Études des propriétés magnétiques de nanofils de cobalt monocristallins en réseaux ultra-denses
Modes de retournement de l’aimantation
En présence d’un champ nul, une particule magnétique ellipsoïdale non sphérique a toujours au moins deux configurations stables puisque l’énergie magnétique reste invariante par inversion de l’espace 𝑀⃗ → −𝑀⃗ . Ainsi lorsque la première configuration stable est connue, cette opération de symétrie permet de déduire la seconde. En faisant continûment varier un champ extérieur, le profil énergétique de la particule magnétique est également modifié de façon continue. A terme, l’énergie apportée par le champ externe sera suffisante pour rendre instable l’état d’équilibre local qui minimise l’énergie de la particule. Ce champ critique est appelé champ d’anisotropie. Lorsque le champ externe atteint cette valeur, la moindre perturbation que subit la nanoparticule peut emmener son état très loin de la configuration de départ pour finalement atteindre un équilibre stable. Ce phénomène est appelé retournement de l’aimantation. Tous les arguments développés dans cette partie sont valables pour des objets idéaux, sans défauts. Figure 1.8 : évolution du profil énergétique avec l’augmentation du champ externe. Initialement la particule est aimantée selon +z (i.e. up) et le champ externe est selon –z. Pour un champ externe compris entre 0 et -𝐻𝐾(𝜃𝑒𝑞) la particule est dans le puit métastable up, tandis que pour un champ externe inférieur ou égal à -𝐻𝐾(𝜃𝑒𝑞) l’aimantation se retourne et tombe dans le puit down. On distinguera deux types de retournements : délocalisé et localisé. Ces deux natures contiennent eux-mêmes différents modes de retournements. Connaitre les configurations spatiales de l’aimantation durant son renversement au sein d’une nanoparticule revient à savoir de quelle origine est l’énergie qui prédomine. Il est donc nécessaire de formuler une expression de l’énergie libre (𝐸𝑡𝑜𝑡 = 𝜀𝑡𝑜𝑡𝑉), tel que 𝜕𝐸𝑡𝑜𝑡 𝜕𝑋 = 0 et 𝜕²𝐸𝑡𝑜𝑡 𝜕𝑋² > 0 avec : 32 𝐸𝑡𝑜𝑡(𝑀⃗ , 𝐻𝑎𝑝𝑝 ⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗ ) = ∫ (𝐴(∇⃗ . 𝑚⃗⃗ ) 2 + 𝜀𝑚𝑐(𝑚⃗⃗ ) − µ0 2 𝑀𝑆𝑚⃗⃗ . 𝐻𝑑𝑖𝑝 ⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗ − µ0𝑀𝑆𝑚⃗⃗ . 𝐻𝑎𝑝𝑝 ⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗ ) 𝑉 𝑑𝑟 3 (1.33) La difficulté étant que la variable n’est pas un simple scalaire mais le champ vectoriel de l’aimantation. Le problème revient donc à déterminer les positions pour lesquelles une variation infinitésimale 𝛿𝑀⃗ n’induit pas de variation positive de 𝐸𝑡𝑜𝑡. La formulation variationnelle de l’équation précédente consiste à écrire : 𝛿𝐸𝑡𝑜𝑡(𝑀⃗ , 𝐻𝑎𝑝𝑝 ⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗⃗ ) . Elle s’exprime en introduisant : 𝑚⃗⃗ (𝑟 ) → 𝑚⃗⃗ (𝑟 ) + 𝛿𝑚⃗⃗ (𝑟 ). C’est en développant cette approche que Brown a exprimé ses célèbres équations [23]. Un mode de retournement comprend un jeu de solutions qui minimise l’énergie libre, c’est-à-dire une expression spatiale paramétrée de l’aimantation
Rayon critique : 𝑅𝐶
La problématique de cette partie consiste à comprendre le ou les critère(s) qui déterminent le mode de retournement d’un ellipsoïde. Lorsque le champ externe atteint une valeur critique, l’aimantation commence à varier. Cette valeur critique est connue comme le champ de nucléation. Rappelons qu’un phénomène de nucléation n’a pas forcément besoin de « nucléus », c’est-à-dire d’une hétérogénéité comme point de départ. Un phénomène de nucléation peut donc être cohérent et/ou non local. Dans un cristal ferromagnétique une fois le champ de nucléation atteint, l’aimantation adopte brutalement une configuration qui est un mode propre des équations de Brown [23]. Le modèle de Stoner-Wohlfarth est un exemple représentatif de nucléation délocalisée. La Figure 1.8 fait l’analogie bien connue entre une bille pouvant se déplacer dans le profil d’énergie potentielle et le renversement de l’aimantation vu par le modèle Stoner-Wohlfarth. A mesure que le champ externe s’approche de l’amplitude du champ de nucléation, la dépression dans le puits où la bille se trouve initialement se réduit. Ainsi lorsque la barrière de potentiel est de hauteur nulle, la saturation peut être atteinte suite à une perturbation faisant passer la bille dans le puits de plus basse énergie. Cependant, il est démontrable que le profil énergétique visible Figure 1.8 est en fait multidimensionnel. Dans le principe, toutes les fonctions propres des équations de Brown doivent être prises en compte. Les auteurs Forster et al. [24] ont par ailleurs effectué des simulations dans lesquelles le champ externe est appliqué avec une variation infinie, exprimée par une fonction de Heaviside. Ceci est bien sûr irréalisable expérimentalement, puisque la variation d’un champ ne peut être infinie. La simulation montre que l’apport d’énergie magnétique à la nanoparticule permet d’emprunter un autre chemin énergétique que celui prédit par la théorie de Stoner-Wohlfarth et ainsi, observer dans le même objet, plusieurs modes de retournement différents. Bien sûr les modes propres ne peuvent se manifester en même temps. En 1956, Brown formule le problème de nucléation [23] en linéarisant les équations qu’il a mis en forme dans un autre contexte 17 ans plus tôt [25]. Il donne deux solutions analytiques. La première correspond à un potentiel homogène dans tout l’ellipsoïde : le retournement cohérent, d’abord appelé retournement à l’unisson par Frei et al. [26]. Ce mode est en fait le mode décrit dans le modèle de Stoner-Wohlfarth (juillet 1947) qui représente un mode propre des équations de Brown linéarisées. Le second mode est également découvert par Brown [23] mais également par Frei et al. [26]. Brown passe par la résolution de l’équation différentielle en coordonnées cylindriques et en appliquant des contraintes arbitraires postulées sur l’énergie libre qu’il justifie comme valables puisqu’elles permettent la résolution analytique. Ces contraintes réduisent le problème du retournement de l’aimantation en 3 dimensions à un problème à deux dimensions plus facilement soluble. De leur côté, Frei et al. minimisent la fonctionnelle de l’énergie libre qu’ils comparent avec d’autres modèles et présentent leur solution comme une solution valable pour le cylindre infini et la sphère. A l’écriture de cet article Frei et al. ne savent pas qu’ils ont trouvé la même solution que celle des équations de Brown. Cependant le succès de l’article de Frei et al. est bien plus important que celui de Brown pour la simple raison qu’ils ont labélisé ce mode de retournement : le mode curling. Il en résulte que la majeure partie des physiciens penseront que les deux articles sont équivalents. Cependant il n’en est rien puisque le curling n’est pas un modèle comme l’affirme Frei et al. mais bien un mode propre des équations de Brown. La signification est importante car le curling ne peut pas être comparé à d’autre modèles, c’est un mode de nucléation du renversement de l’aimantation au même titre que le mode cohérent. Plus haut il a été énoncé que lorsque l’énergie d’échange est minimisée, l’aimantation varie de la même façon en tous points de la particule, le retournement est cohérent, tandis que si l’énergie magnétostatique est minimisée, les moments s’organisent pour neutraliser les effets dipolaires. Le rayon de transition entre ces deux modes peut donc être trouvé en comparant l’énergie magnétostatique et l’énergie d’échange en fonction du rayon de la particule (ici un cylindre infini) [5], [27]–[30]: 𝑅𝑐 = 𝑞 𝑀𝑆 √ 𝐴 µ0𝑁𝑎 (1.34) Le tout étant à exprimer en unité SI (système international). Avec q la première racine de la fonction de Bessel J1 (q=1.8412, pour un cylindre infini) et 𝑁𝑎 le facteur de désaimantation du plan de difficile aimantation (équation (1.4)). L’application numérique pour un cylindre de cobalt nous amène à un diamètre de 15nm.
Retournement délocalisé : le mode cohérent
Ce mode de retournement concerne les particules ellipsoïdales et monodomaines. Les conditions pour que l’aimantation d’une particule puisse être considérée monodomaine seront étudiées dans la partie suivante. Dans un retournement de type cohérent les moments restent parallèles. Cela est favorable en termes d’énergie d’échange mais cela induit des (pseudo)charges magnétiques sur la surface lorsque l’aimantation se trouve normale à l’axe de l’ellipsoïde (à la moitié du retournement) ce qui induit un coût magnétostatique. Ainsi l’énergie magnétique externe à fournir à un ellipsoïde monodomaine pour provoquer son renversement doit être suffisante pour vaincre les effets magnétostatiques cités ci-dessus ainsi que l’anisotropie uniaxiale. Lorsque l’ellipsoïde atteint un diamètre critique, le retournement s’opère via le mode curling (Figure 1.10) qui est également un mode de retournement délocalisé. Figure 1.10 : Illustration des différents modes de retournement de l’aimantation dans les ellipsoïdes. 𝑅𝑐 représente le rayon critique de la transition entre mode uniforme et le mode curling . 𝑅𝑆𝐷 représente le rayon critique au-dessus duquel l’aimantation de la particule s’organise en domaines. Issue de [5] Stoner et Wohlfarth [3] sont les premiers à exprimer la solution qui minimise l’énergie libre sous la contrainte de garder l’énergie d’échange constante durant le renversement de l’aimantation. Dans ce modèle, le potentiel ne dépend que de 𝜃 et est périodique de période 𝜋 (équation (1.20)). Les positions d’équilibres sont données dans la partie I,3.a), p.26 et développée en Annexe 1. Il est également possible de déduire une expression du champ de retournement de l’aimantation 𝐻𝑆𝑊 (switching field), ici identique à 𝐻𝑐 , en fonction de l’angle d’application du champ externe. Pour ce faire, il est nécessaire d’exprimer la variable 𝜃 , l’angle entre l’aimantation et l’axe de facile aimantation, en fonction de la variable 𝛾, l’angle entre le champ externe et l’axe de facile aimantation (Figure 1.5). Le calcul est bien détaillé par Sun et al. [5] en partant de l’équation (1.20)
Retournement délocalisé : le curling
Une particule soumise au retournement curling a toujours un rayon inférieur à 𝑅𝑆𝐷, le rayon critique de transition entre une particule monodomaine et une particule multidomaine. Cependant les dimensions de la particule sont suffisantes pour que, durant le retournement, l’angle autorisé entre moments voisins permette à l’aimantation de se décomposer en deux régions distinctes, par exemple une région où 𝑀 est alignée dans le plan équatoriale de l’ellipsoïde et une seconde où 𝑀 est alignée selon 𝑂𝑧. Durant le renversement de l’aimantation, en opposition avec la rotation cohérente, c’est la contribution de l’énergie démagnétisante qui domine. Les moments magnétiques adoptent des configurations qui compensent localement les charges magnétostatiques et ainsi minimisent leurs contributions énergétiques : les moments contenus dans le plan transverse de l’ellipsoïde forment des cercles autour de l’axe de la particule afin d’assurer la fermeture du flux magnétique (Figure 1.10). Le champ de nucléation d’une particule soumise à un retournement curling est calculé par la minimisation de l’énergie libre en introduisant cette fois un terme associé à l’échange. Dans le mode cohérent, les moments restent tous parallèles entre eux et l’échange a donc une contribution énergétique constante. Ici l’énergie de barrière contient un terme dû à l’interaction d’échange. La minimisation de l’énergie libre a été réalisée par de nombreux auteurs [29], [32], [33], et le champ de retournement déduit s’écrit: µ0𝐻𝑆𝑊 = 2𝐾𝑒𝑓𝑓 𝑀𝑆 − 𝑁𝑐µ0𝑀𝑆 + 𝑘 𝐴 𝑀𝑆𝑅² (1.38) Avec k une fonction du facteur de désaimantation 𝑁𝑐 et 𝑅 le rayon de l’ellipsoïde de révolution. Le mode de retournement curling s’identifie par l’aspect de la courbe 𝐻𝑆𝑊(γ), courbe verte de la Figure 1.11. Monodomaine ou multidomaine ? Rayon critique : monodomaine, vortex et multidomaine Il est intéressant de se poser la question des échelles de longueur de prédominance de chaque énergie. Pour ce faire, il suffit d’étudier le rapport des densités d’énergie magnétostatique et de l’énergie d’échange. La grandeur 𝐴 représente la rigidité de l’échange résultant de l’interaction d’échange entre un atome et ses plus proches voisins, grandeur exprimée en 𝐽. 𝑚−1 . Elle est à comparer avec l’anisotropie de forme, i.e. 𝐾𝑠ℎ𝑎𝑝𝑒 exprimée en 𝐽. 𝑚−3 . On définit ainsi la longueur d’échange qui représente la longueur sur laquelle l’échange prédomine. C’est la longueur minimale nécessaire pour voir apparaitre un gradient de l’angle que fait l’aimantation avec l’axe facile dans un ellipsoïde à grand rapport sans anisotropie magnétocristalline [34]–[37] : 𝑙𝑒𝑐ℎ = √ 𝐴 µ0𝑀𝑆 2 (1.39) 37 𝐴 est la rigidité de l’échange : 𝐴 = 𝑆 2 𝐽𝑎 2𝑁𝑣 2 et s’exprime en 𝐽. 𝑚−1 , S : la moyenne du spin électronique des atomes du matériau (ici 1 2 ), J : la constante d’échange, Nv : le nombre de premiers voisins, et a : la distance entre premiers voisins. L’anisotropie magnétocristalline est minimale lorsque les moments sont alignés avec la direction cristallographique préférentielle. L’énergie d’échange s’oppose au gradient de l‘aimantation. C’est pourquoi dans la description d’une paroi séparant deux domaines de Weiss ces deux énergies sont antagonistes : l’énergie magnétocristalline tend à réduire la largeur de la paroi de domaine alors que l’échange tend à la faire croitre.
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