Étude sur les têtes de bassin versant en Finistère
La notion de têtes de bassin versant
Des définitions multiples dans la bibliographie scientifique
D’une manière générale, les têtes de bassin versant représentent les extrémités amont du réseau hydrographique (Le Bihan, 2009). Au travers de la bibliographie scientifique, le terme de tête de bassin versant présente une diversité de définitions, basées sur différents critères. Il apparaît important de noter que ces critères se rattachent parfois à une vision surfacique et parfois à une vision linéaire liée aux cours d’eau de têtes de bassin. Ainsi, Adams et Spotila (2005) tiennent compte de la superficie du bassin versant en estimant que les têtes de bassin correspondent à des bassins inférieurs à 2 km². Pour Brummer et Montgomry (2003) et MacDonald et Coe (2007), il s’agit de bassins inférieurs à 10 km² et pour Meyer et al. (2003) il est question de bassins inférieurs à 50 km² (Le Bihan et Ledouble, 2017). Uchida et al. (2005) renvoient à un critère hydromorphologique en considérant que les têtes de bassin constituent les secteurs à l’amont de la « zone de sédimentation dominante ». Wipfli et al. (2007) considèrent un gabarit de lit mineur généralement inférieur à 1 mètre de large. D’autres auteurs s’appuient sur la classification de Strahler(figure 1). C’est une manière de hiérarchiser l’ensemble des drains ou des branches du réseau hydrographique en attribuant une valeur entière à chacun. Cette valeur caractérise l’importance de chaque drain. La classification est basée sur les principes suivants : la valeur de 1 est attribuée à tout drain qui n’a pas d’affluent et un drain d’ordre n+1 est issu de la confluence de deux drains du même ordre n. De plus, si à une confluence un ordre inférieur rejoint un ordre supérieur alors c’est la valeur de l’ordre supérieur qui est conservée pour être attribuée au drain issu de la confluence. Figure 1 : Exemple d’ordination de Strahler Sur cette base, des auteurs américains définissent les cours d’eau de têtes de bassin comme les cours d’eau de rang 1 à l’échelle 1 : 100 000 (Alexander et al., 2007 ; Nadeau et Rains, 2007) alors que Meyer et al. (2003) élargissent cette définition aux zones de source (rang 0) ainsi qu’aux rangs 1 et 2 à l’échelle 1 : 24 000. De plus, les auteurs scientifiques s’accordent sur le fait que les cours d’eau de tête de bassin représentent un linéaire important du réseau hydrographique, généralement compris entre 60 et 80% (Meyer et al., 2003, Benda et al., 2005). Cela revient également à considérer une surface cumulée importante du bassin versant qui se situe en tête de bassin (ordres de grandeur proches en termes de pourcentage, Conservatoire d’espaces naturels Limousin, 2017).
Des fonctions essentielles pour l’hydrosystème bassin versant
Malgré la difficulté de définir ce qu’est une tête de bassin, les auteurs scientifiques reconnaissent et s’accordent sur leurs caractéristiques structurelles et fonctionnelles particulières qui les distinguent des écosystèmes avals (Tixier et al., 2012). En effet, leur position à l’amont et leur abondance spatiale leur confèrent un rôle fondamental au sein du bassin versant. Les deux entités associées aux têtes de bassin les plus souvent décrites dans la bibliographie sont les cours d’eau et les zones humides. Néanmoins, pour le moment, la littérature s’est davantage focalisée sur les cours d’eau de têtes de bassin que sur les zones humides. Rapport de stage de fin d’études, Les têtes de bassin versant interviennent à la fois dans les processus d’alimentation en eau et de régulation des flux d’eau. En ce sens, elles sont comparables au fonctionnement d’un château d’eau ou d’une éponge (Salpin, 2016a). D’une part, les précipitations sont souvent plus importantes en têtes de bassin et d’autre part, les cours d’eau de tête de bassin représentent la majorité du réseau hydrographique. Ainsi, ils participent grandement à l’approvisionnement en eau de l’aval. Par ailleurs, tout comme les zones humides, les cours d’eau de tête de bassin grâce à leur petite taille, leur forme et leur rugosité, réduisent les vitesses d’écoulement, régulent les régimes hydrologiques et écrêtent les pointes de crue (Meyer et al., 2003). Ce phénomène est particulièrement marqué pour les cours d’eau ayant des faibles valeurs de pente (<1%) car ils développent un tracé méandrifome (Salpin, 2016a). De plus, les zones humides de têtes de bassin constituent des réservoirs hydrographiques de première importance et ont un rôle stratégique dans l’alimentation des cours d’eau (DREAL, diagnostic et enjeux, 2015). En effet, elles sont capables d’absorber d’importantes quantités d’eau notamment lors des évènements pluvieux (Mac Cartney et al., 1998 in Le Bihan, 2016) qu’elles restituent en permettant l’atténuation des étiages. Enfin, les zones humides et les cours d’eau de têtes de bassin ont un rôle particulièrement important à jouer dans la recharge des eaux souterraines. En effet, elles présentent une plus large surface de sol en contact avec de l’eau disponible, donc donnent une plus grande opportunité de recharge des eaux souterraines (Meyer et al., 2003). Fonction hydromorphologique Du point de vue de l’hydromorphologie les têtes de bassin versant sont considérées comme des zones dites « réceptacles » et « émettrices », où l’eau et les sédiments sont introduits dans le système. Elles constituent un « sous-hydrosystème » essentiel à l’alimentation en flux sédimentaire de l’hydrosystème global (Tixier et al., 2012 Melun, 2015). D’une façon générale il est possible d’identifier deux principaux types de têtes de bassin du point de vue de la dynamique hydromorphologique (Melun, 2015) : • Des zones de fortes pentes où les chenaux sont subrectilignes, la charge sédimentaire grossière (blocs anguleux, cailloux) avec peu ou pas de végétation. • Des secteurs où les pentes sont plus faibles, les sédiments fins prédominent et la végétation se développe largement. Les chenaux peuvent y être méandriformes. Fonction trophique Dans la bibliographie, les cours d’eau de tête de bassin sont considérés comme la porte d’entrée de la matière organique et minérale dans l’hydrosystème grâce aux apports allochtones issus des habitats ripariens et du bassin versant environnant (Meyer et Wallace, 2001 in Tixier et al., 2012, Wilpfi et al., 2007, Spitoni, 2012). En effet, plus le cours d’eau est de taille réduite, plus l’influence du milieu terrestre est importante et plus les apports allochtones relatifs au volume d’eau du cours d’eau sont importants (Gomi et al., 2002 in Tixier et al., 2012). Sur la base de ces apports, les organismes du premier niveau de la chaîne trophique se développent (les champignons, les bactéries et les invertébrés) et dégradent cette matière en forme assimilable (Choucard, 2011). La disponibilité de cette source d’énergie issue de la matière organique recyclée (Choucard, 2011, Meyer et al., 2003) conditionne et supporte le fonctionnement et la productivité des écosystèmes avals. Fonction épuratrice Les têtes de bassin grâce aux cours d’eau et à leurs zones humides associées ont des capacités d’autoépuration particulièrement importantes vis-à-vis du reste du bassin versant notamment par rapport à la dénitrification (Meyer et al., 2003 ; Le Bihan, 2016). En effet, une part d’eau plus importante est en contact direct avec le lit du cours d’eau où se produisent les différents processus physiques, biologiques et chimiques de transformation.
Des caractéristiques qui rendent les têtes de bassin vulnérables et peu résilientes
Pour assurer l’ensemble de ces fonctions, les têtes de bassin versant présentent des caractéristiques spéciales qui les rendent particulièrement vulnérables et très peu résilientes face aux pressions humaines qui peuvent être nombreuses en têtes de bassin. Certains auteurs ont remarqué que les interventions et les travaux d’aménagement sur les cours d’eau de tête de bassin sont majoritaires (Bishop et al., 2008 et Le Bihan, 2009). En effet, les petits cours d’eau sont facilement aménageables de par leur caractère intermittent et leur petite taille, ils ne sont pas toujours cartographiés ou recensés et donc peu considérés par les populations locales ou la réglementation (Henner, 2013). Ainsi, ces cours d’eau peuvent être rectifiés, endigués, déplacés, busés ou de façon plus extrême, enterrés pour favoriser les activités humaines environnantes (déplacement, agriculture, sylviculture, urbanisation, …). Dans ce même objectif, les zones humides de têtes de bassin peuvent être drainées, comblées (remblai) ou creusées pour l’aménagement de plans d’eau et le bocage tout comme la ripisylve, supprimés. De plus, les activités agricoles sont sources de pollutions diffuses en nutriments et en produits phytosanitaires, ce qui entraine une dégradation de la qualité de l’eau et des risques d’eutrophisation. Or, d’après Lhéritier (2012), en têtes de bassin, les terres arables constituent la majorité de l’occupation du sol. Les pratiques liées à la sylviculture peuvent également altérer le fonctionnement des têtes de bassin par l’implantation d’espèces inadaptées et la mise en place de drainage (Henner, 2013). De même, les têtes de bassin sont perturbées par l’introduction d’espèces exotiques, ce qui est particulièrement néfaste sur ces milieux car ils constituent des zones de refuge et de nurseries pour beaucoup d’espèces. Ces altérations, bien que communes avec le reste du bassin versant, ont des conséquences particulièrement néfastes en têtes de bassin. D’une part, elles sont présentes sur des milieux particulièrement vulnérables de par leur faible capacité de récupération et du fait que ces pressions ont tendance à se cumuler sur ces milieux. D’autre part, ces altérations sont localisées sur l’amont des bassins versants, à la source d’alimentation des eaux du réseau hydrographique et elles ont ensuite des répercutions sur l’ensemble du bassin versant, également de manière cumulée, ce qui amplifie l’état des dégradations. Par exemple, l’imperméabilisation des sols autour des cours d’eau accentue le ruissellement et les flux de charges polluantes. L’enterrement ou l’endiguement des cours d’eau empêche le contact entre l’eau et le milieu environnant (déconnexion de la zone hyporhérique et des zones humides d’accompagnement), ce qui bloque la purification de l’eau par la zone hyporhéique et la recharge de nappe (Meyer et al., 2003 ; Choucard, 2011). Quand les têtes de bassin ne fonctionnent pas normalement, les rivières en aval présentent une qualité d’eau plus pauvre (pollutions par les fertilisants, les produits phytosanitaires et les excès de sédiments), un maintien de l’écoulement moins durable (soutien d’étiage), des crues plus fréquentes et/ou plus intenses et une diversité aquatique moins importante (Meyer et al., 2003). Un dernier point qu’il est important de souligner est que les cours d’eau de tête de bassin sont souvent moins connus que les autres cours d’eau, à la fois en termes de fonctionnement et surtout en termes de linéaires. Cela pose des limites vis-à-vis de la démarche de prise en compte des têtes de bassin. En ce sens, dans un article, Bishop et al., nomment les cours d’eau de têtes de bassin, les « eaux inconnues » (Bishop et al., 2008).
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