derrière ces chiffres hétérogènes, il apparaît ainsi que l’ISR pose des questions de définition, des querelles statistiques et un statut qui reste incertain. Comme le souligne l’étude de l’Eurosif (2003 :10), toute tentative de mesure est brouillée par la variété des acceptions du concept de RSE et par le fait qu’ « il n’existe pas de définition unique de l’ISR ».
Le cas de l’analyse extra financière offre un panorama relativement analogue. L’analyse extra financière évalue les engagements, les politiques mises en oeuvre et les performances de l’entreprise dans les domaines sociaux, environnementaux et de gouvernance, liés à ses activités. Créées dans les années 80 et 90, les agences de notation extra financière évaluent et notent la politique de responsabilité sociale et environnementale ainsi que de gouvernance des entreprises, la plupart du temps pour des investisseurs. Ce secteur s’est fortement développé à la fin des années 90 en Europe et compte aujourd’hui une trentaine d’acteurs. A l’image des pratiques d’ISR, on trouve aujourd’hui une grande variété d’approches (exclusion, processus managériaux, évaluation des risques) de méthodologies d’évaluation, de recueil des données (questionnaires, données publiques), et de mise en forme du résultat de l’évaluation (rapports sectoriels, relatifs à une entreprise, scoring, typologies, scénarios). L’analyse de différentes versions successives de questionnaires produits par les analystes extra financiers montre que ces derniers sont propres à chaque société et qu’ils ne sont pas encore stabilisés. C’est ce que suggère l’examen de l’évolution des critères de SAM dans les questionnaires de 1998, 2000 et 2002 pour l’indice du Dow Jones Sustainability dans les domaines de l’environnement et du social (Aggeri & al. 2004). De même, si l’évaluation suivait à l’origine une approche dite « déclarative ».