Etudes écologique et microbiologique des espèces du genre Costularia (Cyperaceae) pionnières des sols ultramafiques de Nouvelle-Calédonie
Nutrition des plantes et dynamique de l’azote et du phosphore dans le système sol-plante
Généralités sur la nutrition des plantes
La nutrition végétale est l’ensemble des processus qui permettent aux végétaux d’aquérir dans le milieu ambiant et d’assimiler les éléments nutritifs nécessaires à leurs différentes fonctions physiologiques : croissance, développement, reproduction. Dans le cas des végétaux vasculaires, elle se fait dans la solution du sol, c’est-à-dire l’eau et les sels minéraux, par les racines ou dans l’air par les feuilles (Mengel et al. 2001). Toutefois la solution du sol contient des éléments minéraux qui ne sont pas nécessairement utiles à la plante. Ainsi pour répondre aux besoins de la plante, l’absorption doit être sélective en accumulant et discriminant certains éléments dans des proportions différentielles (Mengel et al. 2001). Le processus d’absorption constitue une étape clef dans la nutrition végétale. L’absorption et le transport dépendent tout d’abord du diamètre et de la charge électrique des solutés (la valence des ions) : ce sont les molécules les moins chargées et les plus petites qui seront le plus facilement absorbées et transportées. L’absorption a lieu au niveau des racines fines, puis les nutriments se dirigent vers les vaisseaux conducteurs (Marshner 1995). Les principaux éléments constitutifs de la matière organique sont le carbone, l’hydrogène, l’oxygène et l’azote. Ces quatre éléments représentent plus de 90 % en moyenne de la matière sèche végétale. Les autres éléments sont nombreux et indispensables bien que ne dépassant pas globalement les 3% de la matière sèche. Les éléments appelés majeurs ou macronutriments (azote, phosphore, potassium, magnésium, calcium, soufre et sodium) jouent un rôle structurel (constituant des structures organiques), catalytique (activateur d’enzymes) ou régulateur (osmorégulation) dans l’organisation fonctionnelle de la plante. Les oligo-éléments ou micronutriments jouent principalement un rôle de catalyseur dans le métabolisme et interviennent à très petite dose (fer, zinc, cuivre, manganèse, molybdène, nickel et bore…). Le défaut de certains de ces éléments peut être à l’origine des maladies de carence (Marschner 1995). Le pH de la solution du sol est un élément déterminant pour une bonne dissolution des éléments nutritifs et surtout pour une absorption efficace de ces Synthèse bibliographique 35 éléments nutritifs par les plantes, car il permet d’harmoniser les échanges électriques entre les racines et l’environnement dans lequel elles se développent (Hinsinger et al. 2003). Le pH n’est pas stable dans le temps, les lessivages acidifient les sols, alors que le complexe argilo-humique, lui, est un excellent stabilisateur de pH. La plupart des plantes ont un optimum de croissance pour un pH entre 6 et 7,5 permettant l’absorption des cations et des anions de la solution du sol par l’intermédiaire des poils absorbants des racines (Marschner 1995 ). Les racines interviennent dans les changements de pH de la rhizosphère, ces changements influencent la biodisponibilité de nutriments et d’éléments métalliques, et par conséquent ils influent également sur la physiologie des racines et des microorganismes de la rhizosphère (Hinsinger et al. 2003, 2008). Dans les sols ultramafiques de Nouvelle-Calédonie, les principaux nutriments de la croissance des plantes (azote et phosphore) sont en quantité limitante et sont soit adsorbés aux particules du sol (phosphate) (L’huillier et al. 1998 ; Dubus et Becquer 2001), soit lessivés par les pluies (nitrate) (Duwig et al. 2000). Dans ces conditions les plantes ont développé des adaptations pour subvenir à leurs besoins : recyclage des nutriments des parties sénescentes vers les organes juvéniles (Masclaux et al. 2001), excrétion de substances organiques par les racines pour libérer le phosphate complexé dans le sol (Shane et al. 2008), et symbioses avec des partenaires mycorhiziens ou bactériens (Lambers et al. 2008, 2009 ; Richardson et al. 2009). Ainsi la disponibilité des nutriments n’est pas seulement due à leur forme chimique dans le sol, mais également à la capacité des plantes à les mobiliser et à réguler leur assimilation.
Biodisponibilité et dynamique du P dans le système sol-plante
Le phosphore est un des nutriments les moins mobiles (2-3 mm dans le sol) et les moins disponibles pour les plantes du fait de sa réactivité élevée avec de nombreux constituants du sol. En effet, les interactions électrostatiques des formes ioniques du phosphore avec les particules du sol et leur séquestration à la surface des argiles contribuent à rendre cet élément limitant pour la croissance de la plante (Giroux et Enright 2002). De plus, les sols ferrallitiques ferritiques possèdent une concentration en phosphore en solution généralement très faible (de l’ordre du µM). Le cycle du phosphore est restreint au sol de surface, à la couche de litière et aux organismes qui vivent dans ces horizons. On le trouve dans le sol soit sous Synthèse bibliographique 36 forme inorganique (principalement de phosphate : H2PO4 – ), soit sous forme organique, principalement dans l’acide phytique, les acides nucléiques et les phospholipides. Trois principaux processus chimiques déterminent la biodisponibilité du phosphore inorganique dans le sol : – La spéciation : selon le pH de la solution du sol, l’élément P peut être présent sous quatre formes chimiques, mais les plus courantes et assimilables sont H2PO4 – et HPO4 2- . Ces anions forment souvent des complexes avec des cations métalliques. – La précipitation-dissolution : en solution neutre ou alcaline, les ions phosphates précipitent avec le calcium et en solution acide ils précipitent plutôt avec le fer et l’aluminium. – L’adsorption-désorption des ions phosphates dans les minéraux du sol : le P du sol est sous forme d’anion, il est donc susceptible de s’adsorber sur des entités chargées positivement comportant des groupes type hydroxyle, carboxyle ou silanol, comme les oxydes métalliques (particulièrement présents dans les sols tropicaux). La désorption s’effectue par échange de ligand, par exemple avec du citrate ou du bicarbonate (ce dernier provenant de l’exsudation des racines et des microorganismes du sol). La biodisponibilité du P inorganique est donc affectée par les variations de pH de la rhizosphère. Il a été montré que la quantité de phosphates acquise et accumulée par la plante augmente linéairement avec la diminution du pH dans la rhizosphère (Hinsinger 2001). Les racines sont responsables de changements considérables du pH de la rhizosphère par plusieurs mécanismes, dont le principal semble être l’excrétion d’ions H+ ou OH- /HCO3 – qui contrebalance l’entrée de cations ou d’anions. Les racines sécrètent également des exudats composés de sucres et d’acides organiques (Neuman et Römheld 1999), en quantité et en composition très variables, mais leur contribution aux variations de pH reste controversée (Hinsinger 2001). En général, la quantité d’acides et d’anions organiques excrétés augmente lorsque le stress en P augmente, mais très peu de références sont disponibles sur ce sujet (Hinsinger et al. 2003). Il a été montré sur le lupin blanc que la sécrétion de citrate, augmentant considérablement la concentration en P dans la solution du sol, joue un rôle important dans l’acquisition du P et du Fe par la plante (Shane et al. 2008). Mais il faut pour cela un taux de sécrétion de citrate très élevé (10-50 µmol/g sol). Cependant, sur le riz, Kirk et al. (1999) ont montré une augmentation de la biodisponibilité en P pour des taux de sécrétion plus faibles. Il a mis en évidence que dans ce cas les principaux mécanismes de libération du P sont : (i) la chélation des métaux précipitant avec les ions P, (ii) la formation d’un complexe soluble citratemétal-phosphate. Quoi qu’il en soit, il est difficile de prévoir en quelle mesure et en quel sens la biodisponibilité du P va répondre à un changement de pH, mais il est certain que ce facteur a une très grande importance (Hinsinger at al. 2003, 2008). De même le rôle des exudations de molécules organiques est sujet à controverse. Ces acides et anions organiques une fois relâchés dans la rhizosphère s’adsorbent sur des constituants du sol entre autres sur des oxydes métalliques de la même façon que les ions P mais avec une affinité moindre. Cette adsorption conduit malgré tout à la désorption d’une partie des ions P par une réaction d’échange de ligands, et contribue à l’augmentation de la biodisponibilité du P dans le sol. Ce mécanisme se limite à l’interface sol-racine car les acides et anions organiques sont rapidement adsorbés et diffusent peu dans le sol (Hinsinger 2001). Sur les sols très pauvres en phosphore soluble, le développement de racines renflées (racine « cluster ») permet aux plantes qui les possèdent, un meilleur accès aux phosphates par l’intermédiaire d’une plus grande surface d’échange entre la racine et le sol (Lambers et al. 2006).
Biodisponibilité et dynamique de l’azote dans le système solplante
L’azote nécessaire à la croissance, à l’activité photosynthétique et à la reproduction des végétaux est un élément essentiel de la structure des protéines. Les besoins en azote de la plante peuvent être résolus par deux mécanismes distincts : l’acquisition de l’azote du sol (Mengel et al. 2001) et la réallocation de l’azote d’un compartiment vers un autre (Ganzert et Pfadenhauer 1986 ; Malagoli et al. 2005). Les bactéries du sol sont des acteurs principaux du cycle de l’azote dans les écosystèmes naturels. Ce sont elles qui permettent l’entrée de l’azote dans le système (fixation de l’azote atmosphérique), ainsi que sa transformation (nitrification) et sa sortie (dénitrification). Ces réactions métaboliques bactériennes font intervenir des enzymes présentes dans le génome de certaines bactéries. La fixation de l’azote atmosphérique (N2), réalisée par les bactéries possédant la nitrogénase (Azobacter, Rhizobium, Pseudomonas…), fournit la principale source d’azote dans les écosystèmes naturels. La dénitrification est un processus bactérien de respiration alternatif qui s’opère sous l’action de bactéries spécifiques, satisfaisant Synthèse bibliographique 38 leur besoin en oxygène par une désoxygénation des ions nitrates sous l’effet des enzymes nitrate réductase. Le processus de dénitrification consiste en plusieurs étapes au cours desquelles les nitrates sont réduits en azote gazeux. Dans le sol, l’azote est présent sous différentes formes chimiques : des formes minérales, comme les ions nitrates (NO3 – ) et ammonium (NH4 + ), et des formes organiques telles que les acides aminés provenant de la décomposition de la matière organique. L’azote organique n’est pas directement assimilable par les racines. Sa minéralisation par la microflore et la microfaune du sol fournit la majorité de l’azote disponible pour la croissance des plantes. Les plantes sont généralement capables d’absorber l’azote sous forme d’ion NH4 + et NO3 – (Richardson et al. 2009). Cependant certaines Cypéracées arctiques sont capables de l’absorber sous forme organique (acides aminés) dans des conditions climatiques où la minéralisation est très lente (Chapin et al. 1993). L’azote minéral est en quantité faible dans le sol (50 à 200 kg/ha) avec des fluctuations importantes en fonction de la minéralisation de la matière organique et du lessivage. Les nitrates sont faiblements retenus par le complexe argilo-humique, ils sont très mobiles et vont rapidement être lessivés par les eaux de pluies, particulièrement dans les sols drainant et sous des climats comportant des épisodes pluvieux violents comme cela est le cas en NouvelleCalédonie (Duwig et al. 2000). En revanche les ions NH4 + ont une faible mobilité dans le sol. L’ammonium est une source importante d’azote pour la plante. Il est assimilé par les cellules de la plante via des transporteurs d’ammonium dans les membranes plasmiques et distribué aux différents compartiments intracellulaires. L’ammonium n’est généralement pas utilisé pour les transports à longue distance de l’azote dans la plante (Howitt et Udvardi 2000). Dans le phloème, l’azote est principalement véhiculé sous forme de nitrate ou d’acide aminé. Plusieurs systèmes de transports permettent l’acquisition de l’azote du sol sous forme d’ion nitrate par les racines de la plante: (i) par des systèmes à forte affinité (HATS) fonctionnant à de faibles concentrations en nitrate dans le sol (C < 500 µM) et (ii) par des systèmes non saturables à faible affinité (LATS) fonctionnant à de fortes concentrations en nitrate dans le sol (C > 1 mM). Ces deux systèmes de transport actif présentent deux composantes, l’une dont le mode d’action des gènes est constitutif, l’autre induite par une faible concentration en azote (Vedele et al. 1998 ; Forde 2000). À l’échelle de la plante, la majeure partie de l’azote utilisé dans les différents compartiments provient de la « réallocation » de cet élément. Ainsi au fil du cycle Synthèse bibliographique 39 végétatif un compartiment peut être successivement un puits et une source d’azote. Par exemple, la stratégie de réallocation d’azote depuis les feuilles ombragées vers les feuilles éclairées permet d’augmenter de 15 à 20 % le gain photosynthétique de la plante (Malagoli 2004). Cette réallocation est déclenchée par une diminution de la concentration foliaire en sucres et fait intervenir des gènes, inductibles par le manque de lumière, qui déclenchent la sénescence en provoquant l’hydrolyse des protéines et la dégradation de la chlorophylle. Les composés azotés libérés transitent alors par le phloème vers les feuilles éclairées. On observe des mécanismes de remobilisation de composés azotés lors de la transition entre phase végétative et phase reproductive, l’azote est alors transféré depuis les organes végétatifs comme la tige, les feuilles et les racines principales vers les organes reproducteurs (Malagoli 2004 ; Imsande et Touraine 1994).
Adaptation spécifique de l’acquisition du phosphore par les Cyperaceae
Rôle des racines « cluster »
Les racines « cluster »
Le terme de racines « cluster » désigne différents types de structures racinaires fortement ramifiées (Shane et al. 2006), caratérisées par des renflements latéraux sur les racines principales (Lambers et al. 2006 ; Lamont 1993, 2003) (Fig. 4). La présence de ces structures racinaires spécifiques est connue chez deux familles de monocotylédones, Cyperaceae et Restoniaceae, et chez huit familles de dycotylédones, Proteaceae, Fabaceae, Casuarinaceae, Betulaceae, Myricaceae, Elaeagnaceae, Moraceae, Cucurbitaceae (Lambers et al. 2006). Les structures les mieux connues sont les racines protéoïdes développées par toutes les Proteaceae et certaines Fabaceae, il s’agit de zones localisées sur les racines principales sur lesquelles se développent de très nombreuses radicelles (Shane et al. 2008).
1. Contexte de l’étude |