Étude sur la protection des écosystèmes
terrestres
DE LA PROBLÉMATIQUE AUX THÉORIES ET MODÈLE D’ANALYSE
La récente conférence des Nations Unies tenue du 18 au 29 octobre 2010 à Nagoya (Japon) sur la biodiversité aura montré, une fois de plus, la nécessité et même l’urgence de protéger l’écosystème naturel. Elle a également révélé la dynamique des rapports entre l’homme et son milieu naturel, entre les sociétés du monde et l’environnement vu et utilisé seulement comme un gisement de ressources exploitables à volonté. En effet, s’agissant par exemple du déboisement dans le monde, le PNUE97, dans son rapport présenté le 5 juin 2009 à Mexico, à l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement, a estimé l’étendue globale tropicale de déforestation entre 6,5 et 14,8 millions d’hectares par an, avec un volume de carbone estimé entre 0,8 et 2,2 Gt (Giga tonnes) émis annuellement dans l’atmosphère. Cette étude rejoint celle de la FAO98 qui avait déclaré déjà dans son rapport de 1997 que plus de 150 000 km2 de forêts tropicales disparaissaient chaque année. Les causes essentielles sont : la croissance démographique, le surpâturage, le déboisement excessif, la pollution atmosphérique, l’exploitation minière et l’extraction pétrolière. L’on comprend alors les raisons qui ont conduit l’ONU à créer, en 1970, une institution en charge de la protection de l’environnement : la CNUED (Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement). Celle-ci doit, entre autres objectifs, veiller à faire adopter par les différents États membres de l’ONU des conventions de protection de l’environnement. Déjà avant la CNUED, fut créée l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) en octobre 1948 sous la dénomination Union Internationale pour la Protection de la Nature (UNPN). C’est dire que la conscience de la protection de l’environnement était née. Cependant, la définition de l’environnement n’est pas simple parce qu’il s’agit d’une réalité multidimensionnelle, abordable sous plusieurs angles. Ces angles, à leur tour, sont différents suivant les disciplines scientifiques : sciences environnementales et sciences sociales. Disons simplement que l’environnement est à la fois le milieu physique, les hommes et l’ensemble des relations dynamiques qui les lie. Le thème de notre recherche trouve sa pertinence dans ce croisement d’interactions. Ainsi, pour notre part, et conformément à la discipline scientifique qui est la nôtre, à savoir la sociologie, la problématique de la question environnementale, et plus spécifiquement des écosystèmes, doit toujours se construire dans le cadre de cette interaction dynamique homme-nature ou sociétés-nature. En effet, les problèmes actuels de vulnérabilité de l’homme et de dégradation des écosystèmes sont les résultats tangibles de la relation sociétés-nature. Ainsi que l’écrit Louis Guay, il faut voir la question écologique d’aujourd’hui comme notre rapport à la nature qui est devenu problématique. Problématique parce que les activités humaines bien qu’elles aient de tout temps eu un impact sur la nature, menacent l’intégrité de la biosphère, à différentes échelles, et produisent, parce que nous ne sommes pas indifférents à la dégradation de l’environnement, une réponse sociopolitique.99 Cette réponse sociopolitique se trouve dans les initiatives ou tentatives de protection de l’écosystème engagées par des acteurs multiples (États, ONG, Associations, partis politiques, collectivités et individus) à différents niveaux : mondial ou international, national et local. Au niveau mondial et international, la réponse sociopolitique à la protection de l’environnement se définit en termes de coopération entre les différents États sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies qui veille à la signature et à la ratification de conventions. C’est ainsi que l’Agenda 21 (ou Action 21) adopté au Sommet de la terre à Rio en 1992100 consacre 14 chapitres à l’inventaire des domaines d’intervention où cette coopération permettra la « conservation et la gestion des ressources aux fins de développement » (Section II). Loin d’envisager la tâche fastidieuse de les présenter dans le détail, nous nous contentons ici d’énoncer quelques chapitres intéressant notre problématique : – Conception intégrée de la planification et de la gestion des terres (ch 10) ; – Lutte contre le déboisement (ch 11), – Gestion des écosystèmes fragiles : lutte contre la désertification et la sécheresse (ch 12) ; – Préservation de la diversité biologique (Ch 15). Pour chaque domaine d’activité, le Sommet de Rio fait d’abord le constat du comportement humain défavorable à l’environnement avant d’indiquer l’action à entreprendre. Ainsi, en même temps que les terres sont exploitées à des fins diverses, elles engendrent des conflits. D’où la nécessaire « intégration de l’aménagement du territoire et de la planification et de la gestion dans l’utilisation des sols ». Par ailleurs, s’agissant de la lutte contre le déboisement, le souci de l’Organisation des Nations Unies est de « promouvoir les rôles et fonctions multiples de tous les types de forêts, terres forestières et surfaces boisées » en renforçant les mécanismes institutionnels et les capacités humaines : Les gouvernements, intervenant à un niveau suffisamment élevé et agissant, le cas échéant, avec le soutien des organisations sous- régionales, régionales et internationales, devraient renforcer les moyens institutionnels de promouvoir les rôles et fonctions multiples de tous les types de forêts et de végétation, y compris les ressources connexes provenant des terres et des forêts, en vue du développement durable et de la protection de l’environnement dans tous les secteurs. 101 La lutte contre le déboisement, la désertification et la sécheresse, en intégrant la préservation de la diversité biologique, participe de la gestion durable des écosystèmes fragiles. En effet, « Les écosystèmes naturels que sont les forêts, les savanes, les pâturages et terres de parcours, les déserts, les toundras, les cours d’eau, les lacs et les mers sont un vivant témoignage de la diversité biologique de la Terre » 102. Appel est donc fait aux gouvernements pour qu’ils prennent des mesures en vue de la protection in situ et ex situ des espèces, avec la coopération d’organismes internationaux et la participation des collectivités locales. En définitive, l’objectif général des activités étant le développement durable, il reste entendu que les domaines ne sont pas en vase clos, mais sont liés entre eux. C’est pourquoi déjà en 1972, la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED), tenue à Stockholm, avait une vision globale de la protection des ressources naturelles : « Les ressources naturelles du globe, y compris l’air, l’eau, la terre, la flore et la faune, et particulièrement les échantillons représentatifs des écosystèmes naturels, doivent être préservés dans l’intérêt des générations présentes et à venir par une planification ou une gestion attentive selon que de besoin ». Mais si le principe est acquis, les moyens de mise en œuvre de cette vision ne sont pas souvent évidents. C’est pourquoi, au regard de l’ampleur de la tâche et de la multiplicité des domaines d’intervention, l’Agenda 21 de Rio 92 précise dès le premier paragraphe de son préambule : « aucun pays ne saurait réaliser tout cela à lui seul, mais la tâche est possible si nous œuvrons tous ensemble dans le cadre d’un partenariat mondial pour le développement durable ». 104 En conséquence, au niveau mondial, la clé de la protection de l’environnement est la coopération et la solidarité entre les États. Même si notre étude ne vise pas la question de la protection mondiale de l’environnement, nous nous devons d’en parler, tant il reste vrai qu’aucun phénomène en la matière n’est isolé et que les conséquences de la perte de la biodiversité, de la déforestation ou du réchauffement climatique sont transcontinentales. En d’autres termes, les phénomènes environnementaux ne connaissent pas de frontières. La solidarité, dans ce concert des nations confrontées à la crise environnementale, doit être davantage manifestée à l’égard des pays en voie de développement qui sont plus vulnérables aux effets des changements climatiques.
Objectifs
Notre objectif principal, dans cette recherche, est de contribuer au débat scientifique sur la protection de l’environnement en montrant comment les populations de la province du Nayala concilient, dans l’utilisation des ressources naturelles, les nécessités de survie et la durabilité des écosystèmes. Nos objectifs spécifiques sont : – décrire les systèmes de production agro-pastoraux en mettant en relief les faiblesses et les forces pour la protection des espèces végétale, fauniques et des sols ; – déterminer et analyser les perceptions et les représentations sociales relatives à l’usage et à la dégradation des ressources naturelles ; – présenter les effets de la pauvreté et de la crise économique actuelle sur l’utilisation durable des ressources naturelles.
HYPOTHÈSES
L’élaboration des hypothèses comme réponse provisoire au problème sociologique posé dans la problématique est d’une importance capitale pour le sociologue qui s’engage dans une démarche hypothético-déductive. En guise de réponse à notre question principale de recherche, nous formulons l’hypothèse selon laquelle les systèmes de production et les pratiques des populations du Nayala déterminent les modes de protection durable des écosystèmes. Nos hypothèses spécifiques s’énoncent comme suit : 81 • La protection des espèces végétales, fauniques et des sols dans la province du Nayala est fonction du type de système agro-pastoral. En d’autres termes, plus les paysans pratiquent des systèmes agro-pastoraux extensifs, plus ils détruisent les espèces végétales, fauniques et les sols. • L’usage et les pratiques de protection des ressources naturelles dans la province du Nayala varient selon les types de représentations socioculturelles. • La pauvreté économique, de plus en plus grandissante dans le Nayala, influence l’utilisation durable des ressources naturelles. En d’autres termes, un haut niveau de pauvreté économique est susceptible de pousser un acteur social à exploiter excessivement les ressources naturelles comme source de revenus et donc à dégrader un écosystème.
DÉFINITIONS DE QUELQUES TERMES CLÉS DE L’ÉTUDE
La méthode durkheimienne déconseille d’étudier des phénomènes sociaux sans les avoir, au préalable, définis. Cette méthode oblige le chercheur à rompre avec les prénotions et les « fausses évidences » : Il faut donc que le sociologue, soit au moment où il détermine l’objet de ses recherches, soit dans le cours de ses démonstrations, s’interdise résolument l’emploi de ces concepts qui se sont formés en dehors de la science et pour des besoins qui n’ont rien de scientifique. Il faut qu’il s’affranchisse de ces fausses évidences qui dominent l’esprit du vulgaire, qu’il secoue, une fois pour toutes, le joug de ces catégories empiriques qu’une longue accoutumance finit souvent par rendre tyranniques.117 C’est pourquoi, il convient de définir les termes clés liés à notre sujet de recherche, à savoir : environnement, forêt, écosystème, biodiversité, vulnérabilité et développement durable.
Environnement
Le mot environnement est polysémique. Son étymologie renvoie à ce qui est autour de soi, dans le voisinage. Il sous-entend donc la notion de proximité spatiale. Or, selon Durkheim, « l’espace n’est pas ce milieu vague et indéterminé qu’avait imaginé Kant : purement et absolument homogène, il ne servirait à rien et n’offrirait même pas de prise à la pensée. La représentation spatiale consiste essentiellement dans une première coordination introduite entre les données de l’expérience sensible ». Ce sont, en effet, ces données de l’expérience sensible qui composent l’environnement. Voilà pourquoi nous retenons la définition qu’en donne Yvette Veyret : « La notion d’environnement recouvre à la fois un milieu et un système de relations, un champ de forces physico-chimiques et biotiques, en interrelation avec la dynamique sociale, économique et spatiale. L’environnement correspond à un ensemble d’éléments qui agissent et réagissent les uns sur les autres. Un groupe humain agit sur l’environnement et ses actions entraînent des effets de chaîne, des rétroactions positives et négatives ».En somme, l’environnement renvoie à un ensemble de relations complexes entre l’homme ou les sociétés et le milieu naturel. Le premier paragraphe de l’article 5 du code de l’environnement burkinabè le définit comme suit : « L’Environnement est l’ensemble des éléments physiques, chimiques et biologiques naturels ou artificiels et des facteurs économiques, sociaux, politiques et culturels, qui ont un effet sur le processus de maintien de la vie, la transformation et le développement du milieu, les ressources naturelles ou non et les activités humaines ». 120 D’une manière générale, chaque fois que nous parlerons d’environnement dans cette étude, il s’agira en priorité de l’environnement naturel avec lequel les populations rurales de la province du Nayala tissent des relations directes pour leur survie.
Forêt
En latin, le mot forestis qui donne forêt en français désigne une grande étendue de terrain couverte d’arbres. Une définition de la FAO reste discutable sur certains aspects. En effet, selon les critères adoptés par la FAO en 2004 pour l’évaluation des ressources forestières, sont considérées comme forêts les terres « occupant une superficie de plus de 0,5 hectare avec des arbres atteignant une hauteur supérieure à 5 mètres et un couvert arboré de plus de 10 pour cent, ou avec des arbres capables d’atteindre ces seuils in situ. La définition exclut les terres à vocation agricole ou urbaine prédominante.» 121 Pour notre étude, nous retiendrons qu’une forêt est un espace boisé dont la densité permet sa reconnaissance à l’œil et sa distinction d’avec d’autres espaces, non densément boisés, de la même zone climatique. D’ailleurs l’article 12 du code forestier du Burkina Faso définit les forêts comme étant « les espaces occupés par des formations végétales d’arbres et d’arbustes, à l’exclusion de celles résultant d’activités agricoles ». Comme on le voit, aucune mention n’est, ici, faite de la densité. Par conséquent, la définition de forêt reste relative, en fonction des régions climatiques.
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