Étude multi-messagers et phénoménologie des sources de rayons cosmiques d’ultra-haute énergie
Les limites sur les flux des multi-messagers
Le second résultat majeur d’Auger trouve ses racines dans l’attente tr`es forte des théoriciens d’avoir une mesure des flux de neutrinos et surtout de photons aux énergies extrˆemes. L’observatoire Auger a pu placer des limites tr`es contraignantes pour les deux. Récemment, la limite neutrino d’Auger a mˆeme dépassé celle d’ANITA. Nous supposant une composition pure protons (courbe rouge) ou pure fer (courbe bleue), une injection en loi de puissance E−β et une énergie maximum d’accélération Emax = 1020.5 eV. L’évolution cosmologique de la luminosité des sources est donnée par (1 + z) m. La courbe noire montre l’ajustement discuté dans le texte, avec les valeurs des param`etres dans 2.21. commencerons par présenter l’aptitude qu’a l’Observatoire Auger `a ˆetre utilisé comme un détecteur de photons. Bien que les RCUHEs soient plus probablement des protons et noyaux, nombre de scénarios astrophysiques prédisent la présence de photons `a ces énergies. Leur détection ne serait pas d’importance uniquement pour la physique des RCUHEs, mais aurait un impact fort sur l’astrophysique, la cosmologie et la physique des particules. Jusqu’`a aujourd’hui, aucun photon n’a été détecté dans les données, et la limite la plus significative a été placée `a 2% sur la fraction de photons au-dessus de 10 EeV. Cela limite fortement les scénarios top-down précédemment évoqués (voir section 1.3.2). Une contribution nettement plus faible de ∼ 0.1% est typiquement attendue dans les mod`eles bottomup. Ce serait surtout des photons issus de la désintégration des pions neutres produits par effet GZK lors de la propagation des hadrons, on les nomme donc « photons GZK ». Les techniques statistiques utilisées pour discriminer la nature hadronique ou photonique des RCUHE sont de deux types. Elles utilisent le fait que le FD est capable de mesurer avec précision la profondeur du maximum de développement de la gerbe, Xmax, qui est plus grand pour les photons. L’autre technique est d’utiliser des observables liées `a la géométrie de la gerbe et `a son développement que le SD est capable de mesurer. Nous allons rapidement exposer le premier cas ici, car le second fait l’objet d’une étude approfondie dans un chapitre dédié de la présente th`ese. Le FD d’Auger comme détecteur de photons Fig. 2.23 – Exposition relative pour des primaires photon, proton et fer, normalisée pour des protons de 10 EeV, apr`es avoir appliqué les sélections de sorte que l’acceptance du FD soit similaire pour les différentes esp`eces (cf. texte). Extrait de [48]. On sélectionne tout d’abord les données de fa¸con `a ce que l’acceptance du FD soit la mˆeme pour les hadrons et les photons, afin d’éviter un biais qui fausserait les limites obtenues. On peut voir sur la figure 2.23 que l’acceptance relative est similaire pour les 3 natures de rayons cosmiques. Apr`es sélection, les données sont réduites `a 2063 événements au-dessus de 2 EeV, et 131 au-dessus de 10 EeV. Pour prendre en compte la dépendance en énergie de l’efficacité de détection, des facteurs de correction sont appliqués. Par exemple, #cut(10 EeV) = 0.77. Une sélection des événements dont la reconstruction est exempte de la présence de nuages (51% seulement!) rajoute aussi un facteur #clc = 0.51. Ces facteurs sont conservatifs et indépendants du flux réel de photons (voir [48] pour des détails). Auger comme détecteur de neutrinos Le détecteur de surface (SD) d’Auger est sensible aux neutrinos de plus de 1 EeV et de toutes saveurs. Ils interagissent dans l’atmosph`ere par courants chargé ou neutre (neutrinos descendant) ou, pour les neutrinos tau, apr`es avoir rasé la croˆute terrestre (neutrino montant). Ces deux types de neutrinos peuvent ˆetre identifiés par l’analyse temporelle du signal. On s’attend `a ce que le signal soit plus dispersé (en temps) dans les stations, `a cause des gerbes inclinées qu’ils produisent lorsqu’ils interagissent pr`es du sol. Grˆace aux données collectées entre Janvier 2004 et Février 2009 inclus, Auger a pu placer pour la premi`ere fois une limite sur le flux diffus de neutrinos toutes saveurs confondues, et une autre sur le flux des neutrinos tau (cf. [49] de la Collaboration). Que ce soit `a la source ou lors de la propagation, la plupart des scénarios astrophysiques sugg`erent la production de neutrinos jusqu’aux énergies d’Auger. Les neutrinos tau peuvent ˆetre observés grˆace `a la détection des gerbes induites par les produits de désintégration d’un tau sortant (et montant), créé apr`es la propagation et interaction d’un flux de neutrinos tau ντ dans la croˆute terrestre. Le SD permet aussi de détecter les neutrinos descendants par les gerbes inclinées qu’ils peuvent produire pr`es du sol. L’identification des neutrinos primaires noyés dans le fond des gerbes hadroniques est fondé sur l’idée qu’ils peuvent produire une gerbe jeune et inclinée qui donnera un front de gerbe étendu et épais13. On peut définir des observables [50] qui caractérisent la structure temporelle et la forme des traces FADC, et qui peuvent ˆetre discriminantes sur l’ˆage de la gerbe. Des simulations[51] de neutrinos interagissant pr`es du sol montrent que seuls les quelques premi`eres stations triggées sont plus dispersées temporellement, car le grammage traversé est alors suffisamment faible. Fig. 2.26 – Gauche : schéma d’une gerbe inclinée de hadron dont la premi`ere interaction a lieu haut dans l’atmosph`ere. La composante EM est bien absorbée et ce sont essentiellement les muons qui atteignent le détecteur. Droite : gerbe inclinée avec premi`ere interaction profonde. La région premi`ere de la gerbe a une composante EM significative au niveau du détecteur. Une sélection est opérée sur les stations afin que les traces FADC soient les plus 13Les gerbes initiées par des hadrons et/ou photons sont bien plus ˆagées lorsqu’elles arrivent au niveau du SD. pures possible. On requiert que l’événement ait passé le T3 avec au moins 4 stations T2. Les événements sélectionnés sont ensuite analysés pour trouver des gerbes inclinées et jeunes : on cherche les stations déclenchées selon une structure temporelle élargie en temps le long de la direction azimutale d’arrivée de l’événement (voir figure 2.26). Une longueur L et une largeur W caractérisent la structure ainsi trouvée, et une coupure sur leur ratio est appliquée L/W > 3. Ensuite on vérifie la compatibilité entre les déclenchements temporels des stations14 le long de l’axe azimutal (L) et une gerbe plane inclinée de plus de 75◦ . L’ensemble des données passant ces sélections est ensuite analysé grˆace `a des observables sur les traces FADC des stations déclenchées par les débuts du développement de la gerbe. La méthode du discriminant de Fisher[52] permet de maximiser la séparation entre deux populations d’événements, les gerbes hadroniques inclinées et les gerbes de neutrinos. Elle fournit une variable, f, qui est une combinaison linéaire des observables qui maximise l’écart entre les moyennes des f pour chaque population tout en minimisant leurs écarts types respectifs. La variable de fisher int`egre notamment comme observable l’Area-over-Peak (ratio aire sur pic des FADC), qui discrimine bien entre des stations proches des premiers développements de la gerbe et des stations qui en sont éloignées. Cette variable de Fisher f a été étudiée en détail sur les données d’Auger jusqu’en novembre 2007 (période test) et comparée `a des simulations de neutrinos afin de définir une coupure de sélection des candidats neutrino, fcut. Si un nouvel événement (postérieur `a novembre 2007) poss`ede un f supérieur `a fcut, il sera candidat neutrino. A ce jour (juin 2010), aucun candidat n’a été détecté, permettant de plac ` er des limites supérieures sur le flux de neutrinos d’ultra-haute énergie. Pour cela, l’acceptance du SD pour les neutrinos est calculée[50] par simulations MC. Plusieurs sources d’incertitudes systématiques sont prises en compte lors de ce calcul. Elle est estimée `a 20%. Finalement, si l’on suppose un flux différentiel de neutrinos f(Eν) = k × E −2 ν , la limite supérieure `a 90% de CL sur k pour toutes les saveurs est k < 3.2 × 10−7 GeV cm−2 s −1 sr−1 (2.24) On a reproduit sur la figure 2.27 les limites sur les flux de neutrinos extraites de divers expériences modernes. 14On calcule pour ce faire la vitesse moyenne &V ‘ du front de gerbe entre les paires de stations déclenchées, projetée selon L. Fig. 2.27 – Limites supérieures (90% CL), différentielles et intégrées, pour un flux diffus de neutrinos descendants ν et montant ντ . D’autres limites sont montrées pour d’autres expériences, et un flux théorique de neutrinos GZK.
La mesure de l’anisotropie au-del`a de la coupure GZK
Certainement l’un des résultats d’Auger les plus célébrés, le rejet de l’hypoth`ese d’isotropie pour la direction d’arrivée des événements d’énergie >57 EeV a été un élément marquant de la vie du détecteur. En utilisant les données collectées entre janvier 2004 et aoˆut 2007, l’Observatoire Pierre Auger a démontré l’existence d’un signal d’anisotropie pour la direction d’arrivée des rayons cosmiques d’énergie >57 EeV. Les directions d’arrivée étaient corrélées avec la position des sources (principalement des AGNs) du catalogue Véron-Cetty et Véron (VCV). Ce dernier n’étant pas complet, cela n’empˆeche pas de montrer l’existence d’une anisotropie par corrélation, mais ne permet pas d’identifier les sources des rayons cosmiques. Initialement, le premier résultat d’anisotropie a été publié alors que la statistique des événements au-dessus de 57 EeV était de 27 (voir l’esthétique figure 2.28). Elle est aujourd’hui de 69, et le seuil en énergie de 55 EeV (les algorithmes de reconstruction ayant été modifiés). La méthode qui a permis de rejeter l’hypoth`ese d’isotropie est fondée sur un test appliqué `a un lot de données indépendantes. Historiquement, on a commencé par voir une corrélation entre la direction d’arrivée et la position de sources du VCV de quelques RCUHEs. Pour éviter de faire une analyse avec des param`etres de corrélation `a posteriori, on a utilisé un lot de données test indépendant sur lequel on a appliqué un scan exploratoire. Ce scan a simplement permis de rechercher les param`etres de corrélation qui minimisent la chance que cette Fig. 2.28 – Carte du ciel en coordonnées Galactiques montrant les AGNs (croix rouges, la croix blanche pointe vers Centaurus A) sélectionnés par les param`etres du scan exploratoire, les 27 événements (cercles noirs de 3.1˚ de rayon) d’Auger au-dessus de 57 EeV (au 11/2007). La courbe noire en trait continu marque la limite de l’exposition d’Auger et la courbe noire pointillée le plan Galactique. Sur les 27, 21 événements sont corrélés avec un AGN selon les param`etres du scan exploratoire. Si l’on coupe les événements du plan Galactique, 19 sur 21 corr`elent. Extrait de [53]. corrélation soit une fluctuation de l’isotropie. Les param`etres de la corrélation sont au nombre de trois : le redshift maximum zmax des sources du VCV, l’échelle angulaire de corrélation maximale φmax et le seuil en énergie des RCUHEs analysés, Eth. On minimise la chance que la corrélation soit une fluctuation en minimisant : P = * N j=k C N j p j iso(1 − piso) N−j (2.25) o`u piso est la partie du ciel accessible par Auger dans φmax degrés des sources potentielles, pondérée par la couverture bien entendu. On part donc des événements les plus énergétiques et l’on cherche `a minimiser P. Ceci a été fait avec les données de Janvier 2004 au 27 mai 2006, avec 15 événements. Les param`etres trouvés sont zmax = 0.018 (75 Mpc), Eth = 57 EeV et φmax = 3.1◦ . Avec ces param`etres, 12 événements sur 15 corrélaient, soit une puissance de corrélation de 80% ! Bien sˆur, cela constituait le test exploratoire, et ces 15 événements n’ont plus été utilisés par la suite. Avec les param`etres spécifiés `a priori, on a construit un test, le « running prescription test » sur les données apr`es mai 2006, pour rejeter (ou non) l’hypoth`ese d’isotropie. L’idée est qu’`a chaque nouvel événement, on regarde la fraction des événements (postérieurs `a mai 2006) qui corr`elent selon les param`etres définis ci-dessus. Si la fraction dépasse une certaine valeur, on conclut que l’hypoth`ese d’isotropie est rejetée. Reste `a construire quelles fractions vont permettre de rejeter l’hypoth`ese, et `a quel niveau de confiance. Pour ce faire, on impose nos desiderata : on veut que l’hypoth`ese testée soit l’isotropie (hypoth`ese nulle). On veut la rejeter, si rejet il y a, avec un niveau de confiance (CL) de 99%15. On veut par ailleurs que si jamais les RCUHEs ne sont réellement pas isotropes, qu’on ne fasse l’erreur de conclure qu’ils sont isotropes seulement avec une chance de 5%. On a donc enti`erement défini notre test statistique : l’erreur de type I, α, est de 1%. Donc si on rej`ete l’isotropie, on aura qu’un pourcent de chance de s’ˆetre trompé (et que l’Univers est réellement isotrope). L’erreur de type II, β, est de 5%. On a donc 5% de chance d’accepter l’isotropie et de dire ”ce n’est pas anisotrope”16, alors que, en fait, c’est réellement anisotrope. Grˆace `a tout ¸ca, on conduit une analyse séquentielle. Toutes les fois qu’un nouvel événement apparaˆıt (au-dessus de 57 EeV), on regarde deux choses : le nouveau nombre total d’événements et le nouveau nombre total d’événements qui corr`elent. Quant `a notre test statistique, il va nous dire combien au minimum il faut d’événements qui corr`elent sur le total pour que l’on soit certain, si le test est validé (c’est `a dire si il y a suffisamment d’événements qui corr`elent), qu’il est validé avec un α de 1% et un β de 5%. Les seules combinaisons possibles pour les nombres minimum d’événements qui corr`elent (kmin) et nombre total d’événements (N) qui puissent satisfaire les exigences de α et β sont regroupées dans la table 2.29.
I La problématique des rayons cosmiques ultra-énergétiques |