Études sur l’endommagement par rayonnement du détecteur à pixels
Vu sa proximité au tube à vide, le détecteur à pixels du trajectographe interne, décrit dans la section 2.2.3, est exposé à un rayonnement énergétique important causant la création de défauts au sein des capteurs qui nuisent à la reconstruction des objets. Jusque là, le code de reconstruction ATHENA (cf. section 2.4.1) ne prenait pas en compte ces effets d’endommagement. Un grand effort a été fait afin de développer un numériseur (ou digitizer) permettant de tenir compte de tous ces défauts. Dans ce chapitre est détaillé en premier lieu, dans la section 3.1, la création et le développement d’un signal dans un détecteur à silicium. En deuxième lieu, les effets des radiations sont donnés dans la section 3.2 et leurs implémentations dans le numériseur dans la section 3.3. Finalement la section 3.4 étaye les études faites sur les données permettant de voir les effets des pertes et les conséquences de leurs compensations. Ce travail, dit d’intérêt général ou tâche de qualification, m’a permis de devenir auteur de la collaboration ATLAS. La présentation s’inspire largement des thèses de L. Rossini [115] et A. Ducourthial [116] et du papier sur les effets de l’endommagement par rayonnement dans ATLAS [117] qui explicite le code sur lequel j’ai travaillé et que j’ai utilisé pour l’obtention des résultats de cette partie.
Formation d’un signal dans des détecteurs à silicium
La détection dans le détecteur à pixels dans ATLAS se fait grâce à des capteurs en silicium basés sur le principe de jonction P-N [118]. Cette section introduit les bases du principe des détecteurs à silicium et suit le développement du signal créé dans ceux-ci.
Principe des détecteurs à silicium
À l’état naturel le silicium est en équilibre thermique et les porteurs de charges suivent une statistique de Fermi-Dirac. Des dopants sont ajoutés afin de changer ses propriétés électriques. D’une part, les dopants appartenant généralement au groupe V du tableau périodique des éléments (comme le phosphore) sont appelés des donneurs et permettent de produire un matériau dit dopé-n. Ils sont caractérisés par un électron additionnel dans leurs bandes de valence comparé à celles du silicium. Ces atomes à cinq électrons forment des liaisons covalentes avec les quatre électrons de valence des atomes de silicium. Les électrons restants contribuent donc à la conduction. D’autre part, les dopants appartenant généralement au groupe III du tableau périodique des éléments (comme le bore) sont appelés accepteurs et permettent de produire un matériau dopé-p. Les liaisons covalentes de ces atomes à trois électrons avec les atomes de silicium à quatre électrons résultent en des trous. Dans le cas de matériaux dopés il existe toujours une asymétrie vis-à-vis du nombre de trous et des électrons. Les porteurs ayant la plus grande concentration sont appelés « les porteurs majoritaires » tandis que ceux qui ont la moindre concentration, « les porteurs minoritaires ». 49 Études sur l’endommagement par rayonnement du détecteur à pixels Une jonction P-N n’est donc que la juxtaposition de deux pièces en silicium, l’une dopée-n, l’autre dopée-p. Les porteurs de charge dans le matériau dopé-n migrent vers la région dopée-p et vice-versa comme montré sur la figure 3.1. Une fois cette migration effectuée, la zone entourant la jonction est vide de charges libres. Cette zone où les porteurs de charges sont dépourvus de leurs paires rend celle-ci électriquement chargée et est définie comme la zone de déplétion. Le champ électrique dans cette zone conduit d’une part à une tension V intrinsèque aux bornes de la jonction, et d’autre part à la dérive des porteurs de charges créés par les particules chargées traversant le milieu. De plus, la taille de la zone de déplétion dépend de la tension externe appliquée à la jonction P-N. Cette région rétrécit si la polarisation est appliquée à l’opposé de la tension V au sein de la jonction (polarisation directe) ou s’élargit si elle est appliquée dans le même sens que V (biais inverse). Dans les détecteurs de physique des hautes énergies, une large zone de déplétion est cruciale afin de profiter pleinement des capteurs en silicium. Après la déplétion, il existe une génération de porteurs de charges dans la zone de déplétion, induisant un flux de courant Ileak, appelé courant de fuite. La tension de déplétion est donc définie comme la tension permettant d’avoir une zone de déplétion égale à la largeur d de la jonction P-N. Par contre, cette tension devrait être inférieure à la tension critique déclenchant une avalanche de charges causant un bruit de fond très grand dans lequel se cache le signal. Ainsi, la tension de déplétion liée à la constante diélectrique (), à la permitivité du vide (0) et à la concentration effective du dopage (Neff) qui elle est liée à la fluence Φ reçue par le détecteur est donnée par : |Vdep| = q|Neff(Φ)|d 2 20 . (3.1) Le capteur peut être polarisé avec une tension plus élevée par rapport à la tension de déplétion, il est dit sur-déplété : le champ électrique à l’intérieur du capteur est assez grand pour que les porteurs de charges libres soient plus « rapides » réduisant ainsi le temps de collecte de charges. Néanmoins, la polarisation inverse est limitée par une tension critique déclenchant une avalanche de charges causant un bruit de fond très grand dans lequel se cache le signal. Figure 3.1 – À gauche, le silicium intrinsèque en équilibre thermique. À droite, une zone est créée permettant le transfert de particules chargées : jonction PN. Figure tirée de [119].
Développement du signal
Le passage d’une particule chargée au sein de la zone de déplétion ionise le milieu induisant une création de paires électrons-trous le long du trajet de la particule et qui dépend de l’énergie de celle-ci. Dans le cas d’un détecteur en silicium, l’énergie nécessaire qui permet de produire ces paires est de 3,6 eV. Au LHC, cette énergie est largement dépassée faisant des particules interagissant avec les capteurs des particules à ionisation minimale ou MIP [120]. Une fois que ces paires sont créées au sein de la zone de déplétion, elles vont dériver vers les électrodes collectrices en suivant le champ électrique E® avec une vitesse dépendante de la mobilité µ des charges : v® = µE®. Cette vitesse dépend donc de la tension de déplétion : plus la tension est grande, plus le capteur est déplété, plus la vitesse est grande, jusqu’à arriver à une valeur critique du champ électrique où la vitesse sature. De plus, l’asymétrie existante entre les porteurs de charges dépend aussi du gradient de concentration de ceux-ci. Ils se déplacent de la zone de forte concentration vers celle de faible concentration jusqu’à arriver à une concentration uniforme. Cet effet dépend de la mobilité des porteurs de charges ainsi que de la température opérationnelle. On définit donc le paramètre de diffusion D [121] exprimé en cm2 · s −1 comme D = kBT µ/q, avec kB la constante de Boltzman et q la charge électrique. De plus, de part la nature de ce phénomène, la diffusion conduit à une uniformité des concentrations de porteurs de charges tel les effets de recombinaison, assez fréquents à température ambiante, où un électron s’annihile avec un trou. Cet effet de diffusion peut alors être réduit en opérant le détecteur à basse température rendant l’étalement de la diffusion de quelques micromètres pour une épaisseur moyenne du capteur de 200 µm. La dispersion RMS due à la diffusion est de l’ordre de √ 2Dt, où t est le temps de dérive. Enfin, les porteurs de charges sont aussi affectés par le champ magnétique de 2 T dans lequel les capteurs planaires du détecteurs à pixels se trouvent. Leurs trajectoires sont ainsi déviées d’un angle appelé l’angle de Lorentz. Il est lié à la mobilité des charges µ dépendante du champ électrique, au facteur de diffusion de Hall r, et à l’intensité du champ magnétique B. On a donc : tan θL = r · µ(E) · B. (3.2) Le schéma dans la figure 3.2 résume tous les effets auxquels ces porteurs de charges sont assujettis. Pour un pixel se trouvant dans la couche IBL, et avant toute irradiation, l’angle de Lorentz est de 220 mrad comme mesuré avec des données cosmiques [122]. Mes travaux se sont concentrés principalement sur l’étude de cet angle (cf. section 3.4.1).