Études exploratoires dédiées au diagnostic de corrosion assisté par ordinateur des structures de génie civil
Le défi sociétal de la corrosion des infrastructures
Enjeu économique
De nombreuses études ont mis en évidence l’importance de la qualité des infrastructures d’un pays comme facteur clef de sa compétitivité économique. Le manque de maintenance et d’entretien des infrastructures a notamment été souligné comme une des principales causes du ralentissement économique des pays industrialisés [8]. Une étude américaine a estimé à 3,1% du PIB le coût directement imputable à la corrosion des métaux aux États-Unis [9] ; ces dépenses directes correspondent essentiellement à la surveillance, à la maintenance et aux réparations des infrastructures soumises à la corrosion. À ces coûts directs, il convient d’ajouter les coûts indirects plus difficilement quantifiables comme les pertes d’exploitation du produit intérieur brut dans les pays développés à économie de marché (PDEM) La moitié de ces coûts est directement imputée à la corrosion des infrastructures au sens large [9]. On peut dresser une liste non exhaustive des infrastructures couramment touchées par la corrosion : bâtiments, ponts routiers, infrastructures portuaires, centrales nucléaires, plateformes off-shore, réseaux d’assainissement, oléoducs et gazoducs…Ces ouvrages diffèrent notamment par les matériaux de construction utilisés (béton armé, structure métallique…), par l’environnement agressif auquel ils sont soumis (aérien, immergée dans l’eau de mer, enterrée dans le sol…) ou encore par leur secteur d’activité (concession routière, immobilier, production et transport d’énergie…). L’autre moitié du coût global de la corrosion correspond essentiellement aux dégradations des véhicules motorisés (avions, navires, automobiles…) et des installations de fabrication industrielle. La Figure 0-2, version simplifiée d’une illustration de Angst , compare le coût total de la corrosion des métaux à ceux liés à d’autres problèmes de société ayant des répercussions économiques importantes comme le tabagisme , l’obésité ou encore la pollution de l’air ; comme pour la corrosion, le coût global tient compte des dépenses directes (essentiellement les dépenses de santé) et indirectes (perte de productivité, invalidité temporaire ou permanente…). Bien que son éclairage médiatique reste encore limité, la corrosion des infrastructures est un gouffre financier pour les pays industrialisés et mérite une attention particulière au même titre que les questions liées à la santé reconnues de tous comme des défis sociétaux majeurs.
Enjeu sociétal
Depuis l’effondrement du pont Morandi, on observe une prise de conscience collective sur l’état vieillissant des infrastructures et la nécessité d’une maintenance appropriée pour garantir la sécurité des usagers. L’enquête réalisée à la suite de cette catastrophe pointe l’inaction du gestionnaire privé et des autorités publiques alors même que la vétusté de l’ouvrage était avérée [6]. L’effondrement a eu un impact traumatisant sur les usagers, nombreux à avoir manifesté un sentiment de vulnérabilité et se déclarant de plus en plus méfiants envers les institutions responsables de la sécurité de ces ouvrages [5En plus des problématiques de sécurité évidentes, la dégradation prématurée des infrastructures par la corrosion a des répercussions sur la qualité de vie des usagers (indisponibilité des infrastructures, densification du trafic routier…) [10]. Si l’on s’appuie sur l’exemple précédent, l’effondrement du pont Morandi a généré des perturbations urbaines considérables comme en témoignent ces quelques chiffres : plus d’un demi-million de génois ont été affectés quotidiennement par l’itinéraire de déviation du trafic autoroutier mis en place pendant la durée des travaux de reconstruction et traversant le cœur de la cité ; un million de camions traversant annuellement la frontière italienne devaient faire un détour de 3h30 ; 600 logements ont dû être évacués pendant la durée des travaux. Bien qu’extrême au regard de ses conséquences, cet exemple tragique montre que la maintenance des ouvrages, notamment corrodés, revêt un intérêt sociétal profond.
Approche actuelle du diagnostic de corrosion de l’acier dans le béton
Au regard de la discussion précédente quant à l’ampleur du problème, le diagnostic de l’état de corrosion d’une structure par des techniques non destructives est devenu un enjeu majeur dans la gestion du patrimoine bâti. Les techniques non destructives dédiées à la mesure de l’activité de corrosion dans une structure ont donc fait l’objet de recherches intensives depuis plusieurs décennies. Les objectifs attendus du diagnostic de corrosion consistent à révéler l’existence de la corrosion, localiser les zones affectées, estimer les cinétiques de corrosion locales et quantifier les zones corrodées à traiter. Ce diagnostic constitue une base de réflexion pour la préconisation de solutions adaptées. Selon l’état pathologique constaté, ces solutions peuvent aller de la simple surveillance pour les ouvrages peu affectés jusqu’à la mise en œuvre de techniques de maintenance préventives ou curatives : techniques de court terme telles que la réalcalinisation ou l’extraction électrochimique des chlorures (NF EN 14038) ; techniques de long terme telles que la protection cathodique par courant imposé ou par courant galvanique (EN ISO 12696). Introduction Générale 8 À l’heure actuelle, le diagnostic de corrosion s’appuie sur un ensemble de recommandations dans lesquelles le niveau de corrosion est évalué de manière empirique à partir de gammes d’observables électrochimiques déterminées ; parmi les techniques les plus employées par la profession, on peut notamment citer la mesure de potentiel des aciers par rapport à une électrode référence ou encore l’estimation de la vitesse de corrosion à partir de la mesure de résistance de polarisation linéaire (RPL). Ces méthodes présentent l’avantage d’être relativement rapide à mettre en œuvre in situ et permettent une interprétation quasi immédiate du résultat. Cependant, elles souffrent d’un manque de fiabilité reconnu, dû aux nombreuses hypothèses sur lesquelles s’adosse leur interprétation. Ces hypothèses sont par ailleurs critiquées par une part croissante de la communauté scientifique. Aussi, l’utilisation de ces méthodes est limitée à une analyse purement qualitative. Aucune information quantitative sur la cinétique de corrosion en termes de vitesse de perte de section d’acier ne peut alors être estimée rigoureusement. A titre d’exemple, l’inadaptation de la technique de RPL à la réalité phénoménologique de la corrosion de l’acier dans le béton s’explique en grande partie par le paradigme d’uniformité décrit dans [18], consistant à considérer un état électrochimique uniforme et une sollicitation électrochimique uniforme des armatures lors de l’interprétation des mesures. Cette approche consiste à réduire un problème physique 3D à un problème 1D équivalent. En réalité, la nature tridimensionnelle du problème physique est non réductible tel qu’en attestent les travaux décrits dans ce mémoire de thèse. Une analyse critique des deux techniques électrochimiques les plus utilisées par la profession (mesure de potentiel et mesure de résistance de polarisation) est proposée ci-dessous. Cette analyse est menée dans le cas spécifique de la corrosion de l’acier dans le béton mais certaines carences identifiées sont transposables à la corrosion de l’acier des structures enterrées dans le sol.
INTRODUCTION GENERALE |