Etudier les bl ocages des dynamiques industrielles contemporaines
Ayant exposé notre problématique, nous explicitons ici le cadre de notre anal la démarche adoptée pour expliquer les dynamiques industrielles bloquées et pour proposer des leviers d’action permettant de lever ces blocages. Pour ce faire, une approche par l’étude d’un cas extrême (Yin, 2003) de blocage de dynamique industrielle a été retenue (II.1). Cette approche permet une démarche de découverte d’une nouvelle phénoménologie, amenant à construire un chemin naviguant entre différents niveaux théoriques (II.2) et mobilisant différentes approches méthodologiques adaptées à la construction de notre propos (II.3). Nous préciserons en particulier dans cette partie en quoi notre itinéraire de recherche diffère des approches méthodologiques classiques. Etudier l’ensemble des blocages inhérents aux dynamiques industrielles est une tâche ambitieuse. Nous avons privilégié l’étude détaillée d’un cas extrême (Yin, 2003), combinant des les facteurs les plus contraignants et permettant d’étudier un type de blocage spécifique, avec la volonté que l’analyse de ce cas très particulier conduise à mieux comprendre les blocages des dynamiques industrielles dans leur ensemble. Cette démarche s’inscrit dans la ligne des études de cas typiques, ou paroxystiques. Pour Garel (1998), l’étude des cas typiques s’appuie sur des questionnaires ou des études cliniques − qui consistent à entrer dans les organisations pour les aider à formuler et à résoudre les problèmes qu’elles ont ressentis ou formulés (Lenfle, 2001). Cela amène le chercheur, à partir de monographies, à bâtir des typologies et à relier la formalisation de modèles, de « types idéaux », avec différentes analyses empiriques (Garel, 1998).
Dans cette perspective, la thèse se focalise sur l’étude d’une situation qui nous a semblé emblématique des blocages des dynamiques industrielles. Ainsi, nous avons choisi de nous pencher sur un cas paroxystique de situation de blocage. Nous étudierons dans la thèse des situations où l’innovation produite par les capacités des acteurs en place est en deçà des attentes et des besoins, alors même que l’ensemble des conditions favorisant l’émergence de projets innovants semblent réunies (marché existant, financements divers, acteurs et efforts de R&D présents). Nous baptiserons ces situations d’innovation orpheline (Agogué, Le Masson, Robinson, 2012). Si l’on mobilise un langage économique pour caractériser une telle situation, il y a une « offre » (des ressources mobilisées) et il y a une « demande » : il s’agit donc d’un cas de blocage qui n’est pas explicable par les modèles classiques {offre sans marché / demande sans offre}. Le focus de la thèse sur un cas extrême de blocage de dynamique industrielle, l’innovation orpheline, permet de guider notre exploration de la problématique de recherche. Il s’agit d’étudier un nouveau phénomène, de le décrire, de le caractériser, de le modéliser, et d’étudier les moyens d’action pour le faire évoluer. La thèse s’inscrit autour de trois questions de recherche qui nous permettent d’étudier ces objets de gestion :
Un balayage de différents niveaux théoriques
Tout d’abord, l’observation d’un cas permet de discuter la pertinence d’une caractérisation de l’innovation orpheline par un raisonnement abductif. Puis, une induction conduit à la construction d’un modèle théorique à partir de l’analyse empirique du cas. Une approche déductive pousse ensuite à la construction d’hypothèses de recherche à partir du modèle théorique. Enfin, la mise à l’épreuve de ces hypothèses dans plusieurs cas empiriques mobilise à nouveau une approche abductive. La discussion des contingences des outils et figures managériales proposés dans un travail de recherche de raisonnement et reliant les faits observés avec des théories intermédiaires ou plus générales, renvoie au principe de circulation entre différents niveaux théoriques proposés par (Weil, 1999b): la théorie générale, la théorie intermédiaire, la théorie empirique (dont nous proposons une synthèse dans le tableau suivant). Il faut maintenant expliciter quelques points de méthode car nous avons construit notre itinéraire de recherche en plusieurs étapes, qui sont hétérogènes dans leurs contenus – études de cas, modélisation théorique, expérimentation – et dans la manière dont elles ont été appréhendées. L’itinéraire de recherche ne suit pas une démarche classique, qui consisterait à dresser un état de la littérature sur une question de recherche, puis à proposer une méthodologie pour explorer une question laissée en suspens par la littérature, et enfin d’étudier un ou plusieurs cas pour construire des résultats permettant d’apporter de nouveaux éléments sur la question traitée. L’étude d’une phénoménologie nouvelle, l’innovation orpheline, nous a conduit à adopter une démarche d’étude d’un événement non étudié jusque là. Pour ce faire, nous avons privilégié une approche similaire à celle qu’adoptent les physiciens pour étudier un nouveau phénomène. A savoir, (1) le caractériser et le contraster aux modèles existants dans la littérature, (2) le modéliser en tant que tel, (3) construire un instrument pour reconnaître ce phénomène dans des situations empiriques et (4) étudier les moyens d’action sur ce phénomène.