Étude sur les cardinalités des interactions

Étude sur les cardinalités des interactions

Des interactions simples suffisent-elles à modéliser des comportements complexes ?

Un phénomène réel peut être modélisé de manière arbitrairement complexe, en particulier si l’on cherche à en représenter les moindres détails. Bien que de tels modèles soient réalistes, ils n’offrent pas pour autant une « bonne » explication au phénomène puisqu’il y est difficile d’identifier les éléments ayant une réelle influence sur l’apparition du phénomène. Ainsi, un modèle formel offrant des concepts arbitrairement complexes ne fournit pas systématiquement de meilleurs explications à un phénomène que des modèles simples. La représentation des connaissances doit donc maximiser le rapport entre simplicité du modèle et ensemble des simulations pouvant être spécifiées. Puisque les actions impliquant simultanément plusieurs agents ne sont pas modélisées sous la forme d’interactions dans les approches actuelles, ces dernières éludent un problème pourtant réel, apparaissant explicitement dans notre approche centrée sur les interaction : « Des interactions simples suffisent-elles à exprimer des comportements complexes ? ». Dans la description de IODA fournie dans la partie précédente, la cardinalité des interactions est restreinte à un unique agent source, et à aucun ou un seul agent cible. Bien que ces interactions soient particulièrement adéquates pour représenter des interactions impliquant au plus deux agents, qu’en est-il des interactions en impliquant plus ? On peut en effet aisément imaginer des cas où plus de deux agents participent à une interaction : – une réaction chimique catalysée par une enzyme, dans laquelle plus de deux substrats sont impliqués ; – le transport d’un objet volumineux (par exemple une armoire), qui ne peut être transporté que par plusieurs personnes ; – une bombe qui explose et blesse tous êtres vivants situés dans un certain périmètre ; – un malade qui propage une maladie au contact d’autres personnes ; – une parcelle de l’environnement qui transfère une part des phéromones qu’elle contient aux parcelles lui étant contiguës. Dans cette section, nous discutons ce point, et montrons en quoi il est possible de représenter la plupart des interactions de cardinalité (n, m) ∈ N 2 uniquement à l’aide d’interactions de cardinalité (1,1) et (1,0). Nous nous appuyons pour cela sur les exemples mentionnés ci-avant, et nous en déduisons deux modèles génériques permettant de décomposer une interaction en un ensemble d’interactions plus simples. 

Problème de coordination 

Dans cette première section, nous étudions comment modéliser deux phénomènes impliquant des interactions de cardinalité (n, m) ∈ N 2 , dans deux domaines d’application différents. Dans un premier temps, nous nous intéressons à la modélisation du transport d’un objet volumineux par plusieurs personnes, et donc à la modélisation d’interactions de cardinalité (n, 1), avec n ∈ N. Dans un second temps, nous étudions comment modéliser des réactions enzymatiques en biochimie, ce qui nous amène à considérer comment décomposer des interactions de cardinalité (1, n), avec n ∈ N. Ces deux études nous amènent à identifier un premier modèle générique permettant de décomposer toute interaction en un ensemble d’interactions de cardinalité (1,1) et (1,0), que nous présentons dans la section qui suit. Modélisation du transport d’un objet volumineux Nous illustrons la modélisation d’interactions impliquant plusieurs sources et une cible dans le contexte de simulations où un objet volumineux, par exemple une armoire, ne peut être déplacé que par les efforts conjoints de n ∈ N personnes. Ce phénomène peut être représenté dans IODA en modélisant les personnes par une famille d’agents Personne, en modélisant l’armoire par une famille d’agents Armoire, et en modélisant le déplacement de l’armoire par une interaction Transport, de cardinalité (n,1). La restriction des cardinalités effectuées dans la description du modèle IODA ne permet pas de modéliser une interaction de cardinalité (n,1). Il est toutefois possible de modéliser ce phénomène à l’aide d’interactions de cardinalité (1,1) et (1,0), et s’affranchir ainsi de la limitation des cardinalités. Pour s’en convaincre, nous nous intéressons plus en détails au phénomène lié à cette interaction. Le déplacement d’une armoire par n personnes est un problème de coordination. Une fois les personnes nécessaires rassemblées, le déplacement de l’armoire peut être effectué. Modéliser ce processus avec IODA consiste par exemple à modéliser une personne par une famille d’agents Personne, une armoire par une famille d’agents Armoire, et un rassemblement de personnes par une famille d’agents Rassemblement. Le transport d’une armoire est décomposé en quatre phases, résumées sur la matrice d’interaction brute de la figure 6.1. même, dont l’objectif est de transporter une armoire située à proximité (interaction Créer Rassemblement de la figure 6.1). Lors de la seconde phase, chaque personne souhaitant aider au transport de l’armoire rejoint le rassemblement de personnes, en initiant l’interaction Rejoindre. Une fois que le rassemblement est suffisamment conséquent pour transporter l’armoire, le rassemblement de personnes déplace l’armoire à l’endroit souhaité en initiant l’interaction Déplacer. La dernière phase consiste à dissoudre le rassemblement de personnes en initiant l’interaction Dissoudre. Ce modèle montre qu’il est possible de décomposer une interaction de cardinalité (n, 1) en trois interactions de cardinalité (1,1), et une interaction de cardinalité (1,0). La restriction des cardinalités énoncée dans le chapitre 3 n’empêche donc pas la modélisation de phénomènes impliquant ce type d’interactions. 

Modélisation de réactions chimiques

Nous illustrons la modélisation d’interactions entre une source et plusieurs cibles dans le contexte de la biochimie. Plus précisément, nous nous intéressons à la modélisation de réactions chimiques impliquant une enzyme. Le rôle d’une enzyme dans une réaction chimique est d’accélérer la formation d’un ensemble de molécules, appelé produit, à partir d’un ensemble de molécules appelé substrat. Ces réactions chimiques prennent donc la forme générale : Enzyme + Substrat → Enzyme + P roduit L’interaction entre l’enzyme et le substrat a pour effet de transformer le substrat en produit. Ce phénomène peut donc être représenté dans IODA en modélisant l’enzyme par un agent, chaque molécule du substrat par un agent, et en représentant la réaction chimique sous la forme d’une interaction dont la source est l’enzyme, dont les cibles sont les molécules du substrat, et dont les actions consistent à retirer de l’environnement les molécules du substrat, et d’y ajouter les molécules du produit. Si le substrat est formé de deux molécules, que l’on note A et B, et que le produit est un complexe, que l’on note C, alors la réaction chimique prend la forme : Enzyme + A + B → Enzyme + C Les agents y sont les espèces chimiques Enzyme, A, B et C, et la réaction chimique y est une interaction Associer, dont la cardinalité est (1,2), qui consiste à retirer de l’environnement ses deux cibles, et à créer une troisième entité correspondant à l’association de ses deux cibles. La restriction des cardinalités effectuées dans la description du modèle IODA ne permettent pas de modéliser une interaction de cardinalité (1,2). Il est toutefois possible de modéliser ce phénomène avec des interactions de cardinalité (1,1) et (1,0), et donc de s’affranchir de la limitation des cardinalités. Pour s’en convaincre, nous proposons d’étudier plus en détails le phénomène lié à cette réaction chimique. En nous basant sur cette décomposition, nous proposons un modèle permettant de décrire l’association de respectivement deux et trois molécules de substrat, en n’utilisant que des interaction permises par la restriction des cardinalités émise dans le chapitre 3.

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Décomposition d’une réaction chimique contenant deux molécules de substrat 

Une réaction chimique a lieu entre les molécules d’un substrat lorsque ces dernières restent suffisamment longtemps dans une configuration spatiale particulière. Une enzyme est une protéine qui catalyse les réactions chimiques en favorisant le contact entre les molécules du substrat. Elle dispose pour cela d’un site actif, sur lequel les molécules du substrat peuvent venir se fixer (voir figure 6.2). D’après ces informations, cette réaction chimique peut être décomposée en cinq réactions chimiques plus simples. En posant Enzyme-A (resp. Enzyme-B et Enzyme-A-B) une protéine contenant une enzyme sur le site actif de laquelle est fixée une molécule A (resp. B et C), ces réactions sont : Enzyme + A → Enzyme-A (6.1) Enzyme + B → Enzyme-B (6.2) Enzyme-A + B → Enzyme-A-B (6.3) Enzyme-B + A → Enzyme-A-B (6.4) Enzyme-A-B → Enzyme + C (6.5) .Les réactions 6.1 et 6.2 décrivent le fait qu’une molécule du substrat peut venir se fixer sur le site actif d’une enzyme, ce qui aura pour résultat de créer une protéine complexe contenant à la fois l’enzyme et une molécule de substrat. Les réactions 6.3 et 6.4 décrivent le fait que la seconde molécule du substrat peut venir se fixer sur l’espace restant du site actif d’une enzyme, ce qui aura pour résultat de créer une protéine complexe contenant l’enzyme et le substrat. Enfin, la réaction 6.5 décrit la décomposition de la protéine complexe en une enzyme et le produit de la réaction chimique. Ces nouvelles réactions font apparaître six espèces chimiques, et cinq réactions. Un modèle IODA possible contient alors six familles d’agents (qui représentent chacune une espèce chimique), et de cinq interactions (qui représentent chacune une réaction). Les réactions 6.1, 6.2, 6.3 et 6.4 ne font réagir que deux espèces chimiques. Par conséquent, elles sont représentées dans IODA à l’aide d’interactions de cardinalité (1,1). De plus, la réaction 6.5 ne fait réagir qu’une seule espèce chimique. Elle est donc représentée à l’aide d’une interaction de cardinalité (1,0). La matrice d’interaction brute de la figure 6.3 résume ce que nous énonçons ici, sous l’hypothèse qu’une molécule A (resp. B) peut se fixer sur le site actif de l’enzyme que si la distance entre cette molécule et l’enzyme est inférieure ou égale à δA (resp. δB).Il est donc possible de décomposer l’interaction Associer de cardinalité (1,2) en un ensemble d’interactions de cardinalité (1,1) et (1,0). Cette décomposition peut de plus se généraliser à des réactions chimiques impliquant plus de deux molécules de substrat. Nous en donnons l’exemple avec une réaction chimique dont le substrat contient trois molécules.

Décomposition d’une réaction chimique contenant trois molécules de substrat

Considérons la réaction chimique suivante, ayant pour substrat trois molécules A, B et C, et pour produit un complexe D : Enzyme + A + B + C → Enzyme + D 6.1. Des interactions simples suffisent-elles à modéliser des comportements complexes ? 165 Cette réaction chimique peut être décomposée en un ensemble de réactions ne faisant réagir à chaque fois au plus deux espèces chimiques : Enzyme + A → Enzyme-A (6.6) Enzyme + B → Enzyme-B (6.7) Enzyme + C → Enzyme-C (6.8) Enzyme-A + B → Enzyme-A-B (6.9) Enzyme-A + C → Enzyme-A-C (6.10) Enzyme-B + A → Enzyme-A-B (6.11) Enzyme-B + C → Enzyme-B-C (6.12) Enzyme-C + A → Enzyme-A-C (6.13) Enzyme-C + B → Enzyme-B-C (6.14) Enzyme-A-C + B → Enzyme-A-B-C (6.15) Enzyme-A-B + C → Enzyme-A-B-C (6.16) Enzyme-B-C + A → Enzyme-A-B-C (6.17) Enzyme-A-B-C → Enzyme + D (6.18) En construisant le modèle IODA de cette réaction chimique selon les principes énoncés précédemment, l’interaction de cardinalité (1,3) impliquant les trois espèces chimiques A, B et C est décomposée en 11 familles d’agents, 12 interactions de cardinalité (1,1), et une interaction de cardinalité (1,0). Ce modèle est résumé sur la matrice d’interaction brute de la figure 6.4.

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