Examens et écoles préparant à la passerelle Dubs
En fait, chaque titulaire d’une maturité professionnelle peut se présenter aux examens de la passerelle Dubs en autodidacte. Ces personnes restent cependant des cas isolés. La très grande majorité se prépare dans des écoles publiques ou privées, avec des cursus qui durent entre six mois et une année et demie. Le Secrétariat d’Etat à la Formation, à la Recherche et à l’Innovation (SEFRI, 2014) recense quatorze écoles publiques pour l’ensemble de la Suisse qui préparent à la passerelle et font passer les examens à l’interne. Pour la Suisse romande, il s’agit du Gymnase de Provence/Gymnase du soir à Lausanne (VD), du Collège pour adultes Alice-Rivaz à Genève (GE), du Gymnase français de Bienne (BE, JU, NE) et du Collège Saint-Michel (FR). Pour ces écoles publiques, les écolages varient assez fortement: à Lausanne par exemple, il faut compter 790 francs pour l’année, alors qu’à Bienne l’étudiant doit débourser 3’200 francs (en fait jusqu’à 9’800 francs s’il vient d’un autre canton que ceux de Berne, Jura, Neuchâtel).
Dans le canton de Vaud, des cursus de jour (maximum 2 classes) et du soir (maximum 2 classes) sont proposés au Gymnase de Provence. Pour l’année scolaire 2012/2013, 106 personnes (dont 50 dans les classes du soir) se sont inscrites pour suivre les cours publics dispensés à Lausanne, selon les indications d’Olivier Maggioni, directeur du Gymnase du soir. En cours d’année, 34 élèves (dont 26 dans les classes du soir) ont abandonné, 72 étudiants se sont présentés aux examens (dont 24 préparés dans les classes du soir) et 7 (aucun dans les classes du soir) ont échoué. A côté des écoles publiques, le SEFRI recense huit écoles privées qui préparent à l’examen. En Suisse romande, il s’agit des écoles PrEP et l’Ecole du Flon à Lausanne, de l’EPSU (Ecole de préparation et soutien universitaire) à Genève, ainsi que des «Cours Perreten», un établissement d’enseignement à distance basé à Echallens.
Comme l’explique Albert Grun, fondateur et directeur de l’école PrEP, son établissement a été le premier à préparer aux examens en six mois, prenant pratiquement Berne par surprise en présentant déjà en février 2005 une première volée d’étudiants. Aujourd’hui, l’école PrEP compte entre 95 et 105 étudiants à la rentrée de septembre, et un peu plus de 50 au semestre de printemps. Parmi ces 50 étudiants, on compte alors environ 30 redoublants. Dans cet établissement, les étudiants assidus (critère: présence aux cours) qui n’ont pas réussi leurs examens au premier essai, peuvent suivre un second semestre sans devoir repayer d’écolage. L’examen de la passerelle autorise au maximum deux essais. A l’école PrEP, les coûts se montent à 6890 francs pour six mois, un montant qui peut également être versé par tranches. S’ajoutent à cela les frais d’inscription aux examens, qui se chiffrent en 2014 à 700 francs.
Un modèle de transitions en psychologie socio-culturelle
Selon Valsiner (2012, p. 2) «le but de la psychologie culturelle (ou socio-culturelle) consiste à expliquer comment les constructions culturelles humaines – des rituels, des significations, des stéréotypes par exemple – organisent et dirigent des actions, des émotions et des pensées dans des contextes sociaux différents». Elle s’intéresse à la manière dont les personnes rendent la réalité signifiante, aux interactions sociales, ainsi qu’aux objets et signes (comme le langage) qui médiatisent leur rapport au réel et à autrui (Zittoun, 2012). Dans ce cadre-là, l’étude des transitions s’intéresse aux événements impliquant des changements de grande importance durant le parcours de vie d’un individu, des «points de bifurcations suivis de changements ou de périodes de réinvention» par exemple (Zittoun, 2012, p. 264). Dans notre cas, il s’agit d’un projet d’orientation professionnelle précédé par un projet d’orientation scolaire (Boutinet, 2012). Le cadre de l’étude des transitions en psychologie socio-culturelle est posé par Zittoun (2012) de la manière suivante (voir graphique 1 en p. 10): «Trois types de processus peuvent être reconnus dès que s’engagent des transitions: des processus d’apprentissage et de construction de connaissances qui permettent de développer de nouvelles manières de comprendre et d’agir; des dynamiques de changement identitaire, qui sont liées à de nouvelles relations sociales, à des enjeux de reconnaissance et d’estime de soi; et des processus de construction de sens de la rupture, qui permettent à la personne d’en gérer les émotions et de les situer dans un champ de valeurs ou de les inscrire dans un récit de soi.» (p. 263)
Eclairons par l’exemple la théorie ainsi que le modèle visuel (graphique 1 en p. 10) de Zittoun (2012): si une personne suit des cours du soir, cette formation aura une influence dans le domaine des connaissances (en bas du cercle). Cet accroissement de compétences pourra entraîner une amélioration de la perception de soi-même et également du regard des autres (changements dans le domaine de l’identité). Enfin, grâce aux nouvelles connaissances acquises et forte de l’équilibre intérieur ressenti, la personne pourra construire de nouveaux projets, par exemple prétendre à accéder à un poste avec plus de responsabilités (construction de sens). Pour compléter ce modèle des transitions, Zittoun (2012) détaille les ressources qui facilitent le passage des périodes de transition (voir le bas du graphique 1 en page 10). Tout d’abord, la personne peut faire appel à une expérience personnelle passée (pour réussir un examen, l’étudiant peut appliquer les méthodes fructueuses utilisées lors de précédente interrogations par exemple). Des dispositifs d’accompagnement (institutionnels) peuvent également faciliter ces passages. Les personnes en phase de transition font également appel à des ressources symboliques (livres, films par exemple que les personnes en phase de transition lient à leur propre vécu).
Enfin, les relations à autrui peuvent prendre une importance capitale: les décisions peuvent faire l’objet de dialogues avec des proches ou des professionnels (enseignants, conseillers en orientation, psychologues…), et ces discussions permettent souvent aux personnes concernées de prendre du recul par rapport aux situations vécues. Dans ce cadre théorique de la transition et des ressources de Zittoun (2012), nous nous sommes donc posés la question suivante (pour l’élaboration du canevas d’entretien qui en a découlé, voir le chapitre méthodologie): «Durant cette période de transition, quels événements marquants ont été vécus par d’anciens élèves de la passerelle Dubs, dans les domaines de l’acquisition de connaissances, du remaniement identitaire et de la construction de sens?» Les résultats et la discussion des données sont présentés au chapitre 4. Au chapitre 5, des recommandations sont faites concernant l’utilisation de ces résultats dans la pratique enseignante.
Henri: un projet confirmé par des rencontres personnelles Depuis l’âge de 14 ans, Henri est attiré par le métier de psychanalyste. Lui-même a fréquenté des spécialistes de ce domaine, il a apprécié l’écoute qu’on lui a accordée. Même s’il ne lie pas son projet professionnel au psychanalyste qu’il va voir de temps en temps, il reconnaît chez cette personne les qualités qu’il voudrait vouloir posséder une fois qu’il travaillera dans ce domaine: principalement un sens de la droiture et de l’équité. Au cours de son parcours, Henri s’est déjà un peu rapproché de son domaine de prédilection. Il a complété un diplôme de culture générale par un CFC d’assistant socio-éducatif (ASE).
Dans ce cadre-là, pendant une année, il a travaillé comme animateur dans un Etablissement médico-social (EMS). L’examen pratique du CFC a été son premier grand stress, plus tard, les examens de la passerelle Dubs lui ont également causé quelques sueurs froides. Une semaine et demie avant les examens, il en a parlé au directeur de l’école PrEP, et après avoir analysé la situation avec lui, ils ont convenu qu’au pire il devrait refaire une partie des examens (les notes en-dessus de cinq sont acquises). Avec le soutien également de la médiatrice de l’école («une personne incroyable»), il s’est présenté aux examens et a réussi au premier essai. Même si certaines matières en passerelle Dubs étaient nouvelles pour lui, en ce qui concerne les méthodes de travail, il pense plutôt avoir fait appel à celles acquises durant son apprentissage et son passage en maturité avant de rejoindre les classes de diplôme de culture générale.
Les bases des techniques de prise de note, il les a ainsi acquises à l’école et les a ensuite peaufinées durant son apprentissage à l’EMS, où il devait participer à de nombreuses réunions de travail. Il dit de son année dans cette maison de retraite qu’elle a été pour lui une école de vie: cette expérience lui a inculqué la discipline, à se lever le matin, à arriver à l’heure au travail. Durant sa passerelle Dubs, il a ensuite appris à se donner un horaire de travail: maintenant il essaie d’étudier de manière intense jusqu’à 19h00-20h00, sans faire de pause. «Car, quand je m’arrête, je n’arrive plus à recommencer». Aujourd’hui, à 22 ans, il nourrit de grandes ambitions pour ses études de psychologie à l’Université de Lausanne. Dès le début, il désire obtenir de bonnes notes pour ensuite faire un master dans une Université étrangère. Et quand on lui demande, s’il a changé depuis qu’il aspire à devenir psychanalyste, il reste très pragmatique : «en fait, j’ai certes fait un pas vers ce métier. Mais il reste encore des études universitaires et un stage professionnel à réussir, et ensuite un cabinet à ouvrir». Si Henri s’est fixé des buts ambitieux, il préfère pourtant ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué.
1. Introduction |