Etude par imagerie in situ des processus biophysiques en milieu fluvial
Télédétection appliquée au domaine fluvial
Un champ scientifique en pleine croissance
Dans le chapitre introductif de l’ouvrage « Fluvial Remote Sensing », P.E. Carbonneau et H. Piégay (2012) recensent les nombreux usages de la télédétection appliquée aux rivières et définissent la « télédétection » comme l’acquisition d’informations sur l’état ou la condition d’un objet grâce à des capteurs qui ne sont pas en contact physique avec celui-ci. Ces informations sont généralement représentées sous forme d’images numériques constituées d’une matrice de pixels comportant une ou plusieurs valeurs. Le « pixel » constitue l’élément le plus fin de l’image et représente une portion de la surface sondée. Les valeurs radiométriques des différents pixels sont proportionnelles au rayonnement reçu de cette surface par le capteur. P.E. Carbonneau et H. Piégay (2012) soulignent que la télédétection est largement reconnue aujourd’hui dans ce domaine de recherche et son usage est même de plus en plus fréquent dans les études actuelles. Pourtant, l’usage de la télédétection est récent car les outils d’acquisition disponibles n’ont pas toujours fourni une résolution suffisante pour l’étude des milieux fluviaux. Selon ces mêmes auteurs, le nombre de publications faisant référence à la télédétection en milieu fluvial est croissant au cours du temps. S’il ne concernait qu’une à trois publications par an de 1976 à 1996, il atteignait 37 productions en 2010, dont un numéro complet sur le sujet dans la revue ESPL. Face à l’intérêt croissant de ces techniques dans le domaine fluvial, Carbonneau et Piégay, (2012) proposaient leur ouvrage entièrement consacré au sujet. D’après J. Lejot (2008), la télédétection appliquée aux milieux aquatiques a tout d’abord porté sur le milieu océanique et insulaire, notamment pour l’étude des fonds et des profondeurs. La télédétection peut cependant être appliquée dans le cadre d’un large spectre disciplinaire. Dans le domaine fluvial, elle peut s’appliquer à l’hydraulique, qui vise à décrire des lois physiques liées aux 6 conditions d’écoulement, mais également dans le cadre des sciences humaines qui s’intéressent par exemple aux relations entre les populations riveraines et le milieu fluvial qu’elles appréhendent comme milieu de vie. Ce travail s’intéresse principalement au domaine de la géomorphologie fluviale, c’est-à-dire à l’étude des interactions entre les formes et les processus fluviaux qui les régissent et qui s’expriment à diverses échelles spatiales et temporelles (Charlton, 2008). La télédétection, et en particulier l’imagerie, présente de nombreux avantages pour les travaux en rivières et d’après W. Bertoldi et al. (2012), l’accroissement de l’utilisation des outils de télédétection en rivière a été très important au cours des dernières décennies. W.A. Marcus et M.A. Fonstad (2010) parlaient d’ailleurs de l’émergence d’une nouvelle discipline du champ de la géomorphologie fluviale. Dans le cas de l’imagerie aérienne ou satellite, elle permet notamment d’acquérir grâce à un groupe de clichés, voire sur une seule image, des informations sur tout un linéaire de cours d’eau et donc de s’affranchir d’une prospection de terrain qui représenterait de nombreuses heures de travail. La diversité des types de plateformes existantes permet d’obtenir des combinaisons résolution spatiale/empreinte au sol multiples et adaptées à chaque cas d’étude (Bertoldi et al., 2012). Même sur de courts linéaires, certaines mesures peuvent être laborieuses à acquérir alors que l’imagerie verticale peut donner une vue globale du cours d’eau et ainsi faciliter l’appréhension des distances, longueurs et surfaces. D.J. Gilvear et R. Bryant (2003) donnent l’exemple des cours d’eau de très grande taille comme l’Amazone ou le Brahmapoutre. Les acquisitions aériennes sont le seul moyen d’observer et de quantifier la morphologie globale de ces rivières. Les travaux de T. deCastilhoBertani et al. (2013) ou M. Bertrand et al. (2013) sont des exemples menés à l’échelle régionale par imagerie satellite. Ces nouvelles sources d’information permettent ainsi de renseigner de très grandes surfaces. L’imagerie peut aussi avantageusement remplacer l’intervention d’un opérateur de terrain dans le cas d’un suivi de l’évolution du milieu, ou dans le cas de mesures ou observations en milieux dangereux ou difficiles d’accès, en cas de crue par exemple.
L’acquisition d’images : quelques notions de base
Des vecteurs et des capteurs
La télédétection repose à la fois sur un vecteur (ou plateforme d’acquisition) et sur un capteur et comporte trois types de résolution : spatiale, temporelle et spectrale. La résolution temporelle dépend directement du vecteur utilisé pour l’acquisition. Elle correspond à une fréquence d’acquisition des informations concernant une scène donnée. Elle est donc liée au type de plateforme utilisé sur laquelle est embarqué le capteur. La résolution spatiale résulte de la combinaison entre les propriétés du capteur utilisé (taille, nombre des pixels et dimensions des 7 clichés, dans le cas de l’imagerie) et de la hauteur et de l’orientation de la prise de vue, donc de la position du vecteur. Elle correspond à la surface au sol représentée par les pixels de l’image. La résolution spectrale, quant à elle, est liée aux paramètres du capteur et correspond à la largeur du spectre d’ondes capté.
Vecteurs
Il existe de très nombreuses plateformes sur lesquelles peuvent être embarqués des capteurs dont les plus répandues sont les satellites, les avions ou encore les hélicoptères (Pasqualini et al., 2001 ; Fonstad et Marcus, 2005 ; Carbonneau et al., 2004, 2010 ; Wawrzyniak, 2012). Le développement des drones fournit de nouvelles plateformes pour embarquer des caméras ou autres outils de mesures (Lejot, 2008). Des véhicules terrestres peuvent également être employés pour ce genre d’acquisition, même s’ils sont toutefois peu adaptés au cas particulier des milieux aquatiques. Dans ces milieux, des embarcations nautiques de taille plus ou moins importante en fonction du type de milieu peuvent être très utiles. Il est également possible de réaliser de la télédétection sur des images prises à partir de capteurs fixes (Bertoldi et al., 2012 ;Hamel et al., 2013 ;Benacchio et al., 2017 ; Boivin et al., 2017) ou de supports installés temporairement (Carbonneau et al., 2003 ; Gilvear et al., 2007 ; Power et al., 2008 ; Dramais et al, 2011). Le terme vecteur n’est alors plus vraiment adapté, et il s’agit de parler de mesures « in situ ». Chaque plateforme présente des avantages et des inconvénients, tels que la facilité et la rapidité de déploiement, un coût plus ou moins élevé, l’altitude d’exploration, la possibilité de vols stationnaires, etc. Dans le cas des vecteurs aériens ou spatiaux, l’altitude de la prise de vue est déterminante pour la résolution spatiale des images (Bertoldi et al., 2012). Le type de vecteur est donc à choisir en fonction des besoins de l’étude et de la précision des images recherchée.
Capteurs
Les capteurs sont aussi divers que les informations acquises peuvent être variées. Certains sont dits passifs, d’autres actifs. Les rayons captés sont le plus souvent ceux qui se réfléchissent au niveau de la surface terrestre, et les quantités de lumière perçues dépendent des propriétés optiques des milieux traversés et des surfaces rencontrées. La télédétection passive consiste à exploiter les rayonnements solaires réfléchis par les différentes surfaces composant la scène étudiée. Contrairement à la télédétection passive, les capteurs actifs sont eux-mêmes la source des rayonnements étudiés. Le signal capté correspond à la différence entre les quantités d’ondes émises et la part captée des ondes réfléchies.Les capteurs fournissent des matrices de valeurs radiométriques, qui correspondent à différentes quantités possibles. Chaque valeur de la matrice correspond à un pixel, dont l’ensemble constitue une image. Des images peuvent être acquises dans diverses régions du spectre électromagnétique, telles que les micro-ondes, l’infrarouge, le visible ou l’ultra-violet (Elachi et van Zyl, 2006) (voir figure 1). Chacune de ces régions spectrales peut être subdivisée en différents canaux (ou bandes spectrales), de largeur variable et qui correspondent à des parties finies du spectre électromagnétique. Une image dite « panchromatique » est composée d’une seule bande spectrale. La combinaison de plusieurs (image « multispectrale »), voire de quelques centaines (image « hyperspectrale ») de canaux permet de percevoir différemment les éléments présents dans la scène. Traditionnellement, la photographie capte par exemple les trois canaux du domaine spectral appelé « visible », car perceptible par l’œil humain : rouge, vert et bleu, dont les longueurs d’ondes s’étendent de 450 à 650 nm. D’autres types de capteurs ont un spectre d’acquisition bien plus large, et comprennent par exemple en plus le proche infra-rouge, l’infra-rouge lointain ou bien d‘autres longueurs d’ondes supplémentaires, qui constituent le spectre solaire. La figure 1 illustre le spectre des ondes électromagnétiques et donne quelques exemples d’utilisations qui en sont faites.
Sommaire |